« LE M23 N’EST PLUS QU’UNE OMBRE»
Alioune Tine revient sur l’évolution du mouvement, neuf ans après «la révolte» contre le troisième mandat d’Abdoulaye Wade, et qui avait contribué à la chute du patriarche libéral
Dans cet entretien, l’Ancien Président de la raddho et du Comité sénégalais des droits de l’Homme revient sur l’évolution du mouvement du 23 juin, neuf ans après «la révolte» contre un troisième mandat d’Abdoulaye Wade, et qui avait contribué à la chute du patriarche libéral. L’ancien Directeur d’’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et fondateur du think tank «Afrikajom Center» aborde aussi brièvement, dans cette interview, les questions liées à la sécurité au sud du Sénégal et la situation au Mali.
«L’AS» : Neuf ans après les évènements du 23 juin qui ont fortement contribué à la chute de l’ancien Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, que reste-t-il aujourd’hui du M23 ?
Alioune TINE : Pour moi, après l’échec du 3ème mandat du Président Wade et l’élection du Président Macky Sall, j’ai quitté la coordination du M23 et j’ai passé la main à Mamadou Mbodj. Le M23 est un mouvement unique qui a rassemblé la société civile, les partis politiques, des artistes, des personnalités indépendantes et des Sénégalais ordinaires. Les compétences multiples dans tous les domaines réunis par le M23 constituaient aussi une particularité. Avec la formation du gouvernement et les réalités et aléas de la vie politico-administrative, des fissures et des ruptures sont vite apparues. Aujourd’hui le M23 n’est qu’une ombre et ça se comprend. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et le contexte politique a également évolué.
La contestation prend de l’ampleur ces derniers temps dans le pays. D’ailleurs une manifestation est attendue jeudi prochain à la place de la nation. Pensez-vous qu’un «23 juin bis» pourrait se tenir sous le régime de Macky Sall ?
La pandémie de Covid-19 a dévoilé les failles profondes des systèmes politiques de la planète. Ce qu’on appelle l’effet pangolin avec la pandémie de Covid-19 est pire que la crise de 1929.Avec les effets de la pandémie et de l’assassinat de George Floyd, on aborde un tournant et une bifurcation importante de la planète et il faut s’y préparer. On s’achemine difficilement vers la fin du post-colonialisme et l’émergence d’un monde post-racial, la naissance ou la réinvention d’une nouvelle humanité. Les statues d’esclavagistes et de colons déboulonnées dans le monde sont révélatrices de cet état de fait. Le continent et le Sénégal ont du mal à suivre. Il faut écouter avec attention les bruissements et les révoltes qui sourdent de toutes parts, les interpréter et leur trouver les meilleures réponses politiques. De ce point de vue, il faut considérer avec attention ce qui se passe au Mali et en tirer les meilleures leçons.
Finalement, entre Wade et Macky, est-ce qu’il y a une grande différence ?
Depuis Diouf, de mon point de vue, il n’y a manifestement pas de discontinuité en politique ni au Sénégal, ni ailleurs. Comme dit l’autre, aucun État n’est biologiquement immunisé sur les pathologies de la démocratie.
L’activiste Karim Guèye est en prison, où son état de santé se dégrade, pour avoir critiqué sévèrement le régime. Au même moment, un responsable apériste accusé de trafic de faux billets a bénéficié d’une liberté provisoire. Est-ce que cela ne remet pas en cause la crédibilité de la justice sénégalaise?
Libérer Karim Xrum Xax serait une décision salutaire, la liberté d’expression est constitutionnalisée au Sénégal. On ne peut mettre quelqu’un en prison pour ça. Tous les acteurs de la Justice s’accordent à reconnaître la nécessité de réformer la Justice. Nous avons organisé l’année dernière un atelier en ce sens avec l’Union des magistrats du Sénégal(UMS). Il faut davantage de moyens à la Justice, en matière d’infrastructures, de personnels et de moyens financiers. Il faut des réformes structurelles pour plus d’équilibre et permettre l’accès à une Justice équitable pour tous.
On sait que vous êtes très engagé dans les processus de paix en Afrique. Et dernièrement, on a entendu des remous au Sud du Sénégal. Dans le contexte actuel, que faire pour la paix définitive en Casamance ?
Concernant la Casamance, tant qu’on n’aura pas réussi le désarmement et la réintégration sociale de ce qui reste des combattants, ce sera difficile d’éviter ce qui se passe. Les gens, profitant de la guerre, ouvrent des routes pour des trafics de toutes sortes ; ici, c’est le bois avec la déforestation scandaleuse de la Casamance. C’est bien qu’enfin, l’État prenne des mesures pour protéger les forêts. Il faut accélérer le processus de paix, le désarmement et la réintégration sociale.
Comment analysez-vous le mouvement populaire au Mali sous la houlette d’Imam Dicko et ses potentiels répercussions dans la politique interne et sous régionale ?
Vous savez, en tant qu’expert indépendant des Nations unies pour le Mali, j’appelle tous les acteurs politiques, de la société civile et les acteurs religieux à privilégier le dialogue et les réponses politiques pragmatiques, réalistes et responsables. C’est dans l’Unité que le Mali pourra faire face aux crises multiples et complexes de l’État de droit et de la sécurité.