CES CONTRADICTIONS DE LA CONSTITUTION SUR LA SUPPLEANCE EN CAS DE VACANCE DU POUVOIR
Les dispositions qui portent sur le critère d’âge du président de la République élu sont en déphasage avec celles qui régissent son suppléant, à savoir le président de l’Assemblée nationale
La Constitution du Sénégal de 2001, révisée par plusieurs lois constitutionnelles, dont celle de 2012, mais aussi celle référendaire de 2016, est le lit de plusieurs dispositions contradictoires. C’est notamment le cas sur la question de la suppléance en cas de vacance du pouvoir. Car les dispositions qui portent sur le critère d’âge du président de la République élu sont en déphasage avec celles qui régissent son suppléant, à savoir le président de l’Assemblée nationale. Eclairage
A peine Macky Sall a-t-il été réélu président de la république, le 24 février 2019, et alors même qu’il n’a pas encore prêté serment pour le début de son deuxième et dernier mandat - il le fera le 2 avril prochain - que déjà, le débat fait rage autour de la dissolution de l’Assemblée nationale ou du couplage des élections locales et législatives pour d’aucuns, législatives et Présidentielles pour d’autres. Mais à côté de ce débat, se pose un autre. Celui des «incongruités» dans le texte Constitutionnel de 2001 révisé par référendum en 2016. Ces problématiques se posent en particulier autour des «contradictions» de la Constitution relativement à la question de la suppléance du président de la république en cas d’incapacité ou de vacance du pouvoir. Une suppléance qui doit être assumée par le président de l’Assemblée nationale. En effet, l’article 28 de la Constitution dit que : «tout candidat à la Présidence de la république doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de trente cinq (35) ans au moins et de soixante quinze (75) ans au plus le jour du scrutin. il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle»
L’article 28 et le 35-75, face à l’article 39
Or, la même Constitution dans la loi constitutionnelle du 28 septembre 2012, révisée par loi référendaire du 20 mars 2016, qui n’a donc pas eu pour effet de changer la Constitution, mais juste de la réviser, dit en son article 39 : «En cas de démission, d’empêchement ou de décès, le président de la république est suppléé par le Président de l’Assemblée nationale. Au cas où celui-ci serait lui-même dans l’un des cas ci-dessus, la suppléance est assurée par l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale dans l’ordre de préséance. la même règle définie par l’article précédent s’applique à toutes les suppléances». Jusqu’ici, il n’y a pas de problème. Sauf qu’à son dernier alinéa, l’article 39 dit que : «En tout état de cause, le suppléant doit remplir toutes les conditions fixées à l’article 28». Et c’est là que survient le problème. Car la question de l’âge revient dès lors au galop. Et tel un cheveu dans la soupe, suscite des contradictions qui peuvent être, le jour où, éventuellement, on serait amené à être confrontés au cas de figure précité, source de blocage.
Le député de 25 ans, sans limite plafond
En effet, deux volets font l’objet de débat. C’est d’abord l’âge plafond du président de l’Assemblée nationale qui n’est pas fixé à 75 ans comme celui du président de la république comme le veut l’article 28. C’est ensuite, l’âge minimum que le même article 28 fixe à 35 ans, alors même que l’âge légal pour être député est lui fixé à un minimum de 25 ans. C’est-à-dire, en termes clairs, que d’une part, on peut être député à 25 ans et prétendre être président de l’Assemblée ou vice-président et donc être légalement en droit d’assurer une éventuelle suppléance du président de la république ; d’autre part, qu’on peut être président de l’Assemblée nationale ou vice-président au-delà de 75 ans et donc être légalement en droit d’assurer une éventuelle suppléance du président de la république. tel est actuellement le cas avec le président Moustapha Niasse. Le débat est en tout cas-là, prégnant, mais pas tranché. Car les avis des juristes divergent sur l’interprétation à faire de ces différents articles complémentaires de la Constitution du Sénégal, mais dont les contenus sont contradictoires. Et il va de soi qu’il sera difficile d’évacuer la question, le moment venu…
Des enseignants chercheurs donnent des avis divergents
