«C’EST UN PEU TROP FACILE À CHAQUE FOIS QU’ON A DES PROBLÈMES AVEC LA JUSTICE DE POINTER DU DOIGT MACKY SALL»
Face au autant de questions d’actualité, Pape Mawa Diouf, Directeur générale de l’Agence sénégalaise pour la promotion du tourisme (Aspt) non moins porte-parole de la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY), n’en a esquivé aucune
Un tourisme grippé, cherchant à se relançant en cette période de pandémie de covid-19. Des élections locales qui pointent à l’horizon avec des ambitions débordantes de part et d’autre. Une assemblée nationale éclaboussée par des scandales à répétition. Et une justice décriée à tort ou à raison. Face au autant de questions d’actualité, Pape Mawa Diouf, Directeur générale de l’Agence sénégalaise pour la promotion du tourisme (Aspt) non moins porte-parole de la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY), n’en a esquivé aucune. Entretien.
Plus d’un an à la tête de la direction générale de l’Agence Sénégalaise de Promotion Touristique (ASPT) que peut-on retenir de votre bilan ?
Beaucoup de choses ont été faites. D’abord, il était nécessaire de repositionner institutionnellement l’agence du point de vue de son image et de son ancrage à travers ses partenariats et dans le cadre de ses programmes et projets. Sur ce plan, nous avons essayé d’améliorer les choses. Il était également important qu’on parle davantage de l’Aspt à l’intérieur du pays, du point de vue de ses programmes et activités. C’est le sens du tourisme interne. Nous sommes également arrivés dans un contexte de crise sanitaire extrêmement. Donc, toute l’action que nous avons finalement tenté de faire, a été de juguler l’impact de la crise auprès de nos compatriotes qui sont dans le secteur mais également de travailler à accompagner la résilience puis la relance du secteur dans un contexte de crise.
Qu’est-ce que vous avez fait concrètement pour eux ?
Nous avons certifié les sites événementiels du pays tels que le musée des civilisations noires, le Centre international de conférence Abdou Diouf (Cicad) et le Dakar Arena comme des sites labélisés «Save Garde» du point de vue sanitaire et sécuritaire avec un partenaire, spécialiste de renommé international sur la question. Nous avons également formé plus de 400 acteurs du secteur (guides, acteurs restaurations…) pour les préparer à la reprise dans un contexte poste crise sanitaire. Nous avons également initié la campagne «Taamou Senegaal» (choisir le Sénégal) qui avait une double mission dont la digitalisation de la pratique touristique au Sénégal en particulier pour la promotion d’offre touristique, d’offre de séjour touristique à destination du public national et des expatriés qui vivent au Sénégal. Cela a relativement bien fonctionné parce que ça a permis de vulgariser davantage et de montrer des sites touristiques du pays et inciter une certaine catégorie de la population. D’où le «Taamou Senegaal». Aller en villégiature ou en expérience de découverte touristique à l’intérieur du pays plutôt que de le faire l’extérieur. Ensuite, nous avons profité de cette étape-là pour préparer la relance qui a consisté à doter l’Aspt d’un plan stratégique quinquennal. Le processus est enfin de parcours. La formulation de la stratégie est terminée. Il reste maintenant de partager et d’aller dans un processus de validation sociale avec des acteurs du tourisme. Parallèlement, nous avons essayé d’accompagner les acteurs dans le renforcement de capacité, dans la communication sur la destination Sénégal, nous avons aidé à maintenir la confiance sur la destination et le renforcement de la stratégie de promotion du tourisme interne et sous régional.
Pourtant, le tourisme interne reste toujours hors de portée de la bourse de plusieurs sénégalais ?
Quand on parle de tourisme interne, retenez qu’il y a plusieurs aspects. D’abord, il y a ceux qui ont la capacité à consommer. Cette catégorie existe bel et bien. La preuve, le week-end du 15 août dernier, tous les hôtels de la Petite Côte ont affiché le plein. Il y avait plus de places et même pour trouver une résidence, c’était la croix et la bannière. Toute cette clientèle était sénégalaise. Cependant, il faut reconnaître qu’il existe beaucoup de marge pour le tourisme généralisé. Nous sommes en train de travailler avec les acteurs pour voir comment, à partir de plusieurs leviers, arriver à réduire les coûts avec évidemment l’appui de l’Etat.
Où en êtes-vous avec la relance du tourisme face à l’impact de la covid-19 ?
