BROUILLE ET EMBROUILLE
Pr Ismaïla Madior Fall, vous soutenez aveuglément que le Conseil constitutionnel ne rend que des décisions. Pourquoi ne vous émancipez-vous pas de votre enfermement et admettre que les Sages donnent aussi des avis ?
Engoncé dans un mutisme éloquent depuis que le président de la République a servi au soir du 16 février une soupe indigeste en ânonnant l’avis (pardon) la décision du Conseil constitutionnel suite à sa saisine sur la réduction du septennat en quinquennat, Ismaïla Madior Fall, prétextant répondre au professeur Serigne Diop qui s’est prononcé trivialement sur la volonté du chef de l’Etat de se conformer à la décision du Conseil constitutionnel, sort de son hibernation pour réagir à tous ces Sénégalais qui ont flétri la rétractation du président de la République.
Si nous osons parler de la saisine présidentielle en manifestant une certaine réserve, c’est parce que la démarche du chef de l’Etat qui a abouti à la renonciation de la réduction du mandat et à son application immédiate a manqué de transparence. Aucun Sénégalais n’est en mesure de dire le contenu exact du texte présidentiel adressé aux juges constitutionnels. Et l’ignorance du contenu du texte du requérant assombrit la réponse des sages du Conseil constitutionnel.
Voilà que le conseiller juridique du président Sall, infatué de son statut de spécialiste du droit constitutionnel et imbu de son immense savoir juridique, à force de vouloir éclairer la lanterne des pauvres Sénégalais qui parlent de choses qu’ils ne maitrisent jamais, s’emberlificote dans ses propres arguties sémantico-juridiques.
Nous comprenons dans le prologue de son texte que Madior ne gaspillera pas un seul millilitre de salive ou d’encre pour répondre à ces nains intellectuels de deuxième classe qui baragouinent sciences juridiques. Mais s’il sort de son silence de palais, c’est parce qu’un spécialiste de ses grade et rang académiques, le professeur Serigne Diop, a donné son avis sur la question. « Quand les éléphants se battent, ce sont les fourmis qui meurent » dit l’adage.
Pourtant les arguments soutenus avec force pertinence par les professeurs Babacar Guèye, Ababacar Guèye, Pape Demba Sy, Abdoulaye Dièye, Ameth Ndiaye, l’avocat Abdoulaye Babou et autres citoyens sont plus solides et plus explicites que ceux du professeur Diop qui s’est prononcé trivialement sur la question.
Engager le débat avec le professeur sous l’angle grammatical, c’est le biaiser parce que l’important de la réponse du professeur Diop repose plus sur l’esprit que la lettre. Dire que le Conseil constitutionnel a des compétences consultatives même s’il en a une ne change en rien le fond de sa pensée.
«Consulter, c'est demander un avis, un conseil»
Vous dites dans votre texte : « Il y a une évolution sémantico-juridique entre l’article 46 de la Constitution de 1963 et l’article 51 de la Constitution de 2001. Autrefois, il s’agissait de consulter le président de l’Assemblée nationale et de recueillir l’avis du Conseil constitutionnel sur un projet de loi, il est maintenant question de recueillir l’avis du président de l’Assemblée nationale et celui du Conseil constitutionnel sur un projet de loi constitutionnelle. A cet égard, le professeur Diop a dit que le président de la République a consulté le président de l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel. Dit ainsi, cela manque de rigueur. Ce ne sont pas les termes de l’article 51 qui sont plus précis que cela et qu’il faut citer fidèlement : « Le président peut, après avoir recueilli l’avis du président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi constitutionnelle au peuple » ».
Après la leçon de grammaire, place à la sémantique pour battre en brèche les propos du professeur Diop. Vous flétrissez son manque de rigueur lorsqu’il déclare que le président de la République a consulté le président de l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel au lieu de citer in extenso l’article 51. Pourtant votre ancien professeur est très rigoureux en parlant de consultation car cela n’exclut en filigrane «l’avis du président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel ».
