DES EXPERTS SE PRONONCENT SUR LA DÉSIGNATION DU CHEF DE L'OPPOSITION
Moussa Diaw de l’Université gaston Berger de Saint-Louis indique aussi que le chef de l’opposition doit venir de l’Assemblée nationale. Mamadou Sy Albert parle d’une course dictée par la recherche de prébendes
La désignation de son chef divise l’opposition sénégalaise ! L’annonce selon laquelle une majorité au sein de l’opposition aurait porté son choix sur le leader de Rewmi, Idrissa Seck, arrivé deuxième à l’issue de la dernière présidentielle a été finalement démentie par les dirigeants du Front de Résistance nationale (FRN). Pastef de Ousmane Sonko, dont on avait dit qu’il voulait pour le secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais (Pds), Me Abdoulaye Wade, dément catégoriquement. Ce parti estime que si chef de l’opposition il doit y avoir, il devrait être choisi au sein de l’Assemblée nationale. Pour dire que les acteurs politiques de l’opposition éprouvent beaucoup de peines à s’entendre sur la question. Du coté des spécialistes, notamment le Pr Moussa Diaw de l’Université gaston Berger de Saint-Louis, on indique aussi que le chef de l’opposition doit venir de l’Assemblée nationale. Mamadou Sy Albert parle d’une course dictée par la recherche de prébendes, tandis que le politologue Momar Diongue évoque « un débat stérile » qui n’aurait aucun enjeu et éluderait les vraies questions du processus électoral et la fiabilité du fichier. Mais surtout la définition d’un statut pour l’opposition. Ces analystes fustigent globalement la démarche de l’opposition qui réussit à installer la division en son propre sein sur cette question.
L’opposition sénégalaise n’est-elle pas en train de se tromper d’objectif ? N’est-elle pas en train de faciliter elle-même l’objectif du président Macky Sall consistant à la réduire à sa plus simple expression ? Des questions qui méritent d’être posées au vu de la controverse notée sur la désignation du chef de l’opposition, durant les travaux du Dialogue national. Les membres de l’opposition peinent en tout cas à s’entendre sur cette question. Une opposition divisée en deux camps à savoir celui ayant porté son choix sur M. Idrissa Seck pour être son chef car ayant été classé deuxième à la dernière élection présidentielle, et un autre qui estime que le costume ou boubou sied mieux à Me Wade dont le parti est le plus important à l’Assemblée nationale parmi ceux de l’opposition. L’enseignant chercheur à l’université Gaston Berger de Saint Louis, Pr Moussa Diaw, définit ce statut du chef de l’opposition comme un moyen qui permet de renforcer la position de l’opposition sénégalaise dans l’ossature politique « Cela était voté dans le cadre de la reforme institutionnelle. Au cours de cette réforme-là, il y avait le statut du chef de l’opposition. Cela permet de renforcer la position de l’opposition dans le sens de l’aspect politique. C’est une initiative du président de la République. Il y a des privilèges qui sont accordés au chef de l’opposition. L’opposition est fragmentée aujourd’hui et cette initiative-là (Ndlr, de nommer un chef avec des avantages) risque de renforcer, d’approfondir sa fragmentation. Le fait que l’opposition soit dispersée montre qu’il va y avoir des rivalités entre les leaders pour justement accéder à ce statut de chef de l’opposition avec tous les privilèges qui vont avec. Ce chef de l’opposition sera notamment l’interlocuteur principal de la majorité. Et puis certainement il y aura un certain nombre d’avantages accordés au chef de l’opposition » indique le politologue Pr Moussa Diaw.
PR MOUSSA DIAW UGB : « Quand on parle de chef de l’opposition, c’est au niveau de l’Assemblée nationale »
Cependant la pomme de discorde entre les acteurs politiques concernés demeure la question de savoir sur quelles bases choisir le chef de l’opposition. Il a été prêté à une majorité de l’opposition d’être favorable à Idrissa Seck arrivé deuxième derrière le président Sall réélu au premier tour lors de la présidentielle de 2019. Une posture qui ferait du patron de Rewmi, le patron de l’opposition sénégalaise. Il reste que, pour le Pr Moussa Diaw, plusieurs paramètres s’offrent aux acteurs du Dialogue politique pour déterminer les critères du choix du chef de l’opposition. L’universitaire ne veut pas s’arc-bouter uniquement sur les résultats de la présidentielle pour déterminer le chef de l’opposition.
Le Professeur Moussa Diaw met également l’accent sur la représentativité au Parlement. Une question qui, a l’en croire, doit être bien prise en compte dans les critères de choix du chef de l’opposition. « Naturellement le problème se pose de savoir comment choisir, sur quelle base, sur quels critères le chef de l’opposition. Vous avez vu qu’il y a eu des positions contradictoires. Parce qu’on retrouve au niveau de l’opposition deux groupes. Un groupe qui est favorable à Idrissa Seck. Et un autre qui vote plutôt pour Me Wade. Si on considère que c’est Idrissa Seck qui doit être le chef, cela veut dire qu’on tient compte de résultats de l’élection présidentielle. Et si c’est Wade, c’est plutôt la représentativité au niveau de l’Assemblée nationale. Généralement , quand on parle de chef de l’opposition, c’est au niveau de l’Assemblée nationale. Le leader du parti de l’opposition qui a le plus de députés sera considéré comme chef de l’opposition. Cela dit, il reste à savoir la représentativité des prétendants et leur capacité à jouer ce rôle. Est-ce que ce chef de l’opposition, une fois désigné, aura toujours le soutien de ses camarades ou collègues ? En attendant, une chose est sûre : compte tenu de la manière dont cette question été avancée, cela ne fait que renforcer la division de l’opposition » avertit l’analyste politique Pr Moussa Diaw.