«Le Sénégal dispose beaucoup d’arguments pour séduire les touristes. » Il faut d’abord se rendre compte qu’on est en train de sortir de la plus grave crise du tourisme mondial. Il y a eu quand même dans certains pays des pertes de recettes de l’ordre de 80% entre 2019 et 2021. Donc, on est plutôt en train de parler des conditions de la relance. Notre référence n’est pas 2021 mais 2019, année à laquelle nous étions à 1,7 million de touristes. A l’époque, l’objectif du Sénégal c’était d’arriver dans la perspective de 2023 à 3 millions de touristes. Nous maintenons ce cap dans la perspective 2023, 2024 2025. Le plan stratégique que j’ai évoqué un peu plus haut, dégage les différentes opportunités sur lesquelles, nous pourrons nous appuyer pour réaliser cet objectif. Je tiens seulement à souligner que le Sénégal, pour avoir été le premier pays en Afrique dans le cadre de la gestion de cette pandémie de Covid-19 en plus de son hospitalité légendaire et sa stabilité, dispose beaucoup d’arguments pour séduire les touristes.
Pensez vous réellement que ces aspects vont suffire à positionner le Sénégal face des à pays comme le Maroc qui dépense énormément d’argent dans le secteur du tourisme ?
Ce que je viens de dire n’est pas suffisant pour ramener les touristes mais sert à les rassurer. Il faut donc, en plus de cela organiser des campagnes de promotion et la nouvelle stratégie de l’ASPT va justement s’appuyer sur les spécificités de chaque région plutôt que sur le Sénégal dans son ensemble. Car, il peut exister plusieurs raisons pour lesquelles un touriste peut décider de venir chez nous. Ça peut être une volonté de découvrir l’homme sénégalais et son hospitalité légendaire ou découvrir nos produits artisanaux, notre sport traditionnel, tourisme médical, l’Ile de Gorée, le Musée des civilisations noires,… Toutes ces facettes et les produits du pays, il faut commencer à les exposer dans le cadre d’un travail marketing que nous avons déjà entamé à travers des supports médiatiques. Nous allons aussi adopter une démarche compétitivité visant à exposer nos produits touristes en fonction des marchés puisque tous les pays ne demandent pas du tourisme médical ou de l’écotourisme. Avec une approche compétitivité, on est sûr de pouvoir créer des conditions. Nous avons aussi une composante de l’offre touristique qui vise le capital humain parce que si on ne renforce pas la compétence pour aider les acteurs du secteur à être au plus haut niveau de professionnalisme dans les différents sous secteur, on ne pourra réussir à faire une bonne promotion de la destination Sénégal puisque les premiers promoteurs du tourisme, ce sont tous les intervenants dans ce domaine en commençant par les chauffeurs de taxis à l’aéroport, les vendeurs dans les marchés, les artisans, les guides, les professionnels des hôtels. Il nous faut donc parvenir à les aider à comprendre qu’ils sont les premiers acteurs de la promotion de la destination Sénégal.
L’Aspt dispose-t-elle des moyens aujourd’hui des moyens pour mettre en application toute cette stratégie?
On peut toujours évaluer les moyens de différentes manières mais ce qui est plus important c’est de constater que nous avons besoin de repositionner l’agence au plan institutionnel. Techniquement, je peux dire que l’agence a les moyens parce que nous avons la taxe de promotion touristique. Cependant, il faut reconnaitre la collecte de cette taxe est très difficile. Il faut vraiment avoir un bon système de collecte pour pouvoir mettre l’agence au même niveau que la concurrence. En attendant, il faut juste dire que c’est difficile de pouvoir être au même niveau que la concurrence compte tenu de la dimension transversale et des enjeux en termes d’image et d’identité de la destination du Sénégal à travers le monde. C’est vrai que comparait à la concurrence sous régionale en Afrique, on a effectivement des difficultés mais comme je l’ai déjà souligné, les moyens techniques sont là, il faut les optimiser pour pouvoir atteindre les objectifs fixés. Puisqu’il s’agit de communication et d’image, forcément ça demande beaucoup de ressources et de moyens. Nous pensons qu’il faut un renforcement institutionnel, il faut que l’Aspt devienne un organe fort et agile au sein du système national pour pouvoir jouer véritablement son rôle de promotion de l’attractivité de la destination Sénégal. Il faut également qu’on ait une meilleure connaissance de notre environnement, avoir une maitrise des données touristiques du pays mais aussi de notre environnement concurrentiel. Il faut qu’on change la perspective de vendre la destination Sénégal en mettant l’accent sur le digital.
Que vous inspire cette nouvelle méthode de dénonciation des pratiques de certains sénégalais sur la base de la collecte et diffusion des données à caractère personnel ?
