D’INCONDITIONNELS DU PRESIDENT SALL À REBELLES DANS LE MACKY
Pendant tout le temps qu’une possible candidature du président à un troisième mandat avait été évoquée, aucun membre de la mouvance présidentielle n’avait osé défier le leader de l’APR. À l'exception d'Aminata Touré et d'Arona Coumba Ndoffene Diouf
Pendant tout le temps qu’une possible candidature du président Macky Sall à un troisième mandat avait été évoquée, aucun membre de la mouvance présidentielle n’avait osé défier le leader de l’APR. Seuls Mme Aminata Touré et Arona Coumba Ndoffene Diouf avaient montré leur opposition à cette candidature et c’était bien avant que le chef de l’État ne renonce à jouer les prolongations. Ne s’en arrêtant pas là, aussi bien Aminata Touré qu’Arona C. N. Diouf ont pris leur courage à deux mains pour déclarer leurs candidatures pour 2024...
Pour mettre fin au débat sur le troisième mandat, le chef de l’État, Macky Sall, avait procédé par voie référendaire à la révision de la Constitution qui prévalait du temps de son prédécesseur. Et dans l’article 27 de la nouvelle charte fondamentale de notre pays, il avait fait écrire que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Cette nouvelle disposition ne laissait place au départ à aucune ambiguïté et n’était susceptible d’aucune interprétation. Seulement voilà, une fois le président Macky Sall réélu pour un second mandat, son entourage et ses partisans — sans doute encouragés par lui — ont commencé à évoquer la possibilité pour leur leader d’avoir droit à un « second quinquennat ». Pendant que la grande majorité des responsables de la mouvance présidentielle gardaient un silence gêné ou n’osaient pas s’opposer à cette volonté prêtée au président de la République, l’ancien Premier ministre, Aminata Touré, ainsi que M. Arona Coumba Ndoffene Diouf, ministre conseiller, avaient très tôt marqué leur désapprobation par rapport à toute volonté du Président de jouer les prolongations. Mieux, ayant senti les choses aller crescendo, ils ont fini par quitter le navire beige-marron pour se positionner comme des opposants farouches au «Macky». A quelques mois de la présidentielle, ces deux personnalités, dotées d’une expérience de la gestion d’un État et d’un vécu au plan international, comptent mettre à profit ces atouts pour demander les suffrages des Sénégalais.
Le troisième mandat : l’acte de trop
Si on interroge Aminata Touré et Coumba Ndoffene Diouf sur les raisons de leur clash avec le président Macky Sall, ils n’y vont pas par quatre chemins pour répondre. D’après eux, la pomme de discorde c’est le désir du président «de briguer une troisième candidature». Ce qui, de leur avis, est «impensable». Mme Aminata Touré, qui dit avoir tout donné au leader de l’APR pour lui permettre de prendre le pouvoir et d’être réélu, considère dès lors que «c’est de manquer de respect au peuple sénégalais que de vouloir lui imposer une troisième candidature après avoir écrit et annoncé partout le contraire». Dès lors, en tant que «citoyenne respectueuse du respect de la parole donnée, il n’était pas question pour moi de cautionner un tel désir fut-il celui du chef de l’État». Son ex- camarade au sein du même parti n’en dit pas moins pour qualifier cette décision « inattendue et surprenante » de Macky Sall. « Quand j’ai pris l’engagement de le soutenir en 2012, il m’avait fait savoir qu’au bout de deux mandats, il allait quitter le pouvoir. Donc si, par la suite, il se dédit en encourageant tous ceux qui plaident pour qu’il se maintienne au pouvoir, ma décision ne pouvait être autre que de faire mes valises en toute responsabilité » confie-t-il avec beaucoup de fierté.
Mais ce qui rend encore plus fiers ces deux éminents cadres « internationaux », c’est de constater qu’au bout de toutes ces manigances, l’histoire a fini par leur donner raison et rendre ridicules tous les souteneurs du troisième mandat. A les en croire, cette décision du chef de l’État de renoncer finalement à un troisième mandat ne serait aucunement motivée par un quelconque souci du respect de la parole donnée. « Le chef de l’État n’a pas fait autre chose que de la reculade. Il a senti une détermination du peuple et a mesuré l’ampleur des conséquences que cela pouvait engendrer. C’est pourquoi il n’avait autre chose à faire qu’une marche arrière », estime Mme Aminata Touré. Par conséquent, poursuit l’ancien Premier ministre, «je n’ai pas vu la pertinence de l’en féliciter». Mieux, ajoute-t-elle, « il faut souligner que même les grandes puissances à savoir les Etats Unis et la France n’étaient pas favorables. D’ailleurs, c’est cela qui explique la présence de Marine le Pen à Dakar. En plus, en Afrique, certains chefs d’État lui ont aussi conseillé de ne pas forcer» explique-t-elle.