Rien n’est encore joué !
En réalité, rien n’est encore joué du moment où les acteurs politiques ne sont pas encore parvenus à un consensus. Deux thèses s’affrontent : la représentativité à l’Assemblée nationale ou les résultats de la dernière présidentielle. « Est-ce qu’au niveau de Dialogue national, les gens vont s’entendre pour établir les critères ? C’est ça la grande question ! Est-ce qu’on va tenir compte de la représentativité à travers le parti de l’opposition qui compte le plus de députés à l’Assemblée nationale ou bien vat-on-tenir compte de l’élection présidentielle tout en sachant qu’il y a eu plusieurs coalitions durant cette élection ? Par exemple, le candidat Idrissa Seck était soutenu par plusieurs leaders de partis. Dans une démocratie, pour désigner le chef de l’opposition, on tient compte de la représentativité au niveau de l’Hémicycle. Le parti de l’opposition ayant le plus d’élus au Parlement désigne le chef de celle-ci. Est-ce qu’on va tenir compte de ce critère ou bien des résultats de la présidentielle ? Tout cela doit faire l’objet de discussions approfondies » conclut l’enseignant chercheur à l’Ugb, Pr Moussa Diaw.
MAMADOU SY ALBERT : «C’est un statut qui mettrait le titulaire en bonne position par rapport à la conquête du pouvoir»
D’après le journaliste et analyste politique Mamadou Sy Albert, les raisons qui expliquent ce grand débat autour du chef de l’opposition est que chaque parti politique veut que son chef soit désigné à tête de l’opposition. « C’est un statut qui mettrait le chef de parti en bonne position par rapport à la conquête du pouvoir. Ce sont ces enjeux-là qui font que chaque parti veut que son chef soit désigné chef de l’opposition. Mais également il y a une bataille d’opinion de la représentativité qui donne beaucoup plus visibilité au parti, à l’image de son chef. L’argent aiguise les conflits entre les partis. C’est le contrôle des ressources publiques qui aggrave la tension, les conflits entre les partis. Je crois qu’effectivement, la désignation d’un chef de l’opposition ne facilite pas la recherche d’une solution politique consensuelle. Chaque parti aujourd’hui, en tous cas chaque grand parti, veut être à la tête de l’opposition, mais également avoir des moyens financiers à contrôler et à gérer. Les deux choses sont liées » estime le journaliste et analyste politique.
MOMAR DIONGUE : « C’est un débat stérile qui n’amènera rien autour du chef de l’opposition »
Selon notre confrère Momar Diongue, l’opposition est en train de se laisser divertir par cette question. D’après l’analyste politique, ce qui devrait être plus fondamental ce n’est pas le fait de désigner le chef de l’opposition. En effet, estime-til, le plus important c’est de faire en sorte que l’opposition ait un statut reconnu, que son combat pour l’approfondissement de la démocratie puisse prévaloir, que la défense de l’Etat de droit puisse également prévaloir. « Prenez l’exemple du Mali ou la Constitution désigne Soumaila Cissé comme chef de l’opposition. Donc il a toute la légalité requise pour incarner la fonction et la posture du chef de l’opposition. Mais il a été l’objet d’un enlèvement depuis quelques mois. Est-ce que pour autant l’Etat malien a fait quelque chose pour dire qu’il est inconcevable que le leader de l’opposition, le chef de l’opposition soit entre les mains des ravisseurs, non ! Il y a également le cas de la Guinée ou la Constitution consacre Cellou Dalein Diallo comme chef de l’opposition. Mais ça n’a pas empêché Alpha Condé de tripatouiller la constitution jusqu’à aspirer à un troisième mandat auquel il n’a pas droit. Ces deux exemples montrent simplement que l’essentiel ne se trouve pas dans la désignation d’un chef de l’opposition. C’est plutôt de conférer un statut à l’opposition. Essayer de faire en sorte que le pouvoir et l’opposition aient des rapports civilisés, des rapports pacifiés et puissent travailler ensemble vers l’approfondissement de la démocratie. C’est cela qui me parait plus essentiel que ce débat stérile qui n’amènera rien autour du chef de l’opposition » estime Momar Diongue.
A l’en croire, d’autres questions plus essentielles que la désignation du chef de l’opposition méritent d’être évoquées au sein de ce Dialogue national « il y’a énormément de sujets qui doivent être évoqués. Dans le Dialogue politique, on doit faire en sorte que le fichier électoral soit édité par un cabinet indépendant. Et que, désormais, il n y ait plus de doute possible sur la fiabilité du fichier. Toujours en ce qui concerne le Dialogue politique, il va falloir que le processus électoral soit évalué pour qu’on enlève tout ce qui avait causé des dysfonctionnements lors de la présidentielle. Il va falloir qu’on s’entende, même si ce n’est pas dans l’immédiat, sur le retour au bien bulletin unique, sur l’interdiction du cumul des fonctions de chef d’Etat et chef de parti, sur également l’organe qui doit organiser les élections. Tout cela on peut s’entendre là-dessus » soutient Momar Diongue en conclusion.