Consulter, c’est s’adresser à une personne compétente pour lui demander un avis, un conseil. Et l’avis ou le conseil, par les éléments qu’ils apportent, concourent à la prise de décision du bénéficiaire. Peut-être que vous êtes en mesure de nous dire comment il est possible de recueillir un ou des avis sans au préalable passer par une phase consultative.
Vous dites qu’« en 2000, le Conseil avait à traiter d’une question de procédure et avait donné carte blanche au Président Wade pour emprunter la voie de révision qui lui paraissait la plus opportune (Décision n° 3/C/2000 du 9 novembre 2000) ». Seulement nous remarquons que curieusement dans la décision référentielle sus-citée, il n’y figure plus le mot « avis ».
Pourtant, dans votre ouvrage «Les révisions constitutionnelles au Sénégal. Révisions consolidantes et révisions déconsolidantes de la démocratie sénégalaise », publié en 2011 aux Editions CREDILA, figure la note de bas de page N° 82 Conseil Constitutionnel, Décision n°3/2000 du 9 novembre 2000 (avis). Nous refusons croire que c’est votre inflexion sur la question qui vous a poussé à biffer le terme « avis » dans votre texte contre le professeur Diop.
Soutenir que « la formulation des avis induit la production formelle d’un acte alors que les consultations peuvent rester sur un registre purement informel » c’est procéder à une manipulation dissociative des termes « consultation » et « avis » alors que, pour parler linguistique, le second est un sème du premier. Dans le cas qui nous concerne, la consultation du président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel par le président de la République est formalisée dès l’instant que sa mise en œuvre pose une quadruple question (sur quoi consulter, qui consulter, comment consulter et quand consulter) sur les objectifs à atteindre et les méthodes utilisées. Et l’avis issu de la consultation bien que formalisée peut ne pas avoir une prise dans la décision du requérant.
Dire qu’« une consultation dont le résultat peut même ne pas être publié n’a pas d’autorité, alors que l’autorité d’un avis peut toujours être envisagée puisqu’il s’agit d’un acte formalisé » participe toujours de l’extirpation insensée de l’avis de la consultation. Si l’avis fait l’objet d’une publication, c’est parce qu’antécédemment la teneur de la consultation est envisagée.
En France (pardon à la référence puisque dans votre texte vous abhorrez les références extra-muros), « les consultations et les avis rendus par le Conseil constitutionnel ont un caractère confidentiel. Toutefois, avec l’accord du Secrétariat général du gouvernement, le Conseil constitutionnel a jugé utile de rendre publics certains de ses avis, parmi les plus intéressants. Sont également reproduites, chaque fois qu’il est utile, les dispositions concernées, dans leurs versions antérieure et postérieure aux avis du Conseil ».
Vous arguez que « le Conseil tranche la question de fond de la conformité du projet de révision à l’esprit général de la Constitution en enjoignant au Président Sall de procéder à la réécriture du texte pour le rendre ». Pourtant dans le texte des juges constitutionnels, il n’est visible, ni perceptible une injonction formelle.
La preuve, on retrouve les verbes et expressions verbales plus ou moins ambigus dans les considérants 11 (ne doit pas comporter), 12 (il y a lieu de…), 13 (pourrait se limiter…), 14 (il n’est pas utile de …), 15 (pourrait tenir… pourrait être rédigé ainsi…), 17 (sont abrogés…), 18 (ne devrait viser que…) 25 (doit prendre en considération…), 26 (doit être connu…) 34 (il y a lieu d’éviter…), 39 (parait être élevé…), 42 (entraine des difficultés…), 43 (doit être revu dans sa rédaction).
