DECLARATION DE PATRIMOINE, GAGE DE TRANSPARENCE OU INSTRUMENT DE POUVOIR ?
Si les ‘’fuites’’ orchestrées à propos du patrimoine d'Idrissa Seck ont des visées politiciennes, elles ont aussi le mérite de mettre en lumière un anachronisme : l’exception devient la règle en matière de déclaration de patrimoine, au mépris de la loi
La déclaration de patrimoine a, à bien des égards, des allures de gageure pour nombre de personnalités sénégalaises assujetties. Les menaces et rappels à l’ordre du chef de l’Etat n’y font pas grand-chose. Les ‘’fuites’’ orchestrées sur le patrimoine du président du Conseil économique, social et environnemental, si, elles ont des visées politiciennes, elles ont aussi le mérite de mettre en lumière un anachronisme : l’exception devient la règle, en la matière, au mépris de la loi.
Idrissa Seck déshabillé. Macky Sall et ses proches toujours recouverts d’un grand voile de mystère. Pour le premier, les choses sont allées très vite. A peine a-t-il déposé, conformément à la loi 2014-17 du 2 avril 2014, sa situation patrimoniale, vendredi dernier, le voilà livré à la vindicte populaire. En sus du cyber campus et de sa maison du Point E que tout le monde connaissait déjà, le magazine ‘’Le Confidentiel’’ informe qu’il posséderait deux autres terrains et une maison où il logerait sa sœur à Thiès. Toujours dans la région, il détiendrait un domaine à Sindia. Pour les terrains, il aurait acquis l’un auprès d’un homme d’affaires ; l’autre lui aurait été offert par l’homme d’affaires Abbas Jaber pour y ériger, au nom d’une fondation de ressortissants thiessois, une école d’excellence.
Dans la région de Dakar, l’actuel président du Conseil économique, social et environnemental posséderait, en sus de sa maison du Point E, une autre maison à Toubab Dialaw et un terrain de deux hectares situé en bordure de mer, près de Mermoz.
Interpellé sur ces révélations, ce membre de son entourage, qui n’a pas voulu s’épancher sur le sujet, a tenu cependant à préciser : ‘’Pour moi, ce n’est ni plus ni moins que de la stigmatisation et une campagne de désinformation. Le président Idrissa Seck devait être félicité, parce qu’il n’a pas attendu que le débat de sa déclaration de patrimoine soit posé. De manière spontanée, il s’est acquitté de son obligation légale. Je pense qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Ce dont il est question comme biens, même un ministre aurait pu l’avoir.’’
A propos des évaluations financières qui ont été faites sur lesdits biens, il estime que cela n’engage que leurs auteurs. ‘’Il est évident qu’il y a trop d’exagérations. Ce qui est important de relever, c’est que les mêmes qui disaient qu’Idrissa a rejoint Macky, parce qu’il serait fauché, ce sont les mêmes qui disent aujourd’hui qu’il est milliardaire. C’est ça qui devrait vous interpeller’’.
Régime juridique de la déclaration
Mais d’où provient la fuite ? Est-ce du camp d’Idrissa Seck qui a voulu jouer la carte de la transparence jusqu’au bout ? Est-ce de l’Ofnac ou de ses membres qui ont laissé fuiter l’information ? Dans le premier cas, ce serait tout à fait légal. Par contre, si c’est l’inverse, ce serait une faute lourde, passible de sanction, selon la loi de 2014.
En effet, aux termes de l’article 5 alinéa 2 dudit texte, ‘’les déclarations déposées et les observations formulées ne peuvent être communiquées qu'à la demande expresse du déclarant ou de ses ayants droit ou sur requête des autorités judiciaires’’. Dans la même veine, l’article 9, en ses alinéas 1er et 2, souligne : ‘’Le processus de la déclaration de patrimoine revêt un caractère confidentiel. Toute personne concourant à sa mise en œuvre est astreinte au secret professionnel. Tout manquement au caractère confidentiel de la déclaration de patrimoine, par divulgation ou publication quelconque, ou à la sincérité de son contenu, sera puni des peines prévues par les lois en vigueur.’’
Sur ce point, ils sont nombreux, les observateurs, à demander la levée du verrou, au nom du droit à l’information et de la transparence. D’autres invoquent, en revanche, le contexte social pour justifier la confidentialité. ‘’Dans notre société, même quand vous voyagez, on vous recommande de le garder secret, sinon vous risquez de ne pas arriver à destination. Même la mariée ; d’abord, elle rejoint le domicile conjugal la nuit. Ensuite, elle est voilée. C’est-à-dire qu’on la cache, contrairement en Occident. Donc, moi, je n’ai aucun problème à ce que la déclaration soit gardée secrète. L’essentiel est qu’elle puisse se faire. Autrement, certaines personnes qui peuvent être utiles à leurs pays peuvent ne pas accepter de servir à certaines fonctions. Je pense que nous avons une bonne loi. La seule chose à rectifier peut-être, c’est les lourdeurs’’.