Plus d’un sénégalais est été assez ému en voyant les images volées de citoyens sénégalais partagées dans l’espace public. De mon point de vue personnel et non en tant que porte-parole de la majorité, je pense que c’est inquiétant, ce n’est pas comme ça que nous concevons les règles du débat public qui doivent certes être marquées du sceau de la liberté parce que nous sommes quand même la première démocratie du continent (sic) à tout point de vue : nous avons une culture démocratique, nos rues sont démocratiques et nous avons également une longue culture de dialogue fondée sur l’éthique. Quand on voit donc, des images de cette nature ou on filme des gens à leur insu pour les diffuser, c’est un véritable problème. Je fais parti de ceux qui pensent que le débat public ne peut pas être fondé sur tout et n’importe quoi. Donc, les autorités publiques doivent utiliser tous les moyens disponibles pour l’encadrer.
En décidant d’ouvrir une information judiciaire à la suite de la diffusion des vidéos incriminant Kilifa et Simon aujourd’hui en détention préventive, le procureur de la République n’est-il pas en train de cautionner cette diffusion illégale des données à caractère personnel ?
Personnellement, je ne sais pas sur quoi le procureur s’est fondé pour ouvrir son enquête. Peutêtre vous mais pas moi. Ceci étant, j’ai effectivement vu les vidéos comme bon nombre de Sénégalais mais encore, je ne peux pas dire que c’est sur ça que le procureur s’est fondé pour ouvrir son enquête même si les images diffusées concernent effectivement cette affaire.
Et si tel était le cas ?
Si réellement, il s’est fondé sur ces images, on pourrait se poser des questions mais, il faut d’abord établir le lien ce qui n’est pas le cas pour le moment.
Plus d’un mois que l’affaire du trafic des passeports diplomatiques a éclaté mais aucune procédure de lever de l’immunité parlementaire des députés mis en cause n’a été enclenchée. N’est-ce pas là, une preuve d’une justice à deux vitesses ?
Je dois préciser que notre système judiciaire n’a pas été construit pour les hommes et les femmes politiques. Il faut se rendre compte de cela. D’ailleurs, je crois même que c’est une erreur de penser ainsi. Il faut donc que ceux qui pensent ainsi arrêtent de juger la justice sénégalaise à l’aune de leurs intérêts et de leur propre turpitude judiciaire. La justice s’occupe tous les jours de faire en sorte que les enfants de ce pays puissent circuler en homme libre. On circule librement parce qu’il y a un système d’état de droit au Sénégal qui fait que lorsque quelqu’un porte plainte, il sait que s’il a été accroché, volé ou agressé, il peut avoir justice. C’est ça la justice, avoir confiance que lorsqu’on se lève le matin et qu’on sort de chez nous, on est sûr qu’on a des règles garantissent qu’on peut marcher librement. C’est un peu trop facile et irresponsable à la fois de pointer le doigt, à chaque fois qu’on a des problèmes avec la justice, le procureur de la République ou le président Macky Sall. En plus, nous avons tous entendu les autorités de l’Assemblée nationale dire que lorsqu’on demandera la levée de l’immunité des députés cités dans cette affaire, ils voteront dans ce sens. Dans le même temps, les deux principaux mise en cause dans cette affaire se sont également engagés à répondre à toute convocation concernant cette affaire bien qu’ils ne soient pas obligés. Je rappelle aussi qu’on a eu trois situations à l’Assemblée nationale dont la première concernait notre camarade Seydina Fall dit Bougazeli. Il a eu le courage de démissionner immédiatement de l’Assemblée nationale pour se mettre totalement à la disposition de la justice. Il a bénéficié d’une liberté provisoire mais la procédure est toujours en cours. Le deuxième cas de l’Assemblée nationale concernait un député qui est accusé de viol (Ousmane Sonko, Ndlr) par une sénégalaise (Adji Raby Sarr, Ndlr). On le convoque pour audition, il refuse de répondre et provoque la mort de 14 personnes. Le troisième cas concerne cette affaire en cours de trafic présumé de passeports diplomatiques. Et les autorités de l’Assemblée nationale tout comme les mises en cause ont déjà donné des assurances fortes qu’ils vont collaborer avec la justice. Je ne vois pas de raison de sentir un deux poids deux mesures dans le traitement de ces différents cas.
Mais, il faut reconnaitre que cette affaire est quand même très problématique surtout pour l’image de l’Assemblée nationale et du Sénégal.
