CASTING PRESIDENTIEL, LE GRAND BROUILLARD
Après le dernier remaniement, certains vantent le génie politique de Macky, d’autres parlent d’un ‘’infanticide’’ contre son parti, alors que plusieurs y voient une utilisation de l’appareil d’Etat pour pêcher des adversaires éprouvés par l’opposition
Profitant du dernier remaniement, Macky Sall a brouillé toutes les pistes qui mènent vers la Présidentielle de 2024. Dans cet épais ‘’brouillard’’ qu’il a créé sur le chemin des futures échéances électorales, certains vantent son génie politique, d’autres parlent d’un ‘’infanticide’’ contre son parti, alors que plusieurs y voient une simple utilisation de l’appareil d’Etat pour pêcher, tels des poissons, quelques adversaires éprouvés par les rigueurs de l’opposition. A quoi il joue ? Décryptage !
Comme un père qui préfère les enfants des autres à ses propres enfants, Macky Sall dépouille de plus en plus sa famille politique pour gratifier de nouveaux alliés, naguère ses plus grands détracteurs. Pour certains, la nouvelle stratégie dénote, s’il en était encore besoin, tout le génie du successeur de Wade. Pour d’autres, en essayant de jouer au plus malin, le patron de l’Alliance pour la République (APR) est tout simplement en train de creuser sa propre tombe. Et il risque de ne pas voir ses compagnons de la première heure pour lui porter assistance.
A la question de savoir si Idrissa Seck pourrait être le cheval de Troie de Macky pour 2024, Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, semble quasi certain : ‘’Non, non, non ! Vous savez, Macky Sall connait bien Idrissa Seck. Il ne va pas lui livrer le pouvoir, c’est-à-dire livrer son avenir à quelqu’un comme Idrissa Seck, connu pour ses volte-face. On l’a vu dans ses relations avec Wade. Macky, qui est très fin politiquement, ne peut avoir confiance en Idy jusqu’à lui confier le siège. Ce serait un suicide. Il est surtout dans des logiques de calcul politique.’’
Mais où va donc Macky ? La question se pose avec acuité. Mais aucun observateur ne semble avoir de réponse précise. Au lieu de clarifier la situation déjà incertaine, le dernier remaniement l’a rendue encore plus confuse. Le président de la République ayant brouillé toutes les pistes qui mènent vers 2024. Va-t-il se présenter une troisième fois, parrainer un autre candidat ou organiser des élections crédibles et se mettre au-dessus de la mêlée ? Rien n’est moins sûr.
A en croire le journaliste Ibrahima Bakhoum, c’est encore la grande incertitude. ‘’En fait, nous sommes dans le brouillard. Ou bien Macky Sall est candidat et il veut réduire tous ceux qui pourraient gêner cette candidature. Dans ce cas de figure, moins il y aura de figures emblématiques politiques en face, pour dire non à sa prétention, mieux ça ira. S’il peut donc les ramollir, il ne va pas se priver. Ou bien il n’a pas l’intention de se présenter. Dans ce cas aussi, il a besoin d’affaiblir ceux qui pourraient gêner son dauphin qui va peut-être émerger après. Il peut y avoir ce qu’on appelle la surprise du chef’’.
Pour le doyen Bakhoum, même s’il ne se présente pas, Macky Sall pourrait quand même avoir envie -ce qui est légitime et normal - d’avoir un successeur qui lui ressemble et en qui il a confiance pour surveiller ses arrières. ‘’C’est un minimum. Ce quelqu’un peut être n’importe qui. Il tient forcément des profils et il va choisir celui en qui il a confiance. C’est peut-être quelqu’un à qui personne ne pense. Il peut bien y avoir la surprise du chef, comme on dit’’, rigole le doyen.
