DÉTHIÉ FALL, AISES ET PIÈGES D'UNE CARRIÈRE POLITIQUE
Un an après son départ du parti Rewmi d’Idrissa Seck, le président du Parti républicain pour le progrès est en train d’imposer ses marques sous l’aile protectrice de la coalition Yewwi Askan Wi
Seulement, préviennent des analystes politiques, malgré son premier bond, Déthié Fall risque les pièges d’un suivisme, s’il n’assure pas ses arrières en façonnant une personnalité politique individuelle forte. Dans la vie, il y a des hauts et des bas. Des périodes de chute et de rebondissement. Déthié Fall l’a compris et incorporé dans son agenda politique, il y a juste un an. Après avoir osé briser les chaînes de Rewmi, l’ex n°2 d’Idrissa Seck a décidé de se faire une nouvelle santé politique, loin de son mentor, et dans l’opposition, avec la création, en mars 2021, du Parti républicain pour le progrès (Prp)/Disso Akk Askan Wi. C’était un pari risqué mais qui semble être bien calculé.
Les Sénégalais ont suivi les conséquences qui ont découlé de son intervention du 27 novembre 2020 à l’Assemblée nationale. Ce jour-là, fort de la jouissance absolue et effective de sa fonction de représentant du peuple qu’est la raison exclusive de sa présence à l’Assemblée, Déthié Fall avait indiqué au ministre de l’Agriculture, lors de son passage à l’hémicycle, à l’occasion du marathon budgétaire, que «la vision du président Macky Sall devait quitter Diamniadio pour rejoindre les terres de la vallée du Fleuve Sénégal et celles de l’Anambé», ce qui aurait pour conséquence immédiate de régler en partie le problème du chômage et d’assurer la souveraineté alimentaire. Cette position de vérité et de principe lui a valu une destitution de sa fonction de vice-président du parti Rewmi, au moment où il disait qu’il ne faisait que respecter et honorer les charges liées à sa fonction d’un député qui n’est là que pour le peuple et non pour ses propres intérêts ou ceux de son parti. Cette attaque frontale contre le chef venait de mettre un terme à un compagnonnage de 16 longues années avec le patron de Rewmi, Idrissa Seck. Le départ de Rewmi de Déthié Fall a été le plus fort prix à payer pour s’ouvrir de nouvelles portes politiques dans l’opposition. L’aventure de Rewmi terminée, «Déthié Fall est en train de mobiliser toutes ses énergies pour une cause. Il n’épargne rien pour atteindre ses objectifs politiques», fait savoir Dr Abdoul Aziz Mbodj, chargé de communication du Prp et maire de Ndiendieng.
Aujourd’hui, Déthié Fall tisse petit à petit sa toile sous la protection de la coalition Yewwi Askan Wi qui regroupe de grandes figures radicales de l’opposition, dont Ousmane Sonko, Khalifa Ababacar Sall, entre autres. «Le départ de Déthié Fall de Rewmi lui a permis de prendre des initiatives. Comme il a aujourd’hui son parti, il peut voler de ses propres ailes et jouer un grand rôle au sein de la coalition Yewwi Askan Wi qui a obtenu des résultats probants aux élections locales du 23 janvier 2022», souligne professeur Moussa Diaw, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Avant d’ajouter que le patron de Prp a fixé ses ambitions au sein de Yewwi montrant aussi qu’il est un leader qui s’inscrit dans cette dynamique de faire autrement la politique avec beaucoup de morale, de rigueur dans la gouvernance. Il fait partie des hommes qui veulent tourner la page du clientélisme politique, des pratiques politiques d’anciens temps, en s’inscrivant dans une logique citoyenne.
