DES MILLIARDS EN FUMÉE, L’ÉCONOMIE À TERRE
Saccages et pillages de biens, commerces et services fermes lors des manifestations... En dehors du lourd bilan humain, l’affaire dite Sweet Beauté aura été très dévastatrice pour l’économie du pays
En dehors du lourd bilan humain, l’affaire dite Sweet Beauté aura été très dévastatrice pour l’économie du Sénégal. De l’Etat, qui a perdu plusieurs infrastructures socioéconomiques, édifices publics et autres biens, aux privés national et étranger en passant par des particuliers et autres «goorgoorlu» ou acteurs de l’informel, l’addition de ce dossier est énorme, avec des milliards de pertes pour l’économie nationale.
A l’image de mars 2021, suite au verdict de la Chambre criminelle du Tribunal de Dakar qui a condamné Ousmane Sonko à 2 ans de prison ferme, assortie d’une amende de 600.000 FCFA et des dommages et intérêts de 20 millions de FCFA, pour le délit de «corruption de la jeunesse», l’acquittant du crime de «viols répétés» et «menace de mort» pour lequel il était initialement poursuivi, des manifestants en colère ont mis le pays à feu et à sang.
Pendant deux jours, les jeudi 1er et vendredi 2 juin 2023 (et même durant le week-end dernier, avec des manifestations sporadiques), de Dakar et sa banlieue à Ziguinchor, en passant par Bignona, Sédhiou, Mbour, Saint-Louis, entre autres localités, le spectacle désolant est le même. Partout, des groupes de jeunes en furie ont dressé des barricades sur toutes les routes et rues bitumées et en pavé dans les quartiers et les grandes artères (avenues et boulevards, routes nationales), brûlant, vandalisant et/ou saccageant tout ou presque sur leur passage, à l’aide de pneus, des tables des marchands ambulants/commerçants, de troncs ou branches d’arbres, de bacs à ordures/ déchets solides, entre autres. C’est le cas dans la banlieue de Dakar où plusieurs structures, biens et autres symboles de l’Etat ont reçu la visite des manifestants. Des édifices publics, des institutions municipales, des voitures… ont été mis à sac par des jeunes furieux.
LE COUT COLOSSAL DES PERTES D’ÉDIFICES ET SYMBOLES DE L’ETAT, CIBLES DES MANIFESTANTS
A titre d’exemple, jeudi dernier, dans la ville de Pikine, des groupes de jeunes ont saccagé la mairie de Pikine-Est, avant de s’attaquer à la bibliothèque municipale. Une ambulance garée devant l’institution municipale a été complètement calcinée, sous les yeux médusés des populations qui ont failli même en venir aux mains avec les «casseurs».
Même la maison du ministre Issakha Diop, maire de cette commune d’arrondissement (Pikine-Est), a été visitée par des jeunes en colère qui ont défoncé la porte d’entrée, avant de tout emporter. En l’absence de sa famille qu’il venait juste de déplacer plus tôt, avant l’arrivée des pilleurs, pour la mettre en sécurité. Aussi le bureau local de la Douane de Pikine a-t-il été la cible des jeunes qui y ont mis du feu qui a embrasé tout le bâtiment, avec des véhicules garés à l’intérieur. Le Complexe Culturel Léopold Sédar Senghor de Pikine, contigu à cette sous brigade des Douanes, a failli partir en fumée, à cause des arbres dans l’enceinte de ce service qui ont pris feu, avec de grosses flammes atteignant plusieurs mètres de haut.
Les bâtiments de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase) et les installations du Bus rapid transit (BRT, en chantier, à Guédiawaye) n’ont pas échappé à la furie des casseurs. Le siège du Trésor public (Pikine) a également été la cible de jeunes jusque tard dans la nuit du jeudi. Quid de gares du Train express régional (TER) complètement calcinées ? Pour ce qui est de la mobilité, dans la journée du jeudi, la route nationale étant devenue impraticable, l’autoroute à péage était le seul passage obligé pour automobilistes et usagers désireux de sortir de Dakar ou de regagner Keur Massar, Rufisque et environs ou d’en revenir. Conséquence, le passage était libre à la gare de péage de Thiaroye, avec les agents du concessionnaire, le couple Eiffage/Senac, qui ont quitté leurs postes par mesure de sécurité. Toutes les barrières étaient levées, face à l’affluence des véhicules et les incursions de jeunes manifestants repoussés par la Gendarmerie déployée le long de cette voie principale. Ce qui constitue un manque à gagner colossal pour les gestionnaires de cette infrastructure et l’Etat.