Il faut qu’on revient à de meilleurs sentiments. Un député bénéficie du mandat des sénégalais, à ce titre, il y a une exigence morale qui s’impose à lui tout comme aussi aux magistrats, aux forces de défense et de sécurité voire à tout serviteur public. Cela dit, tout citoyen sénégalais peut potentiellement commettre un délit ou un crime. Nul n’est à l’abri de cela. La question est maintenant de savoir si on respect l’état de droit ou pas dans ces cas. Je n’ai pas vu quelque part ou on a bafoué fondamentalement les droits d’un citoyen sénégalais. L’état de droit fonctionne sur la base des règles de droits et non sur la base de la rumeur ou des émotions des uns et des autres.
Il y en a qui pensent que pour éviter d’autres affaires de ce genre, on devrait inclure une procédure d’enquête de moralité à tous les candidats et candidates à la députation. Quel est votre avis ?
Je ne partage pas cette idée. Je ne suis pour une quelconque enquête de moralité des candidats à la députation. Nous sommes tous des sénégalais et c’est le même peuple. Donc, pas de différence et c’est bien d’avoir une Assemblée nationale plurielle ou chaque catégorie sociale et professionnelle se reconnait. En plus, si la loi prévoit la procédure de levée de l’immunité parlementaire d’un député, c’est parce qu’on sait que potentiellement, les députés peuvent commettre des délits ou crimes. Donc, il n’y a pas de quoi à fouetter un chat. Ce n’est pas parce qu’on est député qu’on est une puissance morale.
Malgré l’appel du chef de l’Etat, des responsables de la majoritaire continuent à faire des déclarations de candidature pour les Locales. N’est-ce pas là une défiance claire à l’autorité, du patron de votre coalition ?
Nous avons plus de 500 collectivités territoriales dirigées par des membres de notre coalition. Partant de cet aspect, nous pouvons dire que globalement, la consigne a été respectée parce que si dans toutes les localités, les gens se mettaient à faire leur déclaration de candidature, on aurait du mal à nous en sortir. Il faut donc saluer la discipline des camarades. Maintenant, que des bases s’activent pour sponsoriser des candidatures, il y en a partout y compris chez moi à Yoff où des camardes ont sponsorisé ma candidature. On ne peut pas empêcher cela puisque ce sont les bases politiques qui ont la légitimité par ailleurs de faire ce travail qui, à mon avis, montre qu’il y a une vitalité politique très forte dans notre coalition.
Êtes-vous disposer à répondre favorablement à ces camarades qui demandent votre candidature à Yoff ?
Vous ne pouvez pas me dire une chose et me demander de faire son contraire.
Vous venez de dire que ce sont les bases qui ont la légitimité de demander la candidature d’un leader ?
Oui, mais vous venez de me rappeler que le président de la coalition demande qu’on n’exprima pas nos ambitions. Je ne peux donc donner de réponse à votre question.
Vos camarades de l’Apr ne sont-ils pas en train de fragiliser le BBY en voulant s’accaparer des mairies diriger par vos alliés notamment à Golf Sud, à Kaffrine etc. ?
Il y a même des camarades de l’Apr qui visent les mairies dirigées par leurs camarades de parti. Je pense que cela montre tout simplement qu’il y a des ambitions, une chose qui est tout à fait normale au niveau local et c’est bien pour ça que le président a demandé qu’on attende son arbitrage. Il a compris que ces élections vont susciter plusieurs ambitions mais globalement, on est rassurés, on a confiance parce que nous avons la coalition la plus large et la plus durable.
Pensez-vous que Dakar soit maintenant à la portée de votre coalition ?
Je rappelle seulement qu’en sept ans, l’opposition n’a gagné Dakar qu’en 2014. Oui mais c’est parce que le régime a fragilisé Khalifa Sall avec cette affaire de caisse d’avance Je vous rappelle qu’il n’était pas fragilisé lors du référendum de 2016. Il a participé activement à la campagne pour le «Non » au final, il a été battu même dans son propre bureau de vote à Grand-Yoff. Les Sénégalais sont libres et très intelligents, ils regardent ceux qui ont des projets cohérents et votent pour ces derniers.
Certains de vos camarades pensent que le président devrait dans son arbitrage designer les maires sortant candidats dans leur localité pour éviter des frustrations. Qu’en pensez-vous ?
Ce serait une bonne approche mais chaque situation politique avec également sa réalité. La conférence des leaders fera le bon choix en fonction de chaque situation. Ce que vous avez dit a priori, c’est du bon sens mais la réalité du terrain peut être autre.