ATTENTION ! DÉRIVES…
L’Etat doit coupler fermeté et souplesse pour traiter ces cas présumés de terrorisme sans heurter les convictions des partisans des imams mis en cause et ni violer leur dignité
Le besoin de sécurité est une préoccupation fondamentale de l’homme. Et la première fonction de l’Etat est d’assurer la sécurité extérieure c’est-à-dire contre les agressions de la part de groupes ou d’Etats souverains. A cela s’ajoute la sécurité intérieure afférente à la protection physique des individus et de leurs biens. Les instruments de l’Etat pour assurer ces fonctions sont l’armée et la police et la justice.
Il est évident que l’Etat, détenteur de la violence légitime et contrôlant la force publique c’est-à-dire l’armée et la police, dispose d’un privilège exclusif pour exercer légalement cette violence. Il arrive que la tentation soit grande pour que cette violence déborde de son champ normatif pour verser dans l’arbitraire. Et dès l’instant qu’une telle situation de violation du droit d’un ou des citoyens se produit, on risque d’assister à une situation de refus, de résistance voire de révolte.
Aujourd’hui beaucoup de pays sont confrontés à un problème de terrorisme. Et si on en est arrivé à ce point-là, c’est parce que les Etats concernés ont fait le lit du terrorisme à cause des maladresses commises pour combattre ce fléau des temps modernes.
Terrorisme algérien des années 90
En Afrique, le parfait exemple des dérives étatiques qui ont conduit à un cycle de violence infernal est sans doute celui de l’Algérie des années 1990. Lors des élections locales du 12 juin 1990, premières élections libres en Algérie, le Front islamique du Salut (FIS) avait remporté 953 communes sur 1539 et 32 wilayas sur 48 soit 54,3% des suffrages exprimés.
Le 26 décembre 1991 a eu lieu le premier tour des élections législatives. Le parti islamique d’Abassi Madani et d’Ali Belhadj (mis en prison après la grève totale commanditée par le FIS en 1991) dirigé par Abdelkader Hachani frôle la majorité absolue avec 3 260 000 de voix soit 47,54% des suffrages exprimés et décroche 188 des 430 sièges de l’Assemblée nationale contre 25 pour le Front des forces socialistes (FFS), 15 pour l’ex-parti unique, le Front de libération nationale (FLN), et 3 pour les candidats indépendants.
Avec plus de 140 ballotages favorables, le FIS est même pratiquement assuré de remporter la majorité absolue à l’issue du second tour prévu à la mi-janvier. Prenant acte de la situation qui prévaut, et qui risque de tourner à son désavantage, l’armée dirigée par le général Khaled Nezzar, sous prétexte de lutter contre le terrorisme islamiste, décide le 11 janvier 1992 de pousser à la démission le chef de l’État, le président Chadli Bendjedid, et d’interrompre le processus électoral. Le scrutin est annulé. Une partie de la classe politique, regroupant des membres du régime et certains partis d’opposition, soutient la décision des militaires tandis que le FIS et certains autres opposants voient en elle un coup d’Etat. Le FIS est déclaré hors-la-loi en mars 1992.
Les municipalités qu’il gère sont dissoutes, les mosquées qu’il contrôle dépolitisées et de très nombreux dirigeants et militants emprisonnés. Une nuit cauchemardesque tombe sur l’Algérie. Les violences commencent presqu’aussitôt. Le pays s’enfonce dans une crise profonde, prélude d’une longue décennie de violence, la plus meurtrière de son histoire post-indépendance.
L’Armée islamique du Salut (AIS), la branche armée du FIS, entre en action en juillet 1992 en s’attaquant à l’armée et à des objectifs publics. Le Groupe islamique armé (GIA), la plus radicale et la plus violente des organisations algériennes se réclamant de l’islamisme intégriste, se lance dans une violence inouïe en déclarant une guerre totale au gouvernement, aux intellectuels et aux agents de l’Etat. C’est ce qu’on appelle la décennie noire qui durera de 1992 à 2002 avec plus de 100 000 personnes tuées, des milliers de disparus, un million de personnes déplacées, des dizaines de milliers d’exilés et plus de vingt milliards de dollars de dégâts.
De Mohammed Yusuf à Boko Haram
Et depuis 2009, le Nigeria avec Boko Haram a emboité le pas de l’AIS et GIA avec une série d’attentats à laquelle le pouvoir central reste impuissant. Il faut préciser que la secte Boko Haram fondée par Mohammed Yusuf n’avait pas initialement des objectifs terroristes et insurrectionnels déclarés contre le pouvoir nigérian.
