ABDOULAYE DIOUF SARR PEUT-IL FAIRE GAGNER MACKY SALL À DAKAR ?
Seul candidat de Benno Book Yaakar (BBY) à avoir gagné sa commune en 2014 dans le département de Dakar, le maire de Yoff a été désigné pour diriger la liste majoritaire de la mouvance présidentielle pour la ville de Dakar
Seul candidat de Benno Book Yaakar (BBY) à avoir gagné sa commune en 2014 dans le département de Dakar, le maire de Yoff a été désigné pour diriger la liste majoritaire de la mouvance présidentielle pour la ville de Dakar, le 23 janvier prochain. Abdoulaye Diouf Sarr pourra-t-il sortir vainqueur de ce scrutin et permettre à Macky Sall de relever la tête à Dakar ? Le Témoin pose le débat…
Son haut fait politique, c’est d’avoir été le seul candidat du pouvoir à avoir pu arracher une mairie au rouleau compresseur de Takhawou Dakar. En effet, sur les 19 arrondissements que compte le département de Dakar, les 18 n’avaient pas échappé à la razzia opérée par Khalifa Ababacar Sall et ses hommes lors des élections locales de 2014. La seule commune à leur avoir échappé alors, et à tomber dans l’escarcelle du pouvoir, c’était celle de Yoff, remportée haut-lamain par Abdoulaye Diouf Sarr. Un fait d’arme qui lui avait permis de se positionner comme le « leader» naturel du camp présidentiel dans la capitale. Dans un parti qui n’a jamais été structuré depuis qu’il existe et qui fonctionne à l’informel, ce n’était pas rien. Toutefois, bien que l’exploit de l’actuel ministre de la Santé fut grand à l’époque — c’est cette performance d’ailleurs qui lui avait valu d’hériter de ce grand ministère — , force est de reconnaitre qu’une commune comme Yoff ne peut être comparée, sur le plan démographique en tout cas, à des communes comme les Parcelles-Assainies, Grand-Yoff ou la Médina. C’est certainement une des raisons qui avait poussé Abdoulaye Diouf Sarr à vouloir élargir sa base à travers les autres zones de la capitale notamment à Yarakh, Ngor, Ouakam, etc… au référendum de 2016. Hélas, il avait vu ses ambitions bloquées par certains de ses camarades de parti militant dans ces localités. Lesquels voyaient d’un mauvais œil l’intrusion d’un autre responsable dans leurs plates-bandes. Le fait de militer dans une petite commune ne semble pas être le seul handicap du ministre de la Santé et de l’Action Sociale. En effet, son leadership au niveau de la capitale est fortement contesté.
Abdoulaye Diouf Sarr peine en effet à s’imposer dans la capitale en tant que leader. C’est d’ailleurs une des raisons qui auraient poussé le président Macky Sall à porter son choix sur celui qui se présente comme son (Ndlr, Abdoulaye Diouf Sarr) plus sérieux rival, Amadou Ba, pour diriger la tête de liste de Benno Book Yaakar à Dakar lors des élections législatives de 2017. En 2019, lors de la présidentielle, Macky Sall avait également porté son choix sur ce même Amadou Ba pour coordonner son comité électoral de campagne à Dakar.
Aujourd’hui, Abdoulaye Diouf Sarr semble prendre sa revanche pour les élections locales du 23 janvier prochain. Il a été choisi au détriment de Amadou Ba, Mbaye Ndiaye et autres pour aller à la conquête de la mairie de la ville de Dakar. Les mauvaises langues diront que l’ancien ministre des Finances n’a pas accepté d’aller au casse-pipe… Abdoulaye Diouf Sarr est-il réellement l’homme de la situation ? Selon l’enseignant-chercheur en politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, le professeur Moussa Diaw, « il a des atouts normalement qui ont poussé le Président à le choisir. Sur sa capacité à mener à de bons résultats, ça c’est autre chose », estime d’emblée notre interlocuteur. Qui pense que les choses ne seront pas du tout faciles pour le chef du ministre de la Santé. « Déjà, il y a des frustrations au niveau de la majorité présidentielle. Certains avaient misé sur d’autres. Au niveau de sa capacité de mobilisation, il y a problème parce que certains pensent qu’il n’a pas le charisme pour mobiliser les foules. Outre ce handicap, on constate qu’il n’a pas un projet de société à faire valoir et qu’il ne tient pas un discours rassembleur mais également un discours qui fait drainer les masses » analyse le Pr Moussa Diaw de l’Ugb.
