DAME INCONSOLABLE
Zenaba Bassou Ngolo, veuve du journaliste Saléh Ngaba
A la barre hier, il y avait un autre témoin, la veuve du journaliste Saléh Ngaba, Zenaba Bassou Ngolo. Elle est revenue sur les circonstances de l’arrestation et de la mort de son mari. Elle a accusé nommément Hissein Habré comme étant le «commanditaire de l’assassinat» de son mari.
Les témoins accentuent la pression sur Hissein Habré. De plus en plus, devant la barre, des présumées victimes l’interpellent nommément pour des éclairages sur la mort d’un mari, d’un père ou tout simplement d’un proche. Hier, c’était au tour de la veuve de Saléh Ngaba, journaliste arrêté en 1987 à Mongo et mort dans les geôles du régime de Habré. Mais l’inculpé, comme à son habitude, s’est emmuré dans le silence.
A l’époque, Saléh Ngaba était un journaliste très connu. Il travaillait à l’Agence de presse tchadienne, était aussi le correspondant de plusieurs organes de presse internationaux comme Rfi, Agence France presse et Ap.
Ce journaliste d’ethnie Hadjaraï était réputé pour ses articles très critiques à l’égard du régime de Habré. «Il dénonçait les arrestations massives, les exécutions sommaires du régime de Habré, et cela avait énervé le Président», soutient son épouse.
Ne se sentant plus en sécurité à Ndjamena, raconte la veuve, Saléh Ngaba avait quitté la capitale pour rejoindre son village natal Mongo, à 500 kilomètres de Ndjamena. Trois mois après sa fuite, il a été arrêté avec la complicité de son cousin, tué après par les agents de la Dds, selon les explications de Zenaba Bassou Ngolo. Sa femme qui ignore les circonstances de son embastillement a révélé devant les juges des Chambres africaines extraordinaires (Cae) qu’elle a appris l’arrestation de son mari à la radio nationale du Tchad. Il ajoute : «C’est après que j’ai su qu’il était mort.»
Saléh Ngaba était prisonnier d’opinion, selon Amnesty international
L’arrestation avait eu des retentissements internationaux. Amnesty international l’avait élevé en prisonnier d’opinion et avait par télégramme interpellé à plusieurs reprises le Président Habré pour sa libération. Décrit comme l’une des victimes phare de la répression contre les Hadjaraï, il avait également intéressé la communauté internationale.
Interrogeant la victime, le procureur a rapporté qu’un journaliste, répondant au nom de Christian Ribé, avait demandé à Habré de libérer Saléh Ngaba. Mais, souligne Mbacké Fall, le Président lui avait répondu : «C’était trop tard, il est mort.»
Voulant savoir de quoi il était mort, Habré lui avait rétorqué avec ces propos : «De quoi voulez-vous qu’il meure dans une prison au Tchad ?», rapporte toujours Mbacké Fall. Mais Zénaba Bassou Ngolo est formelle. «C’est Hissein Habré qui a ordonné l’arrestation de mon mari et a donné l’ordre de le tuer», clame-t-elle.
«La plume a été la seule arme de mon mari»
«Est-ce que vous étiez au courant que le nom de votre mari avait été retrouvé dans un document des archives de la Dds sur une liste de personnes détenues», interroge le Parquet. «C’est vous qui me l’apprenez», répond la veuve Ngaba, voix tremblante.
Le procureur poursuit : «Un autre document précise qu’il figurait au numéro 62 des personnes mortes en prison courant janvier-décembre et qu’il est mort de dysenterie chronique». «Je ne connaissais rien de toutes ces informations», grommelle-t-elle.
Auparavant en 1984, Saléh Ngaba avait été arrêté et emprisonné pendant 10 jours. Deux ans après, il était parti en France pour poursuivre ses études, selon sa femme qui relate à la barre une confession de son mari : «Le jour où on m’arrêtera, ce sera fini pour moi. Hissein Habré va me tuer», déclare-t-elle.
Zenaba Bassou Ngolo précise à l’égard de la défense : «Mon mari n’a jamais porté d’arme. Sa seule arme, c’était sa plume», soutient-elle fermement. Elle s’est inscrite en faux contre les allégations de l’ambassadeur du Tchad aux Etats-Unis à l’époque qui disait que Saléh Ngaba avait été arrêté en possession d’arme à feu.
AUDITION DE L’ANCIEN MARÉCHAL EN CHEF DE LOGIS
«Ils m’ont battu, blessé à l’œil et édenté»
Après des tortures «subies» de la part des gardes du régime de Habré, l’ancien maréchal en chef de logis n’a dû son salut qu’en faisant le mort suite à une exécution. Revenant hier sur ses douloureux souvenirs, Brahim Service attend que justice lui soit rendue.
