CROISADE CONTRE LA JUSTICE A DOUBLE VITESSE
CÉLÉBRATION DE L’AN CINQ DU M 23 -Y’EN A MARRE INDEXE MACKY
Le mouvement Y’en a marre a vivement dénoncé hier, jeudi, lors d’une conférence publique organisée dans le cadre de l’An cinq du 23 juin, l’absence de rupture dans la gouvernance politique au Sénégal. Qui plus est, ses responsables ont fustigé la justice à double vitesse sous le régime de Macky Sall avant d’exiger la réouverture du procès des jeunes de Colobane pour rendre justice à feu Fodé Ndiaye.
«Le Sénégal sous Macky Sall : Justice inéquitable / Yoon Angui Jeng», tel était le thème de cette conférence publique commémorative de l’An cinq du soulèvement populaire contre le projet de loi du régime libéral de Me Wade, instituant l’élection simultanée, au suffrage universel direct, d’un président et d’un vice-président. Lors de cette rencontre qui a vu la participation de plusieurs acteurs des organismes de défense des droits de l’homme mais aussi des ex-détenus victimes des longues détentions préventives et proches de détenus, les Y’en a marristes ont notamment dénoncé la justice à deux vitesses qui sévit au Sénégal. «Quatre ans après la seconde alternance politique et cinq ans après le 23 juin, on se rend compte que la justice est toujours du côté des forts, du côté des hommes publics. Toutes les célébrités ont accès à la liberté provisoire systématiquement si ce n’est la grâce présidentielle qui est annoncée par le président de la République lui-même. A l’heure où les fils de paysans et d’ouvriers, ceux qui constituent le cœur de ce pays, sont oubliés en prison et personne n’en parle. C’est pour cela qu’on parle de justice inéquitable», a dénoncé le coordonnateur des Y’en a marristes, Fadel Barro.
Comme pour le conforter, le Directeur du bureau régional d’Amnesty international pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, Alioune Tine, présent également à cette rencontre reconnait qu’il y a un problème avec notre justice notamment sur la grâce. «Dans ce pays, il y a une justice pour les riches et une autre pour les pauvres. Il faut examiner, discuter et en débattre pour savoir qui doit mériter la grâce présidentielle. Car, ce sont les célébrités qui en profitent. C’est inacceptable que les crimes économiques ne soient pas punis. Par rapport à toutes les questions que nous avons sur l’éducation, la santé, il faudrait des mesures crédibles, légitimes, fortes pour mettre un terme aux crimes économiques et à leur impunité. C’est une demande très forte. Il faut que les crimes économiques soient considérés comme des crimes internationaux», a clamé l’ancien secrétaire général de la Rencontre africaine de défense des droits de l’homme (Raddho).
A la suite d’Alioune Tine, plusieurs acteurs prendront d’ailleurs la parole pour dénoncer à leur tour cette «justice à double vitesse» dans le Sénégal sous Macky Sall. Premier à prendre le micro, Rama Diop, ex-pensionnaire du Camp pénal, a ému toute l’assistance par son témoignage. Accusée, elle a passé quatre ans en détention préventive dans cette maison d’arrêt pour femmes avant d’être libérée le 14 mars dernier après un non-lieu du tribunal. Aujourd’hui, cette femme qui réside à Guédiawaye et dont le mari est condamné à dix ans, se dite porteuse d’un message de toutes les victimes de cette longue détention préventive.
POUR UNE REOUVERTURE DU PROCES DES JEUNES DE COLOBANE
Prenant la parole à son tour, Maguette Mané, sœur de l’un des deux jeunes de Colobane condamnés à vingt ans de prison pour le meurtre du policier Fodé Ndiaye, tué durant la période électorale de 2012, a dénoncé la libération des «violeurs et voleurs de deniers publics à l’heure où leurs frères croupissaient en prison pour un «crime qu’ils n’ont pas commis». Et de dire : «Nous demandons à Macky Sall de libérer nos fils. Ils n’ont rien fait. Au moment des faits, Cheikh Diop dormait dans sa chambre, il n’était même pas au courant. Son père est mort alors qu’il était en détention préventive. Aujourd’hui, après sa condamnation, sa femme a rejoint sa maison paternelle parce qu’elle ne pouvait plus attendre», a soutenu par contre Ndèye Ndiaye, mère de Cheikh Diop (un des condamnés du meurtre de Fodé Ndiaye), larmes aux yeux.
Au terme de cette rencontre, le coordonnateur national du mouvement Y’en a marre a exigé la libération sans condition des jeunes de Colobane. Selon lui, ces jeunes sont détenus sur la base de faux témoignages d’une personne d’une moralité douteuse et d’aveux obtenus sous le coup des tortures. «C’est inadmissible. Ce que nous demandons, c’est la réouverture de ce dossier. Il faut que justice soit rendue à Fodé Ndiaye, ce jeune policier qui a été tué. Il faut donc rouvrir ce dossier. On ne demande pas de grâce présidentielle encore moins de liberté provisoire pour ces jeunes. On demande seulement justice pour le bas peuple. Et cette justice doit commencer par la réouverture de ce dossier des jeunes de Colobane », a conclu Fadel Barro tout en annonçant une campagne pour leur libération. Dénommée «Yoon Angui Jeng», cette campagne qui va commencer, selon lui, par une visite de sensibilisation auprès des responsables religieux sur cette justice à double vitesse sera bouclée par une grande mobilisation publique.
Y’EN A MARRE SUR LA LIBÉRATION ANNONCEE DE KARIM WADE : MACKY SALL ET SON REGIME «N’ONT JAMAIS ETE INTERESSES PAR LA TRAQUE»
Interpellé au terme de cette rencontre sur la libération annoncée de Karim Wade, le coordonnateur du mouvement Y’en a marre a indiqué que cette décision montre définitivement que le président Macky Sall et son régime «n’ont jamais été intéressés par la traque des biens mal acquis». «Combien de personnes ont été citées dans ce dossier ? Combien d’argent a été détourné, comment il a été tracé, combien on a recouvré ? Il n’y a aucune transparence sur ce dossier de traque de biens supposés mal acquis. À part quelques arrestations spectaculaires qui, au bout du compte, se sont terminées par des libérations spectaculaires, on ne sait absolument rien sur ce dossier», martèle Fadel Barro. Poursuivant son propos, le Y’en a marriste a par ailleurs déploré la persévérance de certaines pratiques contre lesquelles les Sénégalais s’étaient battus le 23 juin 2011 pour asseoir la bonne gouvernance.
«Aujourd’hui, on voit l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), mise en place par ce régime de Macky Sall, épingler dans son rapport la gestion des structures comme le Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) et en retour, c’est presque l’omerta total. Comme si l’État cherchait à protéger ses directeurs généraux incriminés par le rapport de l’Ofnac. On est en raison de douter quatre ans après l’alternance si Macky Sall s’inscrit réellement sur la ligne de rupture parce que les actes qui sont posés remettent en cause tout l’espoir suscité par son élection en 2012». Pour Fadel Barro, la question n’est pas de savoir si on est pour ou contre la libération de Karim Wade mais plutôt d’éclairer les Sénégalais sur le recouvrement de leur argent. «Qu’il libére Karim Wade ou pas, cela ne nous intéresse pas d’autant plus que ce dernier a été déjà jugé, reconnu coupable et condamné par la justice sénégalaise et cela est extrêmement important à souligner. Le tribunal a établi que par-devers lui, il y a de l’argent qui appartient aux Sénégalais et cet argent doit être rendu aux Sénégalais même si on le libère».