«C’EST FAIRE PREUVE DE MANQUE DE DISCERNEMENT PAR RAPPORT AUX ENJEUX QUI SONT EN FACE»
Abdoulaye Ndiaye, journaliste, se prononce sur la guerre de leadership entre responsables de l’APR - ENTRETIEN
Ce ne serait pas mauvais de travailler à être un bon candidat pour gagner ultérieurement une élection locale, afin de montrer qu’on est sur une bonne rampe de lancement. C’est du moins l’avis du journaliste, Abdoulaye Ndiaye, qui pense tout de même qu’il faut faire preuve de discernement, en faisant la part des choses entre mener un combat locale et celui à mener au plan national. Le formateur au Cesti reste, cependant, convaincu que pour la présidentielle, un manque de cohésion des responsables du candidat au pouvoir peut amoindrir les chances de celui-ci de mener une bonne campagne électorale.
Comment appréciez vous le fait que des responsables du parti au pouvoir cherchent, dès maintenant, à se positionner pour l’élection locale prochaine, alors que l’équation de la présidentielle n’est pas encore résolue ?
Ce qui parait être le plus urgent, c’est de travailler à établir les possibilités de faire passer leur candidat à l’élection présidentielle de 2019. Parce que, nous sommes en face d’une élection majeure qui fait appel à des enjeux importants et c’est également une élection très ouverte. Il y a probablement là-dessus un effort à faire plutôt que de commencer un combat d’arrière garde sur des élections locales, qui ne sont pas de mêmes natures que l’élection présidentielle. Les élections locales, en ce qui les caractérisent, mettent en relation un notable, un patriarche avec son environnement immédiat. C’est-à-dire la localité où il pense pouvoir créer, à la limite, une adhésion par rapport à sa personne ou par rapport aux actes qu’il pose pour le compte de son parti, fut-il le parti présidentiel. Il est quand même extraordinaire de voir que certaines personnes ne pensent qu’à assoir un leadership pour affirmer une représentativité personnelle, probablement. Parce que c’est dans les élections locales que l’on définisse un peu l’enracinement des grands leaders. Certaines villes sont importantes, ne serait-ce qu’au plan de leur force démographique. On comprend que les gens soient tournés vers la conquête de ces grandes villes. On tente de faire la jonction avec les élections nationales, qui sont majeures et qui se gagnent également au niveau des villes. C’est une sorte de rampe de lancement, comme on dit. Quelqu’un avait l’habitude de dire : «chacun de nous doit gagner là où il habite et ensemble nous gagnerons au plan national». Mais, de là à créer des tiraillements internes et faire jouer une envie de se mesurer sur des élections locales, alors que l’enjeu réel, c’est l’élection présidentielle de 2019, c’est quelque chose qui me parait être surréaliste.
Y-a-t-il un risque pour le candidat du parti au pouvoir à l’élection présidentielle 2019 ?
Il est évident que s’ils ne travaillent pas à assoir une sorte d’harmonie entre eux, s’ils n’arrivent à pas à taire leurs rivalités pour travailler à établir un programme qui accompagne celui qui sera leur candidat, ils s’exposent à d’énormément problèmes. Parce que, les enjeux sont nationaux pour l’élection de 2019. Déjà, il y a un nombre de personnes qui ont annoncé leur candidature. Il y a également les risques, au plan national, d’un certain nombre de contentieux qui pourraient accompagner ces élections. Les stratégies de confrontation directe avec leur candidat seront inévitables. Je crois que tout cela constitue des éléments importants pour qu’ils ne se mettent pas à se tourner vers des élections locales, qui ont leur importance probablement, mais qui à coté d’élections nationales, présentent un intérêt moindre. Je ne dis pas qu’il ne faut pas travailler à assoir une bonne présence des partis au niveau des grandes localités, parce qu’elles sont des villes qui jouent à mobiliser et à rendre beaucoup plus importante l’action que mène un gouvernement. Il faut travailler à avoir des villes comme Dakar, Thiès, Guédiawaye et certaines de l’intérieur. Elles ont une fonction importante et sont également des villes symboles. Mais, de là à voir les gens mener ces combats et oublier les présidentielles, c’est faire preuve de manque de discernement par rapport aux enjeux qui sont en face de nous.
Mais, est ce quelque part, cette guerre entre responsables du parti au pouvoir, ne peut pas être bénéfique pour leur candidat, quand on sait que toutes leurs voix seront mises dans la corbeille du chef de l’Etat ?
Quand un parti ou une coalition s’apprête à aller à des élections nationales, qui vont engager un candidat, qui est le seul candidat face à d’autres prétendants, je crois que oui. L’idéal serait qu’ils soient un peu dans une bonne cohésion. Qu’il n’y ait pas à la limite quelques disfonctionnements, parfois quelques discordances dans la manière dont on va percevoir l’action commune qu’ils vont mener pour permettre à leur candidat de réussir sa campagne et probablement, travailler à être celui qui, à coté d’autres candidats, aura envie de gagner les élections. C’est l’essentiel. Maintenant, il y a un problème au Sénégal. C’est que les gens ne savent pas faire la différence entre mener un combat au plan national et faire des combats au plan local. Il y a une relation entre les deux, mais cela ne doit pas pousser à la désunion, pour des responsables qui appartiennent au même parti. C’est la meilleure façon de mettre son candidat dans des situations qui pourraient être délicates. Généralement, les grands partis ont souvent connu des défaites liés au combat interne mené par certains grands responsables. C’est une leçon de l’histoire à méditer par l’ensemble des responsables du parti présidentiel. Il faut ajouter que l’élection locale a une importance. Mais, aujourd’hui, la manière dont l’Acte III de la décentralisation se décline, dans ses aspects les plus essentiels, et si on en juge des quelques retards dans sa mise en allumage et des ratées sur certains aspects formulés par des élus locaux, il n’y a pas nécessité à faire preuve d’empressement. Nous pensons qu’il faut concentrer l’essentiel de ses forces à réussir le cap d’une présidentielle, élection majeure qui détermine la vie et le choix d’un peuple. Ces responsables du parti présidentiel sont attendus sur leur capacité à convaincre sur le programme de leur candidat et sur les actes qu’il a posé pour devoir mériter une nouvelle confiance des sénégalais. En face, les prétendants, ne manqueront pas de travailler à contester les actes et les discours. Ce qui est normal dans une compétition démocratique. Si dans 6 mois, ces responsables du parti présidentiel ne sont pas en ordre de bataille pour aider leur candidat à faire face, s’ils restent retrancher dans des luttes intestines, c’est parce qu’ils se seront vraiment trompés d’élection et auront probablement perdu le sens des réalités politiques.