Il importe de souligner que l’exécution de Mohammed Yusuf, père fondateur de ladite secte, par les forces de sécurité, en a fait un martyr. Et la répression aveugle de ses fidèles et sympathisants qui s’en est suivie a été une grave erreur stratégique parce qu’elle aura contribué à radicaliser le mouvement Boko Haram. L’élimination physique de Mohammed Yusuf a par ailleurs légitimé les éléments les plus radicaux de ladite secte, favorables au basculement dans la violence terroriste. Et le 26 août 2011, un attentat-suicide contre les bureaux des Nations Unies à Abuja a notamment révélé au grand jour la dimension internationale prise par une organisation. Depuis lors, le pouvoir central nigérian, aidé par les puissances étrangères africaines et occidentales, ne parvient pas à juguler les assauts terroristes de Boko Haram, dirigé par un disciple de Mohammed Yusuf en l’occurrence Abubakar Shekau. Pire Boko Haram est devenue une menace sérieuse contre la paix, la sécurité et la stabilité des régions d’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Ainsi après plusieurs centaines de victimes et biens publics détruits, le gouvernement fédéral nigérian admet aujourd’hui que la brutalité de la répression contre les sectaires de Boko Haram s’est avérée contreproductive.
L’émergence du terrorisme nouveau
Récemment l’ex-Premier ministre Tony Blair a présenté ses plates excuses en reconnaissant que les renseignements qui l’ont conduit avec Georges Bush à investir l’Irak le 20 mars 2003 n’étaient pas avérés. Ce fut une immense partie de poker menteur. Et c’est cette situation qui a fait le lit de l’organisation terroriste de Daesh qui a étendu ses tentacules jusqu’en Libye, pays détruit par la seule volonté de Nicolas Sarkozy.
Si la Libye, l’Irak et le Nigeria sont devenus les terreaux fertiles du terrorisme, c’est à cause de l’arbitraire de certains chefs d’Etat qui ont cru que, pour servir leurs intérêts propres ou pour assouvir leur haine vindicative, il fallait illégalement user de leur puissance militaire pour écraser leurs ennemis. Le résultat est que, aujourd’hui, le monde est plongé dans une spirale de violence sans fin dont les cibles privilégiées sont leurs promoteurs. Rien qu’en 2014, 31 000 personnes ont trouvé la mort dans des attaques terroristes.
Éviter l’erreur du Nigeria
Le Sénégal dans sa stratégie d’anticipation et de lutte contre le terrorisme utilise ses services compétents pour démanteler tous les réseaux ou présumés réseaux dormants du terrorisme depuis plus d’une décennie. C’est ainsi que depuis 2003, l’imam Mamour Fall, expulsé d’Italie pour avoir fait l’apologie du terrorisme, est répertorié par les services secrets étrangers et surveillé par les services secrets sénégalais. Mais depuis un certain temps, la lutte contre le terrorisme s’est intensifiée avec l’arrestation le 5 octobre dernier de l’imam Ibrahima Sèye de Kolda surveillé depuis quelques temps à cause de ses sermons radicaux et virulents contre le président de la République et ses homologues américain et français. Il est soupçonné d’entretenir des relations avec des organisations mondiales terroristes.
A cela s’ajoute la mise aux arrêts de l’imam Alioune Badara Ndao de Kaolack pour des liens supposés avec l’organisation terroriste Boko Haram. Le dernier imam arrêté habite Rufisque.
Il est normal que l’Etat dont la mission régalienne première est d’assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens interpelle tout citoyen soupçonné d’avoir des collusions avec un mouvement terroriste et au besoin le placer sous mandat de dépôt en attendant que les enquêtes judiciaires le confirment ou l’infirment. Il s’agit certes d’une stratégie louable aux yeux de plusieurs citoyens qui recommandent beaucoup plus de vigilance de la part de l’Etat, si l’objectif visé est de déjouer toute atteinte à la sécurité du pays.
Reste que des inquiétudes subsistent quant à la bonne application des consignes données pour appréhender ces imams. En effet, la descente menée chez l’imam Sèye laisse planer des doutes sur la régularité de la procédure utilisée par les forces de l’ordre lors de son arrestation. La manière brutale et humiliante avec laquelle le président de la Ligue régionale des imams et prédicateurs de Kaolack a été arrêté nuitamment n’a pas manqué de heurter ses proches et de révolter ses fidèles coreligionnaires. Des voix se sont élevées pour moufter et condamner les atteintes à la dignité de l’imam de Kaolack. Certains de ses fidèles versent même dans la menace. Ce qu’il faut prendre très au sérieux. De telles pratiques, loin de faire l’unanimité, contribuent beaucoup plus à créer la psychose et à alimenter un sentiment de révolte.
Les erreurs commises avec l’exécution du fondateur de Boko Haram, Mohammed Yusuf, doivent être évitées par nos services de sécurité. Pour les adeptes du djihadisme, le terrorisme est devenue la seule arme des faibles et des humiliés contre les puissants qui usent de l’arbitraire pour les opprimer. L’Etat doit coupler fermeté et souplesse pour traiter ces cas présumés de terrorisme sans heurter les convictions des partisans des imams mis en cause et ni violer leur dignité. Il faut éviter en voulant servir une bonne cause qui est celle d’assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens de servir (in)consciemment les desseins d’une idéologie mortifère.