AU-DELÀ DE LA LANGUE DE BOIS !
Il faudra bien qu’un jour, Benno nous dise quand seront enfin traités les cruciaux sujets de la candidature unique et du calendrier républicain
Une fois n’est pas coutume. La coalition Benno Bokk Yakaar a fait preuve d’une surprenante réactivité en se prononçant sur des questions d’actualité brûlante. Six timoniers (Ousmane Sèye, Maguette Thiam, Ousmane Tanor Dieng, Mamadou Ndoye, Jean Paul Diaz et Robert Sagna), d’un bateau en errance sur une mer agitée étaient chargés du difficile exercice d’explication. L’unanimisme des positions et l’encadrement serré du verbatim servi ne diffèrent en rien d’une communication du Politburo. Les rôles étaient bien dispatchés avec sans doute la consigne que chaque orateur devait se cantonner à sa parcelle.
Ousmane Sèye l’avocat (aspects judiciaires, poursuite des biens mal acquis), Maguette Thiam l’enseignant (éducation, universités), Mamadou Ndoye, le porte-parole du jour dans le rôle du meneur de jeu, (texte introductif, problèmes politiques), Ousmane Tanor Dieng le diplomate (burka, lutte contre le terrorisme), Jean Paul Dias l’économiste du jour et «représentant officiel du Président Macky Sall» (le rapport du FMI, le Doing Business) et Robert Sagna l’ingénieur agronome (campagne agricole, SUNEOR).
La brochette de dirigeants, porte-paroles des coalitions composant Benno, a strictement appliqué les consignes : féliciter le président de la République de ses performances politiques et éviter d’aborder les sujets clivants. Même l’absence remarquée de l’APR au présidium (Me Oumar Youm, le Directeur de cabinet du Président Sall aux premiers rangs du public veillait quand même grain) et de l’AFP trouvait justification.
La chaise vide de Moustapha Niasse ou de son représentant avait de quoi surprendre car l’AFP est jusqu’ici l’alliée la plus fidèle du Président Sall. Les progressistes ont partout claironné que leur soutien à Macky Sall était irréversible. Au point de subir une scission de leur parti avec le départ de Malick Gakou et Cie. Cette absence remarquée relève-t-elle de la bouderie, après la rencontre annoncée entre le Grand Parti de Gakou et une délégation officielle de l’APR. Ce rapprochement ne pouvait être en aucun cas du goût de Moustapha Niasse et son parti, qui pourraient y voir à raison, une onction faite à leurs désormais farouches adversaires.
Manifestement, l’intérêt de Benno était ailleurs que dans les querelles byzantines des partis. Il fallait tout simplement assurer le SAV (service après-vente) des dernières sorties du Président Sall en leur accordant une bienveillante caution. Même la conférence sur paix et la sécurité, un grand flop diplomatique (aucun chef d’État, en dehors du Sénégal, n’a répondu à l’appel des organisateurs) a trouvé grâce à leurs yeux, avec ses quelque mille participants, son inscription au calendrier des grandes rencontres internationales. Un bien maigre lot de consolation.
Mais peu importe à Benno, puisque le Président Macky Sall s’y est brillamment illustré en dénonçant avec force le terrorisme, promettant même de faire interdire le port du voile intégral au Sénégal. Il faut vraiment être de Benno pour trouver une originalité ou une bravoure dans la condamnation du terrorisme, ce lieu commun. De plus, c’est vraiment manquer de jugeote que d’approuver la position présidentielle sur un phénomène aussi isolé que le port de la burka.
Cet accoutrement très marginal dans notre pays, mérite-t-il autant d’ardeur de stigmatisation ? Et quel serait l’intérêt d’une «grande rencontre» nationale réunissant tous les acteurs pour parler de la burka ou même du terrorisme, deux épiphénomènes ? N’y a-t-il pas d’autres sujets plus méritoires de concertation et de consensus comme l’application des conclusions CNRI sur la réforme des institutions, le calendrier électoral ?
Benno Bokk Yakaar a surfé sur les trains qui arrivent à l’heure, préférant ostensiblement occulter les sujets qui fâchent, comme la candidature unique proposée par le Président Sall et le devoir de solidarité au sein de la coalition. Aussi bien Mamadou Ndoye qu’Ousmane Tanor Dieng ont servi la même litanie, «cette question n’est pas à l’ordre du jour» avec une gêne perceptible à dix mille lieux. On le voyait dans leur visage fermé quand un journaliste a le plus normalement du monde soulevé cette question. Ses interlocuteurs coincés le regardaient en OVNI.
Il est vrai qu’il était plus commode pour eux de «taper» sur le PDS et de déclamer la quiétude et la normalité dans lesquelles baignerait l’Assemblée nationale, dans une législature que tout le monde considère comme la plus «faible» de l’histoire politique du Sénégal. Fustiger et regretter les dérapages des libéraux en conflit interne est manifestement plus aisé pour eux que dénoncer l’inadmissible et évident parti-pris du bureau de l’Assemblée nationale en faveur de Modou Diagne Fada.
Cette unité de façade ne surprend pas. Benno est tellement englué dans ses contradictions que ce masque lisse et cosmétique cache mal une face rugueuse, faite d’incroyables aspérités. Jean Paul Dias dans sa verve habituelle a ajouté au tableau idyllique ses attaques sans doute justifiées contre les incohérences du classement du FMI et du Doing Business. Il a pulvérisé les indicateurs macro-économiques qui sous-tendent les arguments du FMI et relativisé la fanfaronnade partisane sur le classement du Doing Business.
L’analyse de Robert Sagna sur la campagne agricole tout comme les pertinentes lignes directrices tracées par Maguette Thiam sur l’avenir des écoles et universités sont les seuls éclairages scientifiques qu’on aurait pu en retenir, s’ils n’étaient moulés dans la langue de bois.
Il ne manquait plus alors qu’une motion de félicitations au Président Macky Sall pour ses «brillants résultats» accouplée d’une autre motion de soutien à sa candidature. Mais ce pas, Benno n’osait pas le franchir, persuadé que les vrais sujets de fond ne peuvent être abordés au risque de faire éclater une coalition assise sur du sable mouvant.
Il faudra bien qu’un jour, Benno nous dise quand seront enfin traités les cruciaux sujets de la candidature unique et du calendrier républicain. Il est un impérieux besoin pour la classe politique et les Sénégalais de connaître enfin les échéances incontournables vers lesquelles nous devrions aller et qu’un épais écran de fumée, comme la sortie de Benno, nous cache.