AFRIQUE, POURQUOI LA JEUNESSE CLAME : FRANCE DÉGAGE
À Ouagadougou, à Saint-Louis, à Dakar... se déroulent des manifestations anti-françaises de plus en plus violentes. Derrière, une poussée décoloniale, anti-impérialiste, détournée en partie au profit de rivalités politiques. Reportages
Saint-Louis, la grande ville à l’architecture coloniale du nord du Sénégal, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a retrouvé un peu de sa superbe en ce mois de novembre. Élections municipales obligent – elles auront lieu à la fin janvier 2022 –, des équipes de nettoyeurs s’activent pour balayer les rues et ôter une partie des déchets en plastique qui ont envahi l’agglomération, s’accrochant partout aux arbres, aux filets de pêche, débordant du fleuve Sénégal qui se jette dans l’océan Atlantique.
La vaste plage qui longe le cimetière musulman offre le même spectacle de décharge à ciel ouvert, avec au loin les piroguiers qui font vivre le quartier surpeuplé de Guet Ndar, majoritairement composé de la communauté de pêcheurs lébous. En face, le mythique hôtel de la Poste où séjournait Jean Mermoz, figure de l’aventure de l’Aéropostale. Et, enjambant le fleuve, l’immense pont Faidherbe, inauguré en octobre 1897 par le ministre français des Colonies André Lebon et baptisé en l’honneur de Louis Faidherbe, administrateur colonial de la ville et acteur majeur de la conquête du pays par les troupes françaises.
En plein centre-ville, une statue à l’effigie du pacificateur sanglant de l’Algérie témoigne encore d’un « Sénégal reconnaissant », alors qu’une campagne animée par un collectif d’associations françaises et sénégalaises réclame la chute de ce symbole – comme de débaptiser ou faire tomber rues et monuments l’honorant en France.
Soixante ans après l’indépendance et le départ du dernier administrateur colonial, la jeunesse sénégalaise est saisie par une intense poussée « décoloniale » et par une rancœur croissante envers l’influence prêtée aux décideurs parisiens dans les affaires du pays. Un collectif baptisé France dégage multiplie les actions coups de poing. Son principal animateur, l’activiste Guy Marius Sagna, a effectué plusieurs mois de prison, accusé notamment d’organiser des rassemblements non autorisés et de diffuser de « fausses nouvelles ».
Populisme
Mais c’est surtout Ousmane Sonko, étoile montante de la politique sénégalaise très populaire auprès de cette même jeunesse, qui s’est imposé comme l’opposant numéro un du président Macky Sall en portant ce combat contre la politique africaine de la France. Lors de la dernière campagne présidentielle de 2019, où il s’est hissé à la troisième place, le populiste n’a cessé de pointer le pillage des ressources pétrolières et gazières par des entreprises françaises, Total en tête. Le principal gisement, situé en face du cimetière de Saint-Louis, à cheval sur les eaux mauritaniennes, devrait produire ses premiers mètres cubes de GNL (gaz naturel liquéfié) à l’horizon 2023 et constituer une rente colossale pour le pays.