ABDOUL MBAYE ET M. L. DIALLO CONTOURNENT L’INERTIE DE SERIGNE BASS
L’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye et son allié de Tekki, à travers leur plainte contre Aliou Sall et Frank Timis, repositionnent le scandale à 10 milliards de dollars au cœur du débat public
En saisissant directement le juge d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile, Abdoul Mbaye et Mamadou Lamine Diallo contournent non seulement l’obstacle Serigne Bassirou Guèye, mais reposent le scandale à 10 milliards de dollars impliquant le frère du président de la République, au cœur du débat public.
Après l’euphorie suscitée par la Coupe d’Afrique des nations plus d’un mois durant, retour à la réalité. D’ailleurs, l’opposition n’a pas mis beaucoup de temps pour relancer le débat autour de la gestion du pétrole et du gaz.
Mandatés par le Congrès de la renaissance démocratique/And Dekkil Bokk (Crd), l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye et son allié de Tekki, Mamadou Lamine Diallo, à travers leur plainte déposée auprès du juge d’instruction contre Aliou Sall et Frank Timis, repositionnent le scandale à 10 milliards de dollars au cœur du débat public. Cette plainte a, en effet, une double portée. Elle est à la fois juridique et politique. Sur le plan juridique, les acteurs sont unanimes à soutenir que c’est une voie qui leur est offerte par la loi. “Ils sont parfaitement en droit de saisir le juge d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile’’, déclare, d’emblée, Me Abdoulaye Babou, lorsque joint hier par “EnQuête’’.
Poussant le bouchon plus loin, Me Issa Diop soutient que c’est la loi qui permet de saisir directement le juge d’instruction, notamment le doyen, d’une plainte. “Dès que la plainte est reçue, le doyen demande de payer une caution. Une fois que la caution est payée, l’enquête est ouverte et l’instruction peut démarrer. Cela veut dire qu’un plaignant a le choix entre amener son dossier à la police, à la gendarmerie ou devant le procureur. S’il constate que ça n’avance pas ou il y a des blocages de toutes sortes, la loi lui ouvre la voie d’une saisine directe’’.
Dans ce cas de figure, il note qu’il n’y a pas de refus. Le juge d’instruction est obligé de prendre la plainte et, éventuellement, de fixer une caution. Maintenant, souligne-t-il, libre à lui, au cours de l’instruction, de dire qu’il n’y a pas lieu à instruire et, en ce moment, il fait un non-lieu. Dans ces conditions, le juge est dans son rôle. S’il instruit et qu’il ne voit rien, il fait un non-lieu et l’affaire est classée. “Le citoyen a le droit de porter son affaire devant l’autorité. Maintenant, si l’affaire est déjà devant une autorité et qu’il estime que celle-ci n’est pas encore devant une autorité judiciaire, il peut, en bon droit, saisir l’autorité qui lui est désignée pour faire avancer son dossier’’, déclare-t-il.
