AU COEUR DU DOPAGE DES POLITICIENS
Chez les hommes politiques, l’activité est souvent très intense, surtout en période de campagne électorale. Entre prise de compléments alimentaires, produits stimulants, sport, chacun y va de son astuce
Chez les hommes politiques, l’activité est souvent très intense, surtout en période de campagne électorale. Entre prise de compléments alimentaires, produits stimulants, sport, chacun y va de son astuce. Un dopage afin de fournir beaucoup plus d’effort, d'augmenter son rendement politique.
Il est de ces jours qui marquent. De ces moments où, victime d’un terrible coup de fatigue ou d’un ébranlement psychique, on perd ses moyens. A Bignona, ce matin-là, au sud du Sénégal, l’image de Ousmane Sonko, s’affaissant devant le pupitre, a fait transir de peur tout un pays. Ses soutiens, comme ses pourfendeurs politiques. Dans son fief, en compagnie de certains leaders de l’opposition, la tête de gondole de Pastef, venu rendre hommage aux «jeunes martyrs» des émeutes de mars, s’est soudainement mise à s’écrouler de tout son poids. Debout à côté de l’ex-ministre Aïda Mbodji, au micro, et de Cheikh Tidiane Dièye, Sonko, maître de cérémonie, par son geste imprévu, a fait se peindre les visages de la foule d’une expression d’effroi. Aïda Mbodji sera obligée d’écourter son discours. Avec Cheikh Tidiane Dièye et Barthélémy Dias - qui s’est brusquement levé de sa chaise -, ils évitent au leader de Pastef, pris par un malaise, une chute qui aurait pu lui être fatale. L’assistance ébahie, retient son souffle. Les commentaires vont bon train. La vidéo de moins d’une minute devient virale sur les réseaux sociaux. Mais plus de peur que de mal. Ousmane Sonko est réapparu aux côtés de ses collègues de l’opposition, sourire aux lèvres et parle d’«une émotion refoulée». Dans un post sur Facebook, Cheikh Tidiane Dièye affirme : «Notre ami Ousmane Sonko a eu un malaise passager, sans doute dû au soleil ardent, aux nuits courtes et à l’intensité sentimentale du moment. Rien de grave. Grâce à Dieu.» En un mot, à une fatigue, fruit d’une période intense vécue par le leader de Pastef/les patriotes. Entre mars et mai 2021, Ousmane Sonko et ses soutiens sont passés par toutes les émotions avec l’accusation de viols répétés et de menaces de mort contre lui par Adji Sarr, une masseuse de 20 ans. A sa sortie de garde à vue, il initie une tournée de remerciements. Ousmane Sonko ne se pose pas une seule fois. Il est presque partout. L’homme est fatigué, selon plusieurs observateurs de la scène politique, mais il tient à sa tournée, à communier avec ses soutiens. Un rythme infernal. Le même presque pour tous les hommes politiques surtout en période d’élection.
«Un comprimé de Berocca après le petit-déjeuner»
A moins d’un mois du démarrage de la campagne électorale pour les Locales du 23 janvier, on se demande encore comment font les politiques pour tenir, entre tournées des médias, visites sur le terrain et multiplication des meetings… Un rythme effréné qui dure pour certains depuis plusieurs mois. Comment arrivent-ils à tenir ? «Il faut savoir doser ses efforts. Il faut trouver le temps de manger et de dormir. Si on parvient à créer cet équilibre, c’est qu’on a réussi», assure Souleymane Ndéné Ndiaye, ancien Premier ministre sous Wade. Mais pour se maintenir en forme, l’utilisation de complément alimentaire ou de produits stimulants semble inévitable. Souleymane Ndéné Ndiaye : «Je prends, chaque matin, après le petit-déjeuner un comprimé de Berocca. (Un complément alimentaire qui fournit l’énergie nécessaire pour la journée, grâce aux vitamines B (sauf B9) et C, et au magnésium, qui contribuent à un métabolisme énergétique normal et qui soutient la forme physique et l’activité mentale, Ndrl). Il faut juste y aller avec tact.» Surtout qu’en temps de campagne, les politiques n’ont pas le temps d’être suivis très régulièrement par un médecin. Beaucoup de choses se jouent au mental, grâce à l’énergie, l’adrénaline, leur entourage. Entre les réunions, bains de foule et les interviews, les candidats sont sur le pont 7 jours sur 7 et font souvent face à beaucoup d’événements pas forcément excitants et motivants. Trouver une astuce pour déborder d’énergie en vue de séduire l’électorat s’avère plus que jamais nécessaire.
«On se “dope” à la vitamine C, l’ami des équipes de campagne»
Aminata Touré a son petit secret pour se maintenir en forme, surtout lors des grands événements politiques. Premier ministre sous Macky Sall du 1er septembre 2013 au 06 juillet 2014, elle a été tête de liste de la coalition Benno Bokk Yakaar (Bby) à Dakar lors des élections locales du 29 juin 2014. Mimi Touré a aussi été de l’équipe de campagne du candidat Macky Sall à la Présidentielle de 2019. Elle a connu bain de foule, fatigue, stress, manque de sommeil. Un rythme éprouvant. «On se “dope” à la vitamine C, l’ami des équipes de campagne. Imaginez le candidat, dont la préoccupation est de préserver sa voix, son outil essentiel. Mais c’est l’adrénaline qui fait avancer essentiellement», révèle-t-elle. Elle poursuit : «La vitamine essentielle c’est l’engagement! Lorsqu’on a toutes ses forces tendues vers l’objectif, c’est comme un anesthésiant, même si après, on décompense. C’est comme les marathoniens qui mettent plusieurs semaines à se remettre. On peut perdre jusqu’à 15 kg. La politique c’est aussi bien un exercice oral que physique et on aimerait que ce soit aussi un exercice intellectuel au sens de réfléchir pour l’intérêt de la nation. Une chose est sûre : la politique n’est pas une activité de farniente ni de paresse! Il n’y a pas d’aliments durant une campagne nationale, souvent le déjeuner de midi se mange à 3 heures du matin. Les biscuits et les fruits sont les coupe-faim favoris.»