Le journaliste Ibrahima Bakhoum, lui, donne les différents critères recherchés chez un candidat
La première est, selon le vétéran de la presse, l’image qu’on draine dans sa collectivité. C’est-à-dire est-ce qu’on est aimé ou pas aimé ? L’autre critère recherché, à l’en croire, c’est celui de savoir est-ce qu’il y a des gens dans notre clan qui nous soutiennent. Le troisième critère est constitué par le leadership local qu’incarne le candidat. « Sur le plan d’Etat, on peut considérer que son apport dans la lutte contre le Covid-19 est positif. De ce point de vue, on peut considérer qu’il a joué un grand rôle dans ce sens même si d’autres peuvent invoquer d’autres réalités notamment sociologiques... Est-ce que c’est le ministère qui a réussi à faire baisser le taux de contamination ou d’autres critères non scientifiques ? Dans beaucoup de zones du pays notamment parce que le ministère agit sur toute l’entendue du territoire particulièrement à Dakar où il est positionné, il y a une très forte baisse. Là, on peut dire que le ministère a beaucoup travaillé sur ça. Mais, il y a d’autres personnes qui peuvent dire que, malgré tout, il y a d’autres maladies qui continuent de tuer... Dans Benno, certains s’attendaient sans doute à ce que leur cheval soit mis dans la course mais hélas. Après le choix de Abdoulaye Diouf Sarr comme tête de liste, il y a eu sans doute des frustrations. Mais le président Macky Sall a deux mois pour faire taire les frustrations... Sur le plan appartenance ethnique, il faut savoir que les Lébous ne sont plus majoritaires à Dakar. Il gagnerait donc à aller voir les autres Dakarois qui sont hors de sa communauté...», analyse le doyen Ibrahima Bakhoum.
PR MOUSSA DIAW : « Tenir certains propos communautaristes est un précédent dangereux pour notre cohésion sociale »
Le directeur de publication du journal L’Info, Babacar Thiandoum, lui, pense qu’Abdoulaye Diouf Sarr peut bien faire gagne la coalition Benno Bokk Yaakar dans la ville de Dakar. Ce, dès lors que BBY est une grosse machine électorale. « C’est un homme de consensus. Abdoulaye Diouf Sarr est aussi une des personnalités les plus représentatives de la majorité à Dakar. Il a toujours gagné les élections dans son fief au moment où beaucoup d’autres responsables de Dakar perdaient dans leurs bases », soutient Babacar Thiandoum qui pense également que la division de l’opposition peut faciliter la tâche à Abdoulaye Diouf Sarr. Cependant, l’enseignant chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Pr Moussa Diaw, estime que le candidat de la coalition Benno Bokk Yaakar à Dakar utilise un registre dangereux. « Le communautarisme, c’est dangereux. On vit dans un État et on doit bannir le communautarisme. Il fait des discours communautaristes. Ce qui est dangereux. La mairie de Dakar n’est pas la chasse gardée des Lébous. Elle appartient à tout le monde notamment à tous les Dakarois. Donc tenir certains propos communautaristes est un précédent dangereux pour notre cohésion sociale. On n’a pas besoin d’un maire communautariste », dénonce le professeur Moussa Diaw.
IBRAHIMA BAKHOUM : « Barthélemy Dias peut être un vrai barrage pour Abdoulaye Diouf Sarr »
Selon le directeur de publication de L’Info, toutefois, il n’y aurait là rien de grave. À l’en croire, le discours de l’actuel maire de Yoff est politiquement compréhensible. « Nous tous, nous pensons la même chose. Quand on commence entreprend quelque chose, on aime tous commencer avec nos proches. D’ailleurs, rappelle Babacar Thiandoum, n’a-t-on pas l’habitude de dire chez nous que « sou ñou waxè nit baxna est-ce que mbokeu yi gnoko wax ? ». Autrement dit, charité bien ordonnée commence par ses proches… Toutefois le doyen Ibrahima Bakhoum pense que Barthélemy Dias peut être un vrai barrage pour Abdoulaye Diouf Sarr. « Le pouvoir a commis l’erreur de donner l’impression de faire dans une chasse aux sorcières. Et cela positionne Barthélemy Dias et lui donne davantage de chances devant Abdoulaye Diouf Sarr... », soutient en conclusion le journaliste Ibrahima Bakhoum.