Sur ce registre, des pays comme le Burkina Faso ont d’ailleurs fait des efforts considérables. Depuis août 2020, l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) a mis en place une plateforme numérique, pour faciliter la déclaration des biens des hautes personnalités. ‘’Désormais, informe le site du gouvernement burkinabé, plus besoin d’utiliser une importante quantité de papiers, à travers des formulaires, pour faire sa déclaration d’intérêts et de patrimoine…’’.
Mieux, au ‘’Pays des hommes intègres’’, sur le site de l’ASCE-LC, la liste de tous les membres de l’Exécutif ayant rempli leur obligation de déclaration est bien visible. Sur ledit portait, on y découvre une liste de 55 personnalités, dont le président de la République lui-même. Un autre tableau est prévu pour signaler les personnalités qui ne se sont pas acquittées de leurs obligations. Mais cette partie reste vierge, tous les concernés ayant fait leur déclaration.
Cela dit, en ce qui concerne la confidentialité, il convient de rappeler que dans l’exposé des motifs de la loi sénégalaise 2014-17, le législateur indique que le mécanisme de la déclaration de patrimoine ‘’vise, d'une part, à prévenir tout risque d'enrichissement illicite de titulaires de hautes fonctions et, d'autre part, à satisfaire au besoin légitime d'information des citoyens sur la situation et le comportement des dirigeants publics, dans un contexte de transparence’’.
Mais sous nos cieux, on a l’impression que la loi a tendance à se muer en un instrument entre les mains du président de la République, qui veut tenir en respect ses collaborateurs les moins disciplinés.
Pour rappel, à quelques semaines de son dernier remaniement, le président de la République avait intimé l’ordre à tous ses ministres de faire leur déclaration de patrimoine, après avoir toléré la violation de la loi pendant un bon bout de temps. Malgré les rappels de l’Ofnac. Déjà, certains y avaient vu un moyen d’avoir une idée sur l’arsenal de guerre de certains de ses proches collaborateurs, coupables du délit d’ambition.
Régime juridique de la DP
Aux termes de l’article 1er de la loi 2014-17 du 2 avril 2014, les personnes assujetties ‘’doivent, dans les trois mois qui suivent leur nomination, formuler une déclaration certifiée sur l'honneur, exacte et sincère de leur situation patrimoniale, concernant notamment leurs biens propres ainsi que, éventuellement, ceux de la communauté ou les biens réputés indivis en application de l'article 380 du Code de la famille’’.
Ces biens, prévoit la loi, sont estimés à la date du fait générateur de la déclaration, comme en matière de droit de mutation à titre gratuit. La même obligation est applicable dans les trois mois qui suivent la cessation des fonctions, pour cause autre que le décès.
Par rapport au dépôt de la déclaration de patrimoine, l’article 3 prévoit : ‘’Les autorités ci-dessus mentionnées (mentionnés à l’article 2) déposent leur déclaration de situation patrimoniale auprès de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption contre décharge, ou l'adressent au président de ladite structure par courrier recommandé avec accusé de réception.’’
Et il ressort de l’article 4 que ‘’la déclaration doit comporter toutes les informations relatives aux biens et actifs détenus par la personne concernée, directement ou indirectement’’.
Parlant de biens, il peut s’agir et d’immeubles et de meubles. En ce qui concerne les biens meubles, ils englobent ‘’les comptes bancaires courants ou d'épargne, les valeurs en bourse, les actions dans les sociétés de commerce en général, les assurances-vie, les revenus annuels liés à la fonction occupée ou provenant de toute autre source, les véhicules à moteur, les fonds de commerce’’, entre autres. Pour ce qui est des immeubles, ils visent ‘’les propriétés bâties au Sénégal ou à l'étranger avec description en annexe ; les propriétés non bâties au Sénégal ou à l'étranger ; les immeubles par destination au Sénégal ou à l'étranger’’.
Concernant lesdites propriétés, ‘’le déclarant, informe la loi, communique les adresses et les copies certifiées des titres authentiques. Outre les éléments de l'actif cités, le déclarant mentionne le passif de son patrimoine incluant les dettes hypothécaires, les dettes personnelles et tous autres engagements qu'il juge nécessaire de signaler’’.
REGIME SPECIFIQUE DE LA DECLARATION DU PRESIDENT
L’article 37 prévoit la publicité
Si la loi 2014-17 prévoit la confidentialité de la déclaration auprès de l’Ofnac, l’article 37 alinéa 3 de la Constitution, qui traite de la situation patrimoniale du président de la République, en dispose autrement. Aux termes de cette disposition : ‘’Le président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée au Conseil constitutionnel qui la rend publique.’’
Interprété par certains comme une avancée non-négligeable en matière de transparence dans la gouvernance des affaires publiques, ce texte est jugé ‘’très laconique’’ par plusieurs autres observateurs avertis.
Mais le mérite, à ce niveau, c’est surtout d’avoir prévu la possibilité et de permettre au peuple de s’informer sur le poids financier de celui qui a été élu comme chef de l’Etat.
Le hic, c’est que depuis sa réélection, il n’a nullement été rendu à la connaissance du public le patrimoine du président de la République Macky Sall. A ce jour, la seule déclaration qui a été rendue publique, c’est celle en date de 2012, qui avait suscité, à l’instar de la déclaration d’Idrissa Seck, un tollé