«Du citron, du miel, du jus de bouye chauffé, des graines de moringa chaque matin»
Il faut donc pouvoir affronter faim, soif et fatigue pour faire un ‘’bon’’ homme politique. Ancien secrétaire général de la Présidence, plusieurs fois ministre sous Wade, Abdoulaye Baldé en connaît un rayon. Il a vécu presque toutes les situations en politique. Lui a compris qu’en politique, il faut un bon régime alimentaire en plus d’une hygiène de vie parfaite. Abdoulaye Baldé : «Je fais une à deux heures de temps de salle par jour deux ou trois fois par semaine. Je prends des vitamines C le matin, du citron, du miel, du jus de bouye chauffé sous forme de tisane. Ça te maintient en super forme. Il ne faut pas boire beaucoup d’eau non plus quand on doit sortir parce qu’après, on a une envie pressante d’aller aux toilettes, alors que la seule personne qui ne doit pas s’absenter c’est toi. Il faut boire avec modération, juste ce dont ton organisme a besoin. Je prends aussi des graines de Moringa. Je ne mange pas beaucoup parce qu’après aussi ça t’alourdit. Depuis six mois, je ne prends qu’un seul repas par jour, donc je suis déjà habitué.»
Me Wade, la sieste quotidienne et les pastilles
En politique, il faut également une bonne capacité de récupération et de la modération. Il faut un mental très fort. Si un homme doute, réfléchit, somatise, il ne tiendra pas le coup. Tout se joue au mental. «Tout dépend des personnes, nous ne sommes pas de la même constitution, cliniquement nous ne sommes pas les mêmes, moralement nous ne sommes pas les mêmes, mentalement nous ne sommes pas les mêmes. La base essentielle, c’est l’hygiène de vie. Quand on a l’hygiène de vie qu’il faut, facilement, on peut supporter la fatigue. La fatigue n’est pas seulement physique, elle est aussi mentale. L’autre élément qui est très important, c’est la capacité pour chacun d’entre nous de récupérer quand on est fatigué», croit savoir Serigne Mbacké Ndiaye, ancien ministre et porte-parole du président de la République, Abdoulaye Wade. Abdoulaye Wade, l’opposant politique, le chef d’Etat qui a toujours su dompter des foules, communier avec ses militants, réussi à tenir parfois toute une journée pour son âge avancé. Me Wade avait aussi son astuce. Serigne Mbacké Ndiaye : «Le Président Wade, pour ceux qui le connaissent ne lui parlent jamais pendant ses heures de sieste. Wade ne rate jamais sa sieste. Entre 14 heures 30, 15 heures, 16 heures jusqu’à 16 heures 30 minutes, il faut le laisser tranquille et après sa sieste, il reprend sa forme. Son petit-déjeuner, c’est quelque chose de très naturel ; du fondé, quinquéliba…» Il arrivait aussi à Me Wade de prendre quelques compléments. «Le Président Wade prenait des pastilles. Une fois le ministre d’Etat Ousmane Ngom était revenu de voyage et lui a amené des pastilles en lui disant : «Président, ça c’est bien pour maintenir la voix.» Nous étions en discussion et nous avons vu le Président en prendre régulièrement et Ousmane Ngom lui a dit, mais Président on en prend six par 24 heures et le Président Wade de lui dire, j’ai déjà pris 8 en 24 heures.»
Au-delà des compléments alimentaires, Serigne Mbacké Ndiaye est d’avis que tout est question d’organisation. «Il faut y aller avec méthode. Il y a des hommes politiques qui peuvent circuler toute la journée pour avoir un résultat zéro ou presque zéro. Il y a d’autres du point de vue organisationnel, ils descendent là où il faut descendre, ils parlent là où il faut parler, ils récupèrent là où il faut récupérer et quelque part même, ils dorment dans la voiture. En plus, derrière chaque homme politique, il y a un médecin qui le suit du matin au soir ou une fois par semaine, il trouve le temps d’aller consulter son médecin qui lui prescrit souvent un régime alimentaire, qui vous dit parfois quel médicament prendre.» Mais, prévient-il : «Il faut éviter la dépendance. Les vitamines doivent venir en appoint. Ça peut entraîner des effets secondaires. Ça ne doit pas être l’essentiel. Le plus important, c’est de veiller à avoir une hygiène de vie ; manger correctement, boire correctement, éviter l’alcool, la drogue, la cigarette, éviter de se surmener, éviter des efforts physiques et faire du sport. Dans les domiciles de tous les hommes politiques, il y a au moins dans leur salon un tapis ou un vélo. Wade avait ses 64 mouvements à faire tous les matins pour se maintenir.» Lui prend personnellement des vitamines C le matin pour se maintenir : «il m’arrive d’aller au lit à 4 heures du matin et de me réveiller à 6 heures et je suis en pleine forme et je peux ne pas dormir jusqu’au soir. Chaque 24 heures, je peux dormir une heure ou deux heures. Il arrive quelques fois dans la journée que je ferme l’œil 20 à 30 minutes et je reprends très rapidement mes forces. Le matin, avant de sortir, prendre des vitamines C qui vous aide à tenir toute la journée. Ce qui dope surtout l’homme politique, c’est les foules. Tant que vous les avez en face de vous, vous n’êtes pas fatigués.» S’il le dit.