LE FESTIN DES DÉLINQUANTS, AGRESSEURS ET AUTRES BANDITS DEGRAND CHEMIN
Alors que des groupes de jeunes étaient décidés à vandaliser tous les symboles de l’Etat, mais repoussés à plusieurs endroits par des Forces de l’ordre qui faisaient usage de grenades lacrymogènes et autres bombes asphyxiantes, des délinquants et autres agresseurs en profitent pour s’attaquer à des personnes qu’ils délestent de tout et à des biens privés, pour dévaliser des magasins, des commerces et autres services, surtout des boutiques de vente de denrées et produits alimentaires et autres électroniques (téléphones).
C’est le constat à Keur Massar où plusieurs magasins ont été pillés, la nouvelle station d’essence ouverte sur la route des Niayes, un peu avant le terminus de la ligne 11 de Dakar Dem Dikk, a été complètement mis à sac : les pompes déboulonnées, la boutique «Select» vidées de tout ce qui s’y trouvait comme marchandises. Le magasin Auchan a dû son salut à la forte présence des Forces de l’ordre qui ont réussi à contenir et repousser les nombreuses tentatives des assaillants. Les institutions financières également n’ont pas été épargnées par les casseurs. Ainsi, à Pikine, ces derniers ont mis à sac la Banque Islamique du Sénégal (BIS) sise au rondpoint Dominique, sur Tally Boumack, et la Banque of Africa (BOA) incendiée.
A Keur Massar, les Forces de l’ordre ayant réussi à contenir les manifestations aux alentours de l’autopont et du marché où sont implantés l’essentiel des institutions, banques et services notamment financiers, des jeunes ont incendié le groupe électrogène de l’institution de microfinance ACEP, sur la route des Niayes, en allant vers le terminus de la ligne 11 de Dakar Dem Dikk…
ANXIEUSE REPRISE DE L’ACTIVITÉÉ CONOMIQUE, DEPUIS LUNDI MATIN
En attendant le point complet sur les dégâts matériels incommensurables, l’accalmie notée depuis samedi, malgré quelques manifestations sporadiques, de faible ampleur, a permis d’apprécier la portée des dommages. Les voies publiques et autres édifices et commerces vandalisés portent encore les stigmates des deux premiers jours de folie (jeudi et vendredi). Les rues jonchées d’immondices, de restes de pneus et autres tables brulés, de débris de briques ayant servi de barricades pour empêcher la bonne circulation des véhicules notamment de Forces de défense et de sécurité, et de verres/vitres des magasins vendangés ornent encore le décor.
Faute ou insuffisance de véhicules de transport en commun, du jeudi au dimanche, du fait de la tension et des rumeurs grandissantes sur des menaces de troubles, les taxis et taxis clandos hors de prix, beaucoup de personnes étaient contraints de marcher pour vaquer à leurs occupations. De la cendre noire d’où se dégage une poussière noirâtre envahissant le ciel et des maisons voisines, à chaque passage d’une voiture, indisposait les populations et les usagers qui commencaient à vaquer normalement à leurs occupations, depuis lundi.
En outre, l’on signale l’arrestation de plusieurs dizaines, voire de centaines, de manifestants, jeudi et vendredi, dans les trois départements, à Keur Massar, Guédiawaye et Pikine. Pendant quatre jours, du jeudi au dimanche, l’essentiel des commerces a baissé rideaux, les banques et institutions de microfinance fermées, les services de transfert d’argent via les plateformes digitales des opérateurs de téléphonie mobile étant à l’arrêt, durant toute cette période, ce sont plusieurs milliards de FCFA de pertes pour l’économie nationale comme pour les privés, le secteur informel qui emploie le plus de jeunes obligés de rester cloitrés à la maison, et autres simples «goorgoorlu».
Que dire du coût des saccages, pillages et autres biens partis en fumée, tous les commerces et services, ou presque, encore fermés jusqu’à dimanche soir, la mobilité et la circulation automobile encore très timide, hier lundi… Bref, en banlieue, après quatre jours d’arrêt, c’est toute l’économie qui est dévastée, à genoux et qui essaie d’amorcer sa reprise, depuis lundi matin.