Dans le dispositif (qui me semble être plus utile pour la question soulevée) qui expose l’avis du Conseil, on retrouve dans la partie « procédure de révision », les périphrases verbales dans l’article 3 (doit être supprimé…), (ne pouvant s’appliquer au mandat en cours). Ici le semi-auxiliaire « doit » peut avoir, une valeur aléthique (il rend compte d’une nécessité qui ne dépend pas du jugement du Conseil) ou une valeur déontique (il exprime une obligation imposée au président par la Haute juridiction). Et le semi-auxiliaire « pouvant », outre sa portée épistémique envisagée, a une valeur aléthique (il rend compte d’une nécessité qui ne dépend pas du jugement du Conseil).
Mais puisque ces semi-auxiliaires renvoient à des acceptions différentes, c’est le contexte qui évite le plus souvent toute équivocité. Ainsi le contexte de la réduction du mandat en cours nous permet de dire que ces semi-auxiliaires ont une valeur aléthique c’est-à-dire qu’ils rendent compte d’une nécessité de la réduction du mandat qui ne dépend pas du jugement du Conseil mais du président de la République lui-même.
Avis et non décision
Quant à dire que le Conseil ne rend pas d’avis mais des décisions, je vous renvoie à l’ouvrage publié en 2009 sous votre direction intitulé « Les décisions et avis du Conseil constitutionnel ». Compte de votre station et réaction actuelles, vous vous voulez le rétro-intituler « Les décisions du Conseil constitutionnel ». Tant mieux ! Mais pour un géant comme vous, spécialiste du droit constitutionnel, cela traduit une certaine désinvolture dans la rédaction de cet ouvrage.
Vous devez en faire de même pour votre ouvrage de 2007, Évolution constitutionnelle du Sénégal de la veille de l'indépendance aux élections où vous nous donnez un cours magistral sur « l’avis du Conseil constitutionnel qui ne lie pas le président de la République » page 94, chapitre II. Nous ne pensons pas que vouloir aider le président à consommer tranquillement ses sept ans de règne ne vaut pas toute cette peine de déléatur.
Même si, dans le texte qui organise le Conseil constitutionnel, il est dit que la Haute juridiction ne rend que des décisions, il appert qu’elle peut rendre des avis en vertu de l’article 51 de la Constitution. Ce n’est qu’une clause de style si, à l’en-tête de l’acte du Conseil, il est y est mentionné décision. Ce qui importe ici, c’est le contenu et non la formule « incipitale ». Je reprends de vous l’émérite professeur Babacar Kanté en disant que « vous privilégiez (quand cela vous arrange : note de l’auteur) une approche trop littérale des formules ».
Quand le 21 avril 1961, les généraux français Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller, depuis l’Algérie opérèrent un putsch, le Conseil constitutionnel français (excusez encore de la référence) consulté par le président de la République française Charles de Gaulle, était d’avis qu’« étaient réunies les conditions exigées par la Constitution pour l’application de son article 16 ». Lequel article dit : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.»
Dans l’en-tête de l’acte du Conseil, il y est bien précisé : Décision (au lieu de « avis » même s’il s’agit d’un avis) n° 61-1 AR16 du 23 avril 1961 alors que l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dit expressément en son article 13 que «les décisions et les avis du Conseil constitutionnel sont rendus par sept conseillers au moins, sauf cas de force majeure dûment constatée au procès-verbal ».
Vous vous arc-boutez à l’article 13 de la loi qui organise le Conseil constitutionnel sénégalais pour soutenir aveuglément que la Haute juridiction ne rend que des décisions. Ainsi nous nous demandons, Professeur émérite, pourquoi vous ne voulez pas vous émanciper de votre enfermement intégriste (nous le reprenons de vous quand vous crucifiiez l’incompétence itérative du Conseil constitutionnel que vous qualifiiez, sous le magistère de Wade, de tour de Pise penchant toujours du côté du pouvoir) dans les textes et admettre, à l’instar de vos pairs et même de vos étudiants, que les « sages » peuvent aussi donner des avis.