DES EXPERTS EN DÉCENTRALISATION DIVISÉS SUR LA DÉPAREMENTALISATION DE KEUR MASSAR
Ça ne danse pas sur le même tempo du côté des experts en décentralisation concernant le projet de redécoupage administratif de la région de Dakar, prévu pour faire de Keur Massar un chef-lieu de département
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Le projet d’érection de Keur Massar, commune de Pikine, en 46ème département du Sénégal, avec son lot de redécoupage administratif dans certaines localités de la région de Dakar, est diversement apprécié par les experts en décentralisation. Si l’idée de la visée politicienne, avec comme conséquence le non-respect d’une cohérence territoriale, est brandie par certains, d’autres y voient par contre une opportunité socio-économique suffisante à saisir par cette nouvelle ville, à même de peser lourd contre cette crainte de déséquilibre territorial.
Ça ne danse pas sur le même tempo du côté des experts en décentralisation concernant le projet de redécoupage administratif de la région de Dakar, prévu pour faire de Keur Massar un chef-lieu de département. En effet, si ledit projet fait déjà grincer des dents dans beaucoup de localités impactées, comme à Bambilor ou encore au niveau des 5 villages que sont Keur Ndiaye Lo, Keur Daouda Sarr, Kounoune, Kounoune-Ngalap et Cité Mbaba Guissé, du côté de certains experts en décentralisation, la question est diversement appréciée. «Je trouve que c’est très politique, qu’il n’y a pas eu la démarche inclusive, consensuelle. C’est une décision prise pour apporter des réponses à des problèmes conjoncturels, alors qu’en matière d’aménagement, on réfléchit au-delà. On ne prend pas une décision politique comme ça, parce qu’on veut donner un gâteau aux gens, après la mise en œuvre va être difficile», estime d’emblée un expert qui a requis l’anonymat.
Notre interlocuteur qui admet que normalement, une telle décision devrait apporter des changements profonds avec notamment la mise en place de services de proximité pour les populations, prend par contre les exemples de Kolda et Kaffrine érigés en région sans l’accompagnement approprié, pour estimer qu’une telle décision va engendrer des problèmes. Il se demande d’ailleurs si « l’économie locale permet de créer au moins 4 communes à l’intérieur de Keur Massar, qui n’avait pas un budget réel de 5 milliards».
Encore que, à son avis, ce budget sera éclaté entre les communes, dépossédant ainsi Keur Massar des impôts et taxes qu’il recouvrait. Qui plus est, poursuit toujours notre source anonyme, les populations vont rester des années encore sans voir de réels changements, parce que le régime en place «a mis la charrue avant les bœufs». «Ça doit obéir à des logiques d’unicité territoriale. Déjà, il y a un problème parce que sur Dakar, vous avez 5 départements, alors que la moyenne était de 3 départements. Il n’y avait que Dakar et Kaffrine qui avaient 4 départements», peste-t-il. Le regard est tout autre pour son collègue expert dans le même domaine, Ababacar Guèye, interpellé sur le sujet par la rédaction, en septembre 2020. Même s’il admet que la décision est politique, il pense tout de même qu’elle répond «aux aspirations des populations concernées car il s’agit d’une concrétisation d’une demande récurrente des populations de Keur Massar». Encore que, à son avis, elle va dans le sens du renforcement de la décentralisation et en même temps de la déconcentration.
Ainsi donc, M. Gueye réfute l’idée du déséquilibre territorial avec une région qui compte 5 départements, car il estime qu’il faut aller plus loin en considérant que Dakar est la région la plus développée. Qui plus est, elle a le plus de potentialités d’un point de vue économique. Mieux, «la zone de Keur Massar polarise des activités socioéconomiques relativement importantes, pouvant être le support d’un dynamisme économique certain», indique Ababacar Guèye qui trouve par conséquent que «la crainte de déséquilibre territorial ne me semble pas suffisamment importante face aux potentialités de la région et de la zone en particulier».
Il considère, en fait que les équilibres structurels territoriaux ne constituent pas un objectif de la décentralisation et de la déconcentration. Pour lui, l’essentiel, c’est de s’insérer dans le cadre d’un dispositif d’aménagement du territoire cohérent. Concernant, par ailleurs, les changements que la décision du chef de l’Etat va induire sur le plan social et économique, M. Guèye dira que «toutes les opportunités de la coopération décentralisée vont alors s’ouvrir à Keur Massar en tant que collectivité territoriale, même si c’était déjà une commune. Il ne faudra pas non plus occulter les infrastructures administratives de l’Etat qui auront nécessairement un impact sur la vie des populations».