L’appel à témoin du Proc, de la poudre aux yeux
Cette plainte contre Aliou Sall et Frank Timis intervient dans un contexte où le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, poursuit ses auditions, dans le cadre de l’appel à témoin lancé depuis l’ébruitement du scandale à 10 milliards de dollars par la chaine britannique Bbc. Cette procédure, selon Me Abdoulaye Babou, n’est pas une enquête. “Un appel à témoin n’existe même pas en droit. Le juge d’instruction est saisi in rem, c’est-à-dire dès que le procureur le saisit par réquisitoire. Maintenant, il est libre d’instruire le dossier’’, fulmine-t-il. Au même moment, relève Me Issa Diop, jusqu’ici, on ne sait pas de qui il s’agit et la personne qui est incriminée, ce qu’elle risque, si elle est recherchée ou pas ou si elle n’est pas là, pourquoi on ne l’entend pas ou on ne l’arrête pas. Ce sont, selon lui, des interrogations qui ne concernent pas le commun des Sénégalais. “Il appartient au procureur de conduire son enquête comme il l’entend. Maintenant, la loi donne au citoyen la possibilité directe de ne pas attendre quelqu’un conduire son enquête comme il l’entend. Il peut directement saisir une autorité judiciaire. Qui est obligée de prendre la plainte. Elle prend la plainte, elle fixe sa caution et fait son instruction’’, explique-t-il. Ce contournement de la procédure enclenchée par le procureur de la République, selon Me Abdoulaye Babou, est une manière, pour Abdoul Mbaye et Mamadou Lamine Diallo, de lutter contre l’inertie du ministère public. “Avec une plainte de constitution de partie civile, c’est eux-mêmes qui prennent l’initiative de déclencher l’action publique’’, soutient-il. Non sans alerter sur les risques qu’ils encourent tout de même. “S’ils déclenchent une action publique et que les mis en cause ne sont pas arrêtés, la loi leur permet, à leur tour, de se retourner contre la partie civile. Et dans ce cas, la loi peut les condamner à payer des dommages et intérêts’’, déclare-t-il.
Maintenant, relève Me Issa Diop, la difficulté c’est : est-ce qu’ils ont qualité pour agir ? “C’est ça la difficulté majeure. Le procureur a qualité, c’est clair. Le juge d’instruction ne peut pas s’autosaisir. Il est saisi par le procureur ou par un citoyen qui se sent lésé, qui peut justifier d’une qualité de partie civile. Maintenant, est ce qu’on peut dire que ces personnes sont partie civile ? Là, le débat est ouvert’’, lance-t-il. Mais pour Me Babou, il n’y a pas lieu de débattre là-dessus, dès lors que la Constitution sénégalaise est claire sur la question. “La Constitution dit que les ressources naturelles appartiennent au peuple, que ce soit le pétrole, le gaz ou autre ressource. C’est consacré par la Constitution, depuis le référendum de 2016. Vu sous cet angle, on peut dire que tout Sénégalais, qui pense qu’on a dilapidé nos ressources naturelles, a qualité et intérêt à agir. Ils ont parfaitement le droit de porter plainte’’, soutient-il. “Si on considère, dans l’absolu, qu’il s’agit d’un problème qui concerne tous les Sénégalais, que les ressources sont un patrimoine national et qu’aucun citoyen sénégalais n’est exclu, on peut se constituer partie civile, tout en n’étant pas sûr qu’à l’issue, cette qualité sera admise par le juge. Ce n’est pas évident’’, relativise Me Issa Diop.
Une adhésion de l’opinion publique recherchée…
Au-delà de son aspect juridique, la plainte d’Abdoul Mbaye et de Mamadou Lamine Diallo contre Aliou Sall et Frank Timis a une portée politique. Elle repositionne le scandale du pétrole et du gaz au cœur du débat public, après l’épisode de la Coupe d’Afrique des nations. Selon le professeur Moussa Diaw, Abdoul Mbaye et Mamadou Lamine Diallo cherchent, à travers cette plainte, à attirer l’attention sur la dimension symbolique de l’affaire. Pour lui, le fait de saisir juridiquement le juge d’instruction traduit une volonté politique de placer cette affaire dans sa dimension politique, pour susciter des réactions politiques. “Le fait même de penser à agir de cette sorte, c’est pour poser cette affaire au cœur du débat politique et susciter des réactions de la part de ceux qui sont concernés. Et, naturellement, ils sous-entendent aussi une adhésion de l’opinion publique par rapport à cette affaire qui a une dimension nationale. Ils veulent donner un sens politique à cette affaire, à travers cette action’’, analyse l’enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Cette plainte, vue toujours sous l’angle politique, peut être considérée comme une manière, pour l’opposition, de se faire entendre. Mais pour Me Issa Diop, il n’en est rien. “Il ne faut pas que les gens disent qu’ils veulent faire de la diversion ou ils veulent se faire entendre. C’est une voie qui leur est ouverte’’, insiste-t-il.