Pendant que Bakhoum dessine deux voies possibles : se présenter ou se désigner un dauphin, Moussa Diaw, lui, n’en voie qu’une seule, pour le moment. Celle du troisième mandat. ‘’Quand on regarde bien les mesures qu’il prend, dit-il, il est en train d’ouvrir une voie pour le troisième mandat. Même s’il ne le dit pas encore, ses actes le démontrent. Après avoir pris la résolution d’exclure tous ceux qui, dans son camp, lui ont dit qu’il n’a pas droit à un autre mandat, il est en train de tout faire pour affaiblir l’opposition, en cherchant à enrôler certains de ses leaders les plus importants. C’est dans le même cadre que j’inscris également la tentative d’écarter tous ceux qui pouvaient lui faire obstacle de par leurs ambitions’’.
Ce qui est certain, c’est qu’à presque trois ans de la prochaine Présidentielle, aucun profil ne se dégage au sein du parti présidentiel. Pendant que les ténors du parti au pouvoir rasent les murs sur cette question, des jeunes ruent dans les brancards. Membre de la Cojer/Thiès, Amadou Gning s’étonne : ‘’On a le droit de savoir ce que mijote le chef de notre parti. Nous les jeunes, nous ne connaissons que l’APR. Nous n’avons jamais milité dans un autre parti. Si l’APR ne se présente pas, nous serons les premiers à en pâtir. C’est pourquoi nous n’allons pas l’accepter et nous demandons au chef du parti de nous éclairer.’’
Pour lui, une chose est sûre : Macky Sall ne se soucie plus du devenir de l’APR. ‘’Regardez, dit-il, le cas de Thiès. Le parti est totalement décimé avec le départ de Ndèye Tické Ndiaye et la rétrogradation d’Augustin Tine. Thiès n’a plus de ministre, à l’exception de Pape Amadou Ndiaye (nouveau ministre en charge de la Transformation de l’artisanat). Au même moment, il fait venir Yankhoba Diattara et Idrissa Seck qui l’ont toujours combattu’’. A quelles fins ? Le jeune leader ne se fait pas prier pour affirmer ses propres convictions : ‘’Pour moi, l’APR devait aujourd’hui ambitionner de rester au pouvoir au moins jusqu’en 2035. Au lieu de travailler dans cette dynamique, le président est en train de décimer la famille républicaine à Thiès. A l’échelle nationale, il est en train d’éliminer tous les pères fondateurs. Je ne peux pas comprendre quelle est la logique dans tout ça. Pour moi, il n’y a pas de cohérence et c’est pourquoi j’ai fait une lettre ouverte pour demander des explications’’.
Génie ou suicide ?
Ce ressenti de certains militants de l’Alliance pour la République tranche, en tout cas, d’avec une certaine propension à présenter le président Sall comme un Mitterrand des temps actuels. Loin de trancher le débat, Ibrahima Bakhoum fait dans la nuance. Il se borne à dire, répéter et insister, malgré les relances : ‘’Moi, je dis qu’il a tous les moyens du pouvoir. Il peut en faire ce qu’il veut. Le reste, c’est une question d’élégance républicaine. Je m’en limite là.’’
Pour Amadou Gning, par contre, les choses sont on ne peut plus tranchées. ‘’Il n’y a aucun génie dans ce qu’il est en train de faire. En quoi il y a du génie dans ce qu’il est en train de faire ? En quoi ? Pour moi, il est juste en train de faire des deals et on en n’a pas besoin. Ces gens-là sont juste des affamés qui sont venus pour manger. Ils ne peuvent rien nous apporter. Le président en a profité pour les pêcher comme des poissons. Par-là, il montre également qu’il ne croit pas en son parti. Au contraire, Macky Sall est dans un sommeil profond. Nous lui demandons de se réveiller, pendant qu’il est encore temps.’’
Ainsi, le président de l’APR aurait juste, sans grande difficulté, profité de la longue disette que traversent certains responsables ‘’affamés’’ de l’opposition sénégalaise. Pour sa part, le doyen Bakhoum analyse : ‘’Vous savez, rester dans l’opposition, c’est très dur. Le temps de l’opposition, c’est le temps de la soif, c’est le temps de la sécheresse, c’est le temps de la disette. A un moment donné, les gens ont besoin de s’accrocher à un arbre qui donne des fruits… Pour moi, il y avait juste quelqu’un qui avait besoin de rassembler davantage de gens. D’autres qui avaient besoin de s’accrocher à quelqu’un. Naturellement, ils peuvent facilement trouver des points de convergence.’’
