DES POLITOLOGUES SOUPÇONNENT LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE VOULOIR JOUER LES PROLONGATIONS
"Si le président Macky Sall ne veut pas prendre conscience du danger, il ne devait pas s’aventurer à alimenter un débat sur des mandats illimités"
A travers sa sortie contre les mandats limités, alors qu’il recevait les « young leaders » franco-africains, le président de la République sème un peu plus le doute sur l’intention qui lui est prêtée de briguer un troisième mandat à la présidentielle de 2024. En tout cas, il renforce ainsi les craintes et inquiétudes de l’opposition qui le soupçonne depuis longtemps de vouloir chercher un troisième mandat. A deux mois des élections législatives du 31 juillet, la coalition Benno Boo Yaakaar joue sa survie face à la percée fulgurante de Yewwi Askan Wi qui s’allie avec le Wallu pour imposer une cohabitation au Macky Sall. Selon des observateurs interrogés par « Le Témoin », la volonté du président de la République de briguer un troisième mandat dépendrait des résultats de ces prochaines élections législatives.
En train d’effectuer son second mandat présidentiel, le président de la République et leader de la coalition Benno Bokk Yaakaar renforce les craintes de l’opposition qui l’a de tout temps soupçonné d’avoir l’intention de se présenter pour un troisième mandat en 2024. Sa sortie de la semaine dernière au cours de laquelle il a déclaré en substance que, du fait des procédures bureaucratiques, les présidents africains n’ont pas le temps de réaliser tous leurs projets durant leurs mandats, il a mis de l’eau au moulin de ceux qui l’accusent de vouloir jouer les prolongations.
Selon Mamadou Sy Albert, si le président Macky Sall ne veut pas prendre conscience du danger, il ne devait pas s’aventurer à alimenter un débat sur des mandats illimités. « Macky Sall, en tant que président de l’Union africaine, ne peut pas ignorer les conflits dans un certain nombre de pays, notamment au Mali, au Burkina et en Guinée qui sont confrontés à cette problématique du troisième mandat ».
Le Per Moussa Diaw, enseignant en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, ne dit pas le contraire. Emboitant le pas à Mamadou Sy Albert, il martèle que cette sortie du président Sall sur les mandats illimités n’est pas de nature à renforcer la démocratie en Afrique. D’après lui, les propos de Macky Sall vont encourager l’autoritarisme en Afrique et la volonté des chefs de l’Etat à garder éternellement le pouvoir. « On a vu certaines situations de crise en Afrique provoquées justement par des leaders qui souhaitent rester éternellement au pouvoir. Au Cameroun, Paul Biya a confisqué le pouvoir. Il ne souhaite pas un changement alternatif dans son pays. C’est le même cas au Gabon. Ceci nous ramène toujours en arrière alors qu’on a besoin d’avancer en Afrique, de construire des régimes politiques pour pouvoir organiser l’espace en respectant les règles de la démocratie, en adoptant des politiques qui vont dans le sens des aspirations des populations », estime Pr Moussa Diaw.
Mamadou Sy Albert : « Macky a parlé pour lui » « On ne sera pas surpris s’il déclare sa candidature à la prochaine présidentielle », poursuit M. Mamadou Sy Albert. Qui voit mal comment le président peut aller à l’encontre des électeurs pour la présidentielle de 2024 si Benno perd les élections législatives du 31 juillet prochain. « Pour ce qui concerne le Sénégal, tout le monde est acquis à l’idée que le président de la République cherche à briguer un troisième mandat. Parce que, d’abord, c’est pour lui qu’il a parlé. Il ouvre une porte. Si Benno perd ces élections, je crois que le président Sall va changer d’option pour renoncer à une idée de candidature. En clair, il ne sera pas candidat pour la prochaine présidentielle. Par contre, s’il obtient une majorité présidentielle à l’Assemblée nationale au sortir des législatives, il aura le courage politique de briguer un troisième mandat. Dans sa tête, il se dira que les Sénégalais qui ont voté pour le Benno et pour l’Apr ont voté également pour le choix du président. Ça va être un président confiant qui ne va pas renoncer à son troisième mandat. En revanche, s’il y a défaite de Benno, je vois mal le président Sall faire fi du vote sanction des sénégalais » a ajouté le politologue.
Pr Moussa Diaw. « Le président confirme sa volonté de rester au pouvoir. Il adopte une stratégie qui risque de plonger le pays dans l’incertitude »
La position de Macky Sall contre les mandats limités renforce, selon Pr Moussa Diaw, un paradoxe à travers sa réforme des institutions où il prend la question du mandat pour éviter ce qui s’est passé avec le président Wade en 2012. « Il s’oppose à ce qu’il y ait une limite aux mandats présidentiels au niveau africain. Cela peut être un message à l’endroit des sénégalais pour dire qu’il n’est pas dans cette logique de limitation des mandats et souhaiterait se présenter prochainement. C’est une façon de sonder l’opinion publique. Cela confirme sa volonté de rester au pouvoir, de faire un troisième mandat. Cette décision risque de plonger le pays dans l’incertitude et de tensions bien entendu. Il est en train de contraindre son camp. Parce qu’aucune candidature substantielle ne peut émerger d’autant plus que c’est lui le véritable patron de sa coalition. De façon générale, ces propos-là vont naturellement renforcer les inquiétudes de l’opposition qui le soupçonne de chercher un troisième mandat malgré les dispositions de la Constitution qui stipule que nulle ne peut faire plus de deux mandats consécutifs », a expliqué l’enseignant chercheur en sciences politiques à l’Ugb, Pr Moussa Diaw.
Bacary Domingo Mané « Macky Sall est dans des calculs pour savoir s’il doit se présenter ou pas en 2024 »
Selon le journaliste et politologue Babacary Domingo, Macky Sall est toujours dans des calculs pour voir s’il doit se présenter à la prochaine présidentielle ou pas. Une sonde utilisée comme une sorte de diversion. A l’en croire, la question du troisième mandat reste toujours floue chez le patron de l’Apr. « Macky est toujours en train de réfléchir si oui ou non il va se présenter en 2024. Parce qu’en principe quelqu’un qui a pris la décision de ne pas se représenter ne doit pas tenir ce genre de discours. Cette sortie est en droite ligne de la réponse qu’il avait donnée lorsqu’on lui avait posé la question de savoir s’il comptait se présenter pour un troisième mandat. Il n’a peut peutêtre pas pris la décision de clore définitivement le débat. La deuxième chose que cela renseigne est qu’il peut en parler pour alimenter le débat, histoire d’allumer le feu pour faire une diversion à la veille de la campagne pour les élections législatives », analyse Bacary Domingo Mané. Selon lui, beaucoup de facteurs peuvent pousser le président à vouloir encore rester au pouvoir. Il s’agit notamment de l’exploitation du pétrole dont les premiers barils sont attendus en 2023. « Il n’a pas encore résolu la question. Nous sommes à quelques semaines des élections législatives qui constituent un enjeu. L’opposition a décidé de se mettre ensemble. Pour nous, ce n’est pas rien que Macky Sall, dans un contexte d’une élection qui s’annonce, tienne ce discours-là. Ça peut une diversion. Dans tous les cas, l’histoire du troisième mandat reste floue chez Macky Sall. Qui aurait pensé qu’il allait designer Aminata Touré comme tête de liste après l’avoir éjectée du Cese ? Face à une opposition virulente, peut-être qu’il a besoin de positionner une personne comme Aminata Touré. Le choix de Mme Touré n’est pas stratégique. Elle a été désignée pour faire face à l’opposition » soutient Bacary Domingo en conclusion.