Comparaissant hier devant les Chambres africaines extraordinaires (Cae) à titre de témoin et partie civile, l’ancien maréchal en chef de logis est revenu dans les détails sur les pénibles moments vécus pendant le règne de Habré à la tête du Tchad. Alors qu’il était en permanence le jour de son arrestation en 1988, Brahim Service a eu la surprise de recevoir la visite inopinée de ses frères d’armes, venus l’arrêter avant de le conduire en prison.
Dans sa narration des faits, le témoin déclare qu’il lui est reproché de préparer, avec des gens, une rébellion contre le régime de Habré.Et c’est pour cette raison, poursuit-il, qu’il a été conduit en prison où on lui a fait subir des tortures. «Ils m’ont battu, blessé à l’œil et édenté. J’avais même perdu connaissance», a-t-il expliqué.
A la suite de ce traitement, il a été conduit par deux militaires, menotté, dans le bureau du commandant pour un interrogatoire. Après cette interpellation, il a été acheminé dans une cellule où il a trouvé 4 détenus. Deux jours après, une femme a été mise dans cette cellule portant à 6 le nombre de prisonniers.
Le «supplice» ne faisait que commencer pour le maréchal et ses codétenus. Après 17 jours de détention dans cette prison, les 5 hommes ont été extraits de la cellule et mis dans une voiture de marque Toyota pour être «exécutés». «Ils ont pris la rue de Bokoro. Arrivés à une montagne, ils nous ont bandé les yeux. Ils nous ont alignés. Le commandant, explique-t-il, nous a demandé de prononcer la profession de foi. Il a donné l’ordre à un monsieur de tirer sur nous. Quand il a tiré, tout le monde est tombé. Moi la balle m’avait touché au pied et j’ai fait le mort», dit-il.
Croyant qu’il était sauf, il voulait quitter les lieux après le départ des soldats, mais est tombé. «Toutefois, j’ai réussi à quitter les lieux vers 1h et j’ai atteint un village où j’ai vu des bergers à 4 heures du matin après avoir rampé 4 km», fait-il savoir.
A l’en croire, c’est le berger qu’il a trouvé dans la forêt qui l’a conduit à Abraye chez le chef de village. Et là, il a été pris en charge avant d’être conduit à Bokoro. Mais l’ancien maréchal n’était pas encore au bout de ses peines, car il a été conduit à la brigade par ces bienfaiteurs.
Par la suite, souligne-t-il, un agent de la Dds est venu l’interpeller sur l’origine de ses blessures avant de lui demander s’il était Hadjaraï. Après son acheminement à l’hôpital le lendemain, il a été ramené à Ndjamena avant d’être conduit à nouveau à la Bsir (Brigade spéciale d’intervention rapide) où il a subi «d’autres tortures».
AUDITION DE DJEDE KOURTOU GAMAR AMPUTÉ EN AVRIL 1983
«Des tirs des éléments de la Bsir ont pulvérisé mon mollet droit»
Dans l’après-midi d’hier, la Cour a accueilli Djede Kourtou Gamar, ex-directeur de l’Agence de presse tchadienne. Cet homme d’ethnie Hadjaraï se souvient d’un soir du 21 avril 1983 après une journée de travail. Sur le chemin du retour, déclare-t-il, sa voiture avait été suivie par une autre avec à bord des éléments de la Brigade spéciale d’intervention rapide (Bsir) qui roulait à une vitesse «anormale». « Arrivés à leur hauteur, ces éléments ont tiré à bout portant sur nous. Mon mollet était pulvérisé. Le sang a giclé à flot et les tireurs sont répartis aussitôt après», explique-t-il devant la barre.
Djedé Kourtou Gamar était transporté à l’hôpital central de Ndjamena où il a été hospitalisé durant deux mois. Il est amputé au niveau du fémur. «Actuellement, je porte une prothèse fémorale», déclare-t-il.
«Depuis ce 21 avril 1983, je porte ce handicap avec des séquelles», note-t-il. Pourtant, relève-t-il, il fut un proche collaborateur de Habré. «J’ai été très actif dans la marche de Habré vers le pouvoir. Je l’ai accompagné durant 9 mois en dirigeant le journal El Watan et la radio Tchad Libre jusqu’à la prise du pouvoir par Habré le 7 juin 1982. Je l’ai servi loyalement», regrette-t-il.