«Déthié Fall croit à des idées et tient à les défendre pour rendre service à son pays. C’est vrai qu’il avait accompagné Idrissa Seck. Il est sorti de son école. Mais, je pense qu’il a beaucoup changé dans le discours. Il a d’autres façons de voir les choses différemment en fonction de ses camarades de la coalition Yewwi qui sont aussi, la plupart, des jeunes et qui s’inscrivent dans une logique de changement de cap pour répondre aux préoccupations des Sénégalais», indique professeur Moussa Diaw. Qui signale que son embarquement dans la coalition Yewwi Askan Wi est en train de l’offrir des résultats politiques positifs. Car, aux dernières Locales, son parti le Prp a réussi à avoir un maire (Dr Abdoul Aziz Mbodj, maire de Ndiédieng dans le département de Kaolack), des adjoints aux maires, des adjoints de Villes, des adjoints aux présidents de Conseils départementaux et plus de 115 conseillers au plan national.
Les retombées politiques de sa coordination de Yewwi
La coordination de la coalition Yewwi Askan Wi à sa naissance, selon professeur Moussa Diaw, a permis à Déthié Fall d’engranger des points positifs sur le terrain. Il a réussi à bénéficier d’une certaine confiance des populations contre la politique et la gouvernance du pouvoir de Macky Sall. «Le rôle de coordonnateur de Yewwi a été bénéfique pour Déthié Fall. Au sein de Yewwi, il a une marge de manœuvre par rapport à ce qu’il était sous l’aile d’Idrissa Seck à Rewmi», constate professeur Diaw. Qui signale qu’aujourd’hui, Déthié Fall a rompu les amarres et est devenu beaucoup plus libre dans ses prises de positions politiques et dans ses ambitions personnelles. Sous la coupole d’Idrissa Seck, dit-il, Déthié Fall était pratiquement prisonnier de ses idées. Maintenant, il est libéré. Il a une imagination politique, des ambitions…Avec Yewwi Askan Wi, il pourrait apparaître comme un leader qui compte au niveau de l’élite politique sénégalaise. Dr Abdoul Aziz Mbodj, chargé de communication du Prp et maire de Ndiendieng, soutient que le Président Déthié Fall a aujourd’hui un leadership national confirmé et accepté par tout le monde. «C’est un leader respecté et qui a un parti politique très attractif. Le Parti républicain pour le progrès/Disso Akk Askan Wi enregistre, tous les jours, des militants. Nous avons un système de ralliement qu’on voit rarement dans des partis. C’est un parti qui, à moins d’un an, est présent dans tous les départements du pays et dans la diaspora. Cela est dû à la rigueur de l’homme. Déthié Fall est presque un militaire dans le landernau politique. Le Prp joue un rôle décisif, exceptionnel dans Yewwi Askan Wi. Nous sommes un parti incontournable dans la coalition», a fait savoir Dr Abdoul Aziz Mbodj. Depuis le départ de Rewmi, apprend-il, Déthié Fall ne cesse de gagner en image. Son appartenance à Yewwi Askan Wi, selon des analystes politiques, y est sans doute pour quelque chose.
