AU SÉNÉGAL, LA GAUCHE CONDAMNÉE PAR LE SYSTÈME
L'économiste Ndongo Samba Sylla décrypte la réalité politique du pays. Il pointe du doigt la stabilité comme un néocolonialisme accepté. Selon lui, la gauche ne peut accéder au pouvoir dans ce système
Le Sénégal est souvent cité comme une vitrine démocratique en Afrique. Mais pour l'intellectuel sénégalais Ndongo Samba Sylla, cette stabilité est l'autre face du néocolonialisme que le Sénégal accepte depuis l'indépendance.
La radicalité, c'est souvent de ramer à contre-courant des idées reçues. Et dans ce registre, Dr Ndongo Samba Sylla est manifestement un champion car sa dissidence intellectuelle est avérée et notoire. Modérant la cérémonie de présentation du livre Révolutionary Movements in Africa an Untold Story, le chercheur est revenu sur la trajectoire démocratique du Sénégal. En effet, pour l'économiste du développement, le Sénégal se pâme souvent d'être un pays démocratique. «Le Sénégal est un pays démocratique, une vitrine démocratique. Cette stabilité qu'on a et qui nous vaut cette réputation de pays démocratique c'est parce qu'on est arrivé à domestiquer la gauche, tuer la gauche d'un point de vue institutionnel», note-t-il avant d'ajouter : «la stabilité que nous avons, c'est l'autre face du néocolonialisme que nous avons accepté».
S'exprimant en outre sur la crise institutionnelle qui secoue le pays depuis quelques semaines, Dr Sylla a fait savoir que pour la première fois au Sénégal, il était possible d'avoir un candidat jeune, c'est-à-dire moins de 50 ans, qui soit nationaliste ; «qui n'est pas forcément de gauche mais nationaliste qui, pour une fois, pouvait gagner des élections dans les pays qui étaient colonisés par la France. Pour la première fois. Mais qu'est-ce qui est arrivé ? Il y a eu report des élections», regrette-t-il. Il souligne dans la foulée que c'est ce système néocolonial qui prévaut au Sénégal et en Afrique francophone.
Est-ce que la perspective, c'est «Aar Sunu Election» ?
Pointant du doigt aussi la réaction très spontanée des intellectuels sénégalais, il soutient : «Quelle a été la réaction des intellectuels? C'est de demander la protection de la Constitution. Que voulons-nous faire avec cette Constitution ? Qu'est-ce qui est possible avec notre Constitution ?» De son avis, les intellectuels doivent revoir le sens de la révolution au 21e siècle. «Est-ce que c'est toujours de dire « Aar sunu élection»? Est-ce que c'est ça la perspective ? Il y a des combats ponctuels certes, mais quelle est la perspective à long terme ?» se demande l'auteur de ‘’De la Démocratie en Françafrique, une histoire de l'impérialisme électoral’’.
«La gauche ne peut pas parvenir au pouvoir»
Par ailleurs, disséquant l'histoire de la Gauche en Afrique francophone, il déclare : «En tout cas si on prend le cas de l'Afrique francophone, il y a une spécificité. La Gauche ne peut parvenir au pouvoir, ce n’est pas possible que la gauche parvienne au pouvoir». Et en donnant les raisons de cette impossibilité d'accéder au pouvoir pour la Gauche, l'iconoclaste intellectuel estime que dans le cadre du système colonial, il était clair que les élites qui avaient été créées comme les Senghor, les Houphouet Boigny et autres, leur rôle, d'après lui, était de servir d'interface entre les administrations coloniales et les populations et les mouvements les plus radicaux. «Les élections ont été toujours utilisées d'une certaine manière pour écarter la gauche. Et quand la gauche avait la possibilité de remporter les élections, on a dissous les partis de gauche ou on a fait simplement des trucages», renseigne-t-il pour s'en désoler.
Signalant que la gauche ne peut exister d'un point de vue institutionnel et électoral. «Les rares dirigeants communistes sont venus par des coups d'Etat», signale Ndongo Samba Sylla qui cite l'exemple de Thomas Sankara au Burkina Faso. Il n'y a jamais eu d'options, d'après lui, pour la Gauche dans le cadre électoral.