AFFAIRE KHALIFA SALL
Allant à l'encontre de la volonté du parquet et de l'Etat Sénégalais d'en finir, la défense de l’édile tente par tout les moyens de retarder le processus judiciaire
Depuis l'’inculpation de Khalifa Ababacar Sall dans l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar, la défense de l’édile tente par tous les moyens de retarder le processus judiciaire. De l’autre côté, l'État du Sénégal comme le parquet se montrent désireux de juger le plus rapidement le maire de la capitale. Une bataille procédurale dans laquelle l’enjeu de la présidentielle de 2019 n’est jamais loin.
Le 3 avril 2017, après un petit mois d’investigations, le juge d’instruction chargé du dossier décide de clore l’instruction visant Khalifa Ababacar Sall et ses co-inculpés. Une célérité qui, dans l’entourage du maire, alimente à l’époque les soupçons sur un éventuel agenda caché de la justice sénégalaise. « Pourquoi cette course contre la montre ? s’interroge l’un de ses proches. La main de la justice se referme-t-elle aussi vite sur Khalifa Sall en raison du calendrier des législatives, prévues le 30 juillet ? » Il est vrai que le maire de la capitale n’est pas un détenu ordinaire. Frondeur du Parti socialiste, une formation membre de la coalition gouvernementale Benno Bokk Yakaar (BBY), Khalifa Sall s’est progressivement dévoilé comme un opposant. En 2014, à la tête d’une liste dissidente, il a ainsi battu à Dakar, lors des municipales, l’ancienne Première ministre Aminata Touré – devenue depuis l’envoyée spéciale du président Macky Sall –, avant de doubler la mise deux ans plus tard en reportant les trois sièges dévolus à Dakar dans le cadre du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT).
Un pedigree susceptible, selon ses proches, d’en faire un challenger potentiel du président sortant en 2019, ce qui alimente depuis près d’un an la polémique sur une procédure judiciaire assimilée par ses supporteurs à « une cabale politique » orchestrée par le pouvoir.
Des requêtes systématiquement rejetées
Depuis le placement sous mandat de dépôt de leur client, le 7 mars, les avocats de Khalifa Sall font feu de tout bois pour ralentir la procédure judiciaire. Fin mars, ils déposent une demande de libération provisoire. Mais celle-ci est rejetée successivement par le doyen des juges d’instruction puis par la chambre d’accusation de la Cour d’appel, avant d’atterrir devant la Cour suprême. Quant à la requête visant à obtenir l’annulation pure et simple de la procédure, elle est écartée, en mai, par la chambre d’accusation.
Le 14 juin, après cent jours de détention, les avocats de Khalifa Sall dévoilent leur nouvelle stratégie de défense. Officiellement candidat aux élections législatives du 30 juillet, le maire risque de mener campagne depuis sa cellule, à la prison de Rebeuss. En conférence de presse, ses conseils exigent donc sa libération d’office, revendiquant le plein exercice de ses droits civiques. « Jusqu’à preuve du contraire, Khalifa Sall est innocent. Il a donc le droit de voter, celui d’être candidat et celui de pouvoir être élu », déclare alors Me Issa Diop.
De nouvelles requêtes sont alors déposées. Comme les précédentes, elles se concluent, le 20 juillet, par un refus catégorique de la Cour suprême.
Imbroglio autour de l’immunité parlementaire
Qu’à cela ne tienne ! Au lendemain de son élection, le 30 juillet, sur la liste Mankoo Taxawu Senegaal, les avocats de Khalifa Sall brandissent désormais l’article 61 de la Constitution, qui dispose qu’« aucun député ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Une immunité parlementaire qui, selon eux, est effective depuis la proclamation officielle des résultats, le 14 août, par le Conseil constitutionnel. « Absurde et même ridicule », rétorque alors Me Baboucar Cissé, l’un des avocats de l’État, rappelant que les faits reprochés au maire de Dakar sont antérieurs aux élections législatives.