La problématique de la contradiction des dispositions constitutionnelles relativement à la suppléance du président de la république par le président de l’Assemblée nationale est réelle. Mais le débat juridique que cela suscite fait aussi apparaître des divergences de vue chez les spécialistes que nous avons interpellés sur la question
Pr Ndiogou Sarr : «Des lacunes liées à la rédaction de la Constitution»
En effet, pour le Pr Ndiogou Sarr, maître de conférences et enseignant en droit public à la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta diop (UCAd) de dakar, «cette situation découle des lacunes qui sont liées à la rédaction de la Constitution. Si on estime que pour être Président, il y a l’âge plancher et l’âge plafond, et que si actuellement le Président est empêché il est remplacé par le président de l’Assemblée nationale et que ce dernier a un âge qui dépasse l’âge plafond du président de la république, ça pourrait poser un problème de droit». L’enseignant-chercheur, pour corriger cette «anomalie», montre la voie à suivre. «je pense que là, c’est une question qu’il faudrait régler au niveau de la Constitution quand on reprend l’article 39. A la prochaine occasion, si on doit réviser la Constitution, il faudra harmoniser les dispositions de l’article 28 et celles de l’article 39», a préconisé le Pr Ndiogou Sarr. «il faudra préciser que le président de la république doit impérativement avoir un âge qui entre dans la fourchette définie pour l’âge du président de la république. je pense qu’il faut le faire pour éviter d’amener au pouvoir un président de la république qui ne remplirait pas les conditions prévues par l’article 28. Si on sait qu’une fois que le Président est empêché, il est remplacé par le président de l’Assemblée nationale, il faudra que ce président de l’Assemblée nationale, remplisse les critères d’éligibilité du président de la république», a-t-il recommandé.
Pr Ngouda Mboup : «Même s’il a plus de 75 ans, le président de l’Assemblée peut suppléer»
de son côté, le Pr Mouhammadou Ngouda Mboup, enseignant-chercheur en droit public à l’UCAd, ne voit pas d’«incohérence» entre les deux articles susmentionnés. D’après lui, dans la loi constitutionnelle du 28 septembre 2012 qui change l’article 39, il est juste mentionné qu’en cas d’empêchement, de démission ou de décès, le président de la république est suppléé par le président de l’Assemblée nationale. Et au cas où lui-même est dans l’un des cas cités, la suppléance est assurée par l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale. «il n’y a aucun problème à ce niveau de mon point de vue. Parce qu’en cas de vacance du pouvoir, le président de l’Assemblée nationale est juste un suppléant, c’est-à-dire qu’il assure juste l’intérim pendant 90 jours, en attendant qu’on organise les élections pour qu’un autre Président soit nouvellement élu», a expliqué l’enseignant chercheur. Formel, le Pr Mboup affirme : «Même s’il a plus de 75 ans, le président de l’Assemblée nationale peut bien suppléer le président de la république. C’est juste la Constitution qui le prévoit. il n’y a pas de problème à ce niveau, parce qu’il n’a pas été élu en réalité. D’ailleurs, la Constitution a été très claire à ce niveau. Parce que le président qui supplée n’a pas toutes les prérogatives du président de la république élu. il n’a pas le pouvoir d’initier un projet de révision constitutionnelle». Aussi, évoquant la loi qui fixe l’âge minimum pour être élu député qui est de 25 ans, il confie : «On peut élire un président de l’Assemblée nationale qui a 26 ans, parce que le principe de séniorité ne joue pas. Mais cela supposerait aussi qu’en cas de vacance du pouvoir, on peut avoir un président de la république qui a moins de 35 ans». Cette loi constitutionnelle N°2012/16 du 28 septembre 2012, selon lui, stipule : «En cas de démission, d’empêchement ou de décès, le président de la république est suppléé par le président de l’Assemblée nationale». Puis, il ajoute qu’elle précise aussi dans son dernier alinéa : «Au cas où celui-ci serait lui-même dans l’un des cas ci-dessus, la suppléance est assurée par l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale dans l’ordre de préséance». Pour lui, «c’est très clair». «la Constitution, issue du référendum de 2016, n’a pas touché aux cas d’empêchements du président de la république. Parce que, en réalité, en 2016, il ne s’agissait pas d’une nouvelle Constitution. C’était juste une révision constitutionnelle. Et les gens font la confusion en parlant d’une nouvelle Constitution», fait savoir le Pr Mouhamadou Ngouda Mboup.