Les risques d’un réveil brutal
D’après Dr Abdoul Aziz Mbodj, chargé de communication du Prp, «tout le monde est embarqué dans Yewwi Askan Wi. La coalition est une embarcation dans laquelle logent toutes les formations politiques qui y adhèrent. Pas de couleur de parti, pas de discours partisan. Nous sommes tous dans Yewwi. Notre credo, c’est de travailler pour l’unité de la coalition, sa massification». Aujourd’hui dans l’euphorie de la coalition Yewwi Askan Wi, le leader du Parti républicain pour le progrès risque de tomber dans les pièges d’un suivisme sans recul politique. Pathé Mbodj, journaliste et analyste politique est formel : «Déthié Fall est avec de bons agitateurs sociaux que sont Ousmane Sonko, Barthélémy Dias, Khalifa Sall. Malheureusement, il risque un réveil brutal, même si on lui connaît une certaine éducation, une culture et une intelligence». Dans la conjoncture où on va, prévient-il, l’avenir politique de Déthié Fall est d’essayer de se singulariser plutôt que de se dissoudre dans une coalition où il ne peut pas jouer les premiers rôles. Pour le journaliste et analyste politique, dans Yewwi Askan Wi, il y a déjà une querelle de préséance au niveau des têtes de Turc. Donc, «si Déthié Fall essaie de s’engouffrer dans une mare où il y a des crocodiles, il devient une sorte de caution morale et intellectuelle face à un Ousmane Sonko, un Barthélémy Dias qu’on connaît plus baroudeurs, propagandistes et concepteurs». Pathé Mbodj pense que la chance de Déthié Fall serait plutôt de peaufiner son image tout en cherchant à s’éloigner de l’ombrage d’Ousmane Sonko, Khalifa Sall et Barthélémy Dias. Ça serait un bon prétexte pour lui. Sans cela, alerte-t-il, «Déthié Fall risque de se noyer dans les eaux troubles qu’agitent Ousmane Sonko, Barthélémy Dias et Khalifa Sall. Car, ces trois fortes têtes de Yewwi qui ont des problèmes avec la justice, sont dans une situation précaire, révocable à tout moment. Déthié Fall aurait pu dans ces conditions s’imposer comme héritier, parce qu’Ousmane Sonko va aller bientôt vers son procès avec la jeune masseuse Adji Sarr qui l’accuse de viols répétés et menaces de mort, Barthélemy Dias aussi va vers son verdict dans l’affaire de meurtre de Ndiaga Diouf et Khalifa Sall est dans une situation difficile malgré sa grâce présidentielle suite à l’affaire de détournement de deniers publics de la ville de Dakar».
Le journaliste et analyste politique note que Déthié Fall est dans une coalition où des têtes fortes sont des géants aux pieds d’argile. Il pourrait en tirer profit, si tous ces leaders politiques de Yewwi Askan Wi venaient à tomber. Pathé Mbodj reste convaincu d’une chose : «Les coalitions politiques vont de plus en plus disparaître. Cette forme de gestion de l’espace public ne marche plus. Il faut des individualités fortes. Aujourd’hui, on a Ousmane Sonko, Barthélémy Dias, Khalifa Ababacar Sall, entre autres, qui sont dans Yewwi, mais dans cette coalition, ce sont ces individualités qu’on remarque plus. Également, dans la coalition Wallu Sénégal, c’est Abdoulaye Wade et Karim Wade qui sont les plus en vue. La tendance actuelle dans la société va de plus en plus chercher à singulariser plutôt que noyer l’individu dans un collectif».
Les handicaps politiques
Même si tout le monde est d’accord sur son «avenir politique prometteur», il traîne quelques handicaps politiques. Pour Pathé Mbodj, «c’est vrai que Déthié Fall est une forte tête, mais il n’a pas encore un programme bien ficelé de son parti politique autour duquel peuvent se retrouver de fortes personnalités». L’autre faiblesse politique constatée par le professeur Moussa Diaw, enseignant-chercheur en sciences politiques, est que Déthié Fall a un parti politique très jeune qui vient d’avoir juste un an. Aussi, dit-il, le leader du Prp n’a pas de trajectoire avec des responsabilités gouvernementales au niveau administratif. «On ne lui connaît des expériences gouvernementales reconnues au plan national. Il n’a pas beaucoup d’expériences puisqu’il était sous la tutelle d’Idrissa Seck. Son parti est très jeune pour avoir un ancrage et créer une certaine crédibilité. Il lui reste encore du chemin pour bien asseoir son parti avec des orientations politiques bien claires, organiser un congrès, responsabiliser ses différents collaborateurs au niveau national et jouer sa partition au niveau de l’opposition. C’est un grand défi à relever pour lui», indique Moussa Diaw. Qui ajoute que Déthié Fall n’a pas encore fait ses preuves de façon individuelle. Car, il n’est pas allé seul aux dernières élections Locales pour pouvoir se peser au niveau de l’opinion publique. Mais, dit-il, Déthié Fall reste un leader qui compte et qui a un raisonnement politique acceptable. Son image est bien perçue au niveau national.