De nouveau, le doyen des juges d’instruction s’oppose à la libération d’office de Khalifa Sall, suivi peu après par la chambre d’accusation de la Cour d’appel. Reprenant l’argumentaire des avocats de l’État, celle-ci considère, dans sa décision du 28 septembre, que « Khalifa Sall a été poursuivi, inculpé et placé sous mandat de dépôt avant son élection » .
Une cohérence de vues finalement mise à mal par la décision surprise du Parquet, le 26 octobre, de saisir le bureau de l’Assemblée nationale pour demander la levée de l’immunité parlementaire du nouveau député – reconnaissant ainsi que celle-ci s’applique bel et bien. Pourquoi cette apparente contradiction ? « Ils craignaient que cela resurgisse à l’occasion du procès », explique à JA un proche du maire. Réunis en plénière dans la nuit du 25 au 26 novembre, les parlementaires votent donc, à une écrasante majorité, la levée de l’immunité parlementaire, ouvrant la voie à la tenue du procès.
Un renvoi en correctionnel prononcé à la va-vite
De son côté,la défense du maire tente une nouvelle fois de retarder l’échéance. Dans une lettre datée du 30 novembre, les avocats de Khalifa Sall rappellent au doyen des juges d’instruction l’existence d’une série de recours toujours pendants, lesquels constituent à leurs yeux autant « d’obstacles supplémentaires au prononcé, en l’état, d’une ordonnance de règlement ». En l’occurrence, il s’agit d’une requête déposée le 26 octobre pour obtenir d’une part une expertise sur « les conditions de la création et de fonctionnement de la caisse d’avance », et d’autre part « l’audition du maire, du gérant de la caisse d’avance et de tous les acteurs intervenants dans le fonctionnement de cette caisse d’avance de 2003 à 2015 ».
Ces demandes restent lettre morte jusqu’au 7 décembre, date de la notification à la défense du refus du doyen des juges d’instruction. Le jour même, celui-ci publie pourtant l’ordonnance de renvoi en correctionnelle du maire de Dakar, faisant fi de l’appel formé peu de temps auparavant par la défense.
Quelques heures avant la décision du magistrat, la Cour d’appel et la Cour suprême avaient été appelées à statuer dans l’urgence sur les différents recours déposés pour le compte de Khalifa Sall. « Ils ont fait en sorte tous ces recours soient épuisés en une seule journée », explique Me Ciré Clédor Ly, l’un des avocats du maire. « La défense est prête à plaider » Une semaine seulement après la publication de l’ordonnance de renvoi, le procès s’ouvre le 14 décembre, au Palais de justice de Dakar. Mais l’audience est finalement reportée par le tribunal afin de laisser plus de temps aux avocats pour prendre connaissance du dossier. Rebelote le 3 janvier : une nouvelle fois, la défense obtient le report du procès, en arguant d’un manquement procédural. « On connaît la stratégie utilisée ici pour retarder la tenue de ce procès », déplore alors Me Félix Sow, au nom de l’État du Sénégal. « Mais la défense est prête à plaider », ajoute-t-il.
Depuis, le conseil municipal a adopté, le 15 janvier, une délibération permettant à la Ville de se constituer partie civile dans le procès, qui a repris le 23 janvier, et, ainsi, de peser sur le processus judiciaire. Quelques jours plus tôt, les avocats du maire ont déposé trois requêtes conjointes devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), afin de dénoncer des « violations » des droits de la défense.
Tentatives délibérées d’obtenir un nouveau report du procès ?
Si les soutiens du maire ne le mentionnent jamais ouvertement, l’échéance du 25 janvier 2019 est présente dans tous les esprits. À cette date, en effet, le Conseil constitutionnel publiera la liste définitive des candidats à l’élection présidentielle. En cas de condamnation définitive de Khalifa Sall – ce qui supposerait un jugement en première instance, puis un appel et un pourvoi en cassation –, le maire de Dakar serait dans l’impossibilité de concourir au scrutin si la peine est assortie d’une inéligibilité. À l’inverse, s’il demeurait présumé innocent à la date fatidique, ses partisans entendent bien le voir mener campagne; fût-ce depuis sa prison.