CHIRAC, L'AFRICAIN
L'ancien maire de Paris avait noué de véritables liens d'amitié avec les leaders du continent, notamment des pays francophones. Parmi ses proches figurent le gabonais Omar Bongo, le togolais Gnassingbé Eyadéma ou Abdou Diouf, du Sénégal
Jacques Chirac n'avait jamais rompu avec la politique héritée de De Gaulle. Il avait mis en place une diplomatie de l'amitié souvent interventionniste.
"Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change." Si les mots ne sont pas de Jacques Chirac, ils auraient aisément pu définir sa politique en Afrique. Grand avocat devant l'Éternel - et devant les institutions internationales - de l'essor de la région, l'ancien président français en était également l'un des principaux obstacles. Un funambulisme politique durant douze années qui ont plus que fragilisé la crédibilité de la France auprès des peuples africains.
Avec la mort de l'ancien locataire de l'Élysée, l'Afrique perd pourtant l'une de ses grandes figures, "Chirac l'Africain". Au-delà des mandats et du protocole, Jacques Chirac vouait - comme aux autres civilisations non occidentales - un véritable culte. "Il était amoureux de l'Afrique, de son esthétique, de ses peuples, de cette chaleur humaine", rappelle Jean-Pierre Dozon, directeur d'études à l'EHESS. Un amour qu'il affichera jusque sur les rives de la Seine, au Quai Branly. Et qui pourtant ne pourra dissimuler une forme de paternalisme envers le continent, teinté d'une "vision enfantine de l'Africain", estime Richard Banégas (1), enseignant à Science Po.
Ce tropisme pour le continent noir n'est en rien anodin. En filigrane, Chirac suit pas à pas la politique française échafaudée en son temps par De Gaulle. À ses côtés, durant les deux premières années de son mandat, il peut compter sur la présence de Jacques Foccart, le "monsieur Afrique" du général. "Il est pour Chirac une sorte de père, de tuteur, de sorcier peut-être", analyse l'ancien journaliste Daniel Carton. "Rares sont les soirs où, vers 23 heures, presque comme un rite, Jacques Foccart ne téléphone pas à Chirac." Malgré des moyens financiers significativement amputés et une influence en berne (au détriment des États-Unis, de l'Inde ou de la Chine) dans le continent, le président français entend réaffirmer l'héritage français en Afrique.
La diplomatie de l'amitié
En bon disciple de Foccart, il pratique la diplomatie de l'amitié. L'ancien maire de Paris va ainsi nouer de véritables liens d'amitié avec les leaders du continent, notamment des pays francophones. Parmi ses proches figurent le Gabonais Omar Bongo, le chef d'État togolais Gnassingbé Eyadéma ou Abdou Diouf, du Sénégal. Le président français se forge une véritable notoriété en Afrique, quitte pour cela "à fermer les yeux sur les agissements des régimes autoritaires amis", rappelle Gérard Claude, enseignant à l'IEP d'Aix-en-Provence (2). Peu importe, "l'Afrique n'est pas mûre pour le multipartisme", aurait affirmé Jacques Chirac, pour justifier son soutien à certains personnages contestés.
De ces obscures amitiés découleront aussi bon nombre d'interrogations et de soupçons quant à des affaires de corruption, de détournement de fonds ou de financement occulte de campagne électorale entre Paris et le continent africain. "On a toujours su que l'argent circulait dans les deux sens, sous la gauche comme sous la droite", estime Jean-Pierre Dozon. "Chirac a dû en bénéficier, en tant que candidat, pas à titre privé. Ce n'est pas très glorieux, mais l'Afrique restait un lieu important de corruption", conclut-il.
Chirac l'interventionniste
La politique de Jacques Chirac en Afrique sera également marquée du sceau de l'interventionnisme. Quelque peu bridé durant la cohabitation avec les socialistes (1997-2002) et la politique du "ni ingérence ni indifférence" reprise par Lionel Jospin, le président français voit dans sa réélection en 2002 l'occasion de réaffirmer la place de la France, condamnée à "prendre ses responsabilités".
Dans le costume de chef des armées, Chirac va ainsi déployer à de nombreuses reprises les troupes françaises sur le continent noir. En septembre 2002, Paris engage plusieurs milliers de soldats dans l'opération Licorne (sous mandat de l'ONU) en Côte d'Ivoire : le plus important déploiement militaire de la France sur le continent. Un an après, l'armée intervient de façon ponctuelle en République Démocratique Congo, lors de l'opération Artémis. Puis, en 2006, les troupes françaises prennent part à des missions de soutien au Tchad et en Centrafrique.
En février 2007 vient pourtant l'heure pour le président de tirer sa révérence. Chirac ouvre pour la dernière fois la grand-messe du (24e) Sommet France-Afrique. Devant les dignitaires africains, il délivre un discours aux allures de testament à tout un continent : "Depuis douze ans, j'ai tenu à ce que, tout en assumant dans la fidélité son héritage historique, elle [la France, NDLR] accompagne les évolutions du continent dans un esprit nouveau." Comme un ultime aveu de cette indécision politique, qui "restera le symbole de cette politique de Paris, sous Chirac", rappelle Richard Banégas. Une politique écartelée entre "perpétuation d'une vieille politique d'ingérence" et "abandon du legs colonial".
(1) La politique étrangère de Jacques Chirac, sous la direction de Christian Lequesne et Maurice Vaïsse, Riveneuve éditions, 2013.
(2) Gérard Claude est l'auteur de Chirac "l'Africain". Dix ans de politique de la France, 1996-2006, Revue Politique étrangère, Hiver 2007.Lire également : Le syndrome Foccart : la politique française en Afrique, de 1959 à nos jours, Jean-Pierre Bat, Folio 2012.