A ceux qui pensent que par ces dernières estocades, Macky Sall a cassé ce qui restait de l’opposition, l’ancien journaliste de l’Agence de presse sénégalaise invite à moins d’euphorie. Déjà, fait-il constater : au Sénégal, l’écrasante majorité de l’électorat n’a pas d’ancrage partisan. ‘’Regardez, dit-il, la coalition Benno Bokk Yaakaar, il y a combien de partis ? Il est difficile d’y voir 50 000 militants, ceux de l’APR y compris. D’ailleurs, en dehors du parti au pouvoir, le reste, c’est presque vide. Le PS, au temps de Tanor, valait au moins quelque chose ; l’AFP moins. Pour les autres, c’est juste de figures politiques historiques. Donc, il ne faut pas se fier aux noms des partis, ni à la personnalité des leaders pour se faire une religion. La réalité électorale peut être nettement différente.’’
Embouchant la même trompette, le politologue Moussa Diaw affirme : ‘’Les choses sont loin d’être jouées. Certes, Macky a réussi un gros coup, en enrôlant certains grands noms de l’opposition, mais le climat social risque de lui être fatal. Parfois, j’ai l’impression que Macky Sall sous-estime l’opposition. Alors que celle-ci a un terreau fertile pour fabriquer un nouveau discours qui accroche. Cette situation que traverse la jeunesse est dangereuse. On parle de près ou plus de 500 morts. Vous vous rendez compte ! Et, paradoxalement, l’Etat ne fait rien jusque-là. Un vide comblé par le khalife général des mourides. C’est extraordinaire. Je pense que l’opposition a là de la matière. Le peuple pourrait être frustré par le fait que la majorité est dans les calculs politiques, alors que les populations sont dans la détresse, dans la désespérance.’’
En tout cas, malgré la moisson du président, le journaliste Bakhoum estime qu’il ne faudrait surtout pas s’appuyer sur ces ralliements pour décréter la mort de l’opposition. ‘’Quand j’entends certains dire que Macky Sall a cassé l’opposition, cela me fait rigoler. Ce n’est pas des oppositions qu’on a cassées. Il y a juste des gens qui étaient partis en élection ensemble pour battre Macky Sall. Ils n’ont pas réussi à le battre, chacun est retourné à ses occupations’’.
Et si Thierno Alassane Sall avait raison ?
Par ailleurs, ce remaniement pourrait masquer bien des surprises. En effet, dans son livre ‘’Le Protocole de l’Elysée’’, paru il y a quelques mois, l’ancien ministre et compagnon de Macky, Thierno Alassane Sall, craignait déjà une union sacrée de ceux qu’il considère comme des criminels financiers autour d’un gouvernement.
Après avoir relaté plusieurs scandales du régime actuel et précédent, il écrit à la page 15 : ‘’Ils sont hantés par la perspective de devoir répondre de leurs actes, car le peuple ne pardonnera jamais. Leur salut réside dans une loi d’amnistie qui effacerait tous les crimes et délits économiques dans une fenêtre de temps qui couvrirait les affaires les concernant. Un dialogue national qui vise à légitimer une telle loi est organisé.’’
A l’instar de l’ancien ministre en charge de l’Energie, d’autres personnalités ont toujours invoqué l’hypothèse de ce remaniement comme finalité du dialogue national. Longtemps en hibernation, les camps de Khalifa Sall et du Parti démocratique sénégalais ne verraient, en tout cas, pas d’un si mauvais œil une loi d’amnistie, seul moyen pour leur permettre de revenir dans la course.
C’est sans doute compte tenu de tous ces éléments que le professeur Moussa Diaw a dit : ‘’Pour le moment, Macky Sall est le seul maitre du jeu. Et s’il décide de présenter sa candidature, il a toutes les chances pour que ça aboutisse. Désormais, il tient aussi Idy dans sa besace, avec la force du décret. Il est le seul maitre du jeu.’’