Cette première bataille gagnée, les deux anciens compagnons du président Macky Sall ne comptent pas pour autant baisser les bras. Ils entendent poursuivre leur combat dont le but n’est autre que de faire partir son régime qu’ils qualifient d’ « incapable de venir à bout de la souffrance des Sénégalais ». Pour y parvenir, ils ont chacun mis en place une entité politique qui s’organise pour proposer un programme alternatif dans le but de tourner la page de l’actuel régime quel que soit le candidat qui va le représenter.
Deux programmes alternatifs avec comme point focal le développement de l’industrie
Mimi Touré et Arona Coumba Ndoffene Diouf n’entendent pas s’appuyer sur le programme du PSE (Plan Sénégal Emergent) pour mettre le pays sur les rampes du développement s’ils étaient élus. Ce même si, par ailleurs, ils considèrent que tout n’est pas mauvais dans les réalisations de l’actuel président de la République. Sans faire dans le nihilisme, ils se sont félicités de son bilan matériel notamment dans le domaine des infrastructures. Toutefois, le leader de Alternance Citoyenne soutient que les sommes faramineuses dépensées dans ce domaine pouvaient être utilisées ailleurs avec des résultats plus positifs. Il a cité, pour étayer ses propos, l’exemple des 1500 milliards qui ont servi au BRT et au TER. Concernant les structures de financement, ils s’accordent à dire que l’idée de départ était bonne mais ont fustigé les conditions d’attribution qu’ils ont jugées «politisées».
Mais c’est surtout en matière de gouvernance que les deux anciens responsables aperistes n’ont pas raté leur ex-leader. Ils estiment en effet que, sous le magistère du président Macky Sall, les libertés sont bafouées tandis que la justice a montré toutes ses limites dans le traitement des dossiers politiques. C’est pourquoi ils se disent déterminés à apporter des réformes profondes dans le cadre «de la séparation des pouvoirs mais également d’ouvrer pour une justice libre». Parlant du cas de l’opposant Ousmane Sonko, ils partagent le même avis pour dire que ce n’est que «de l’acharnement contre un leader politique pour lui barrer la route».
Autre domaine où Aminata Touré et Arona Coumba Ndoffene comptent apporter des ruptures, c’est la lutte pour la préservation de nos ressources financières. Ils se disent tous engagés à bannir l’impunité par «le renforcement des corps de contrôle, un suivi permanent et rigoureux des dépenses publiques et un appel à candidatures pour l’attribution de certains postes stratégiques...». Mais c’estsurtout au plan économique que les deux candidats déclarés à l’élection présidentielle veulent mettre le focus pour d’abord réaliser une souveraineté alimentaire, créer le maximum d’emplois pour les jeunes et les femmes et ensuite booster la croissance économique pour l’amener à un niveau jamais atteint auparavant. L’ex présidente de la CESE dit ne pouvoir toujours pas comprendre pourquoi notre pays «continue toujours à importer des produits comme les cure- dents, ciseaux, lames...». Pour y mettre un terme, elle a promis de se lancer dans une industrialisation à outrance pour réaliser une vraie politique de développement économique. Cette vision est partagée par Arona Coumba Ndoffene qui, une fois au pouvoir, promet de positionner notre pays comme l’une des plus grandes puissances économiques en Afrique. Pour ce faire, il compte s’appuyer sur l’exploitation de nos ressources minières, une bonne maîtrise de l’eau, l’utilisation de l’énergie solaire, la mise à profit des milliers d’hectares pour à la fois l’essor de l’agriculture et l’industrialisation à outrance de notre pays.
Des expériences politiques doublées d’un vécu au plan international
Mimi Touré et Arona Coumba Ndoffène Diouf ont surtout en commun leur passage dans les organisations internationales. Ce critère, même s’il ne constitue pas un critère pour aspirer à diriger un pays, peut tout de même constituer un atout en cela qu’il permet d’avoir une bonne maîtrise des dossiers sur les questions géopolitiques au-delà de nos frontières. A l’heure des grands bouleversements géostratégiques, il serait important de prendre en compte cette donne de l’expérience internationale. A cette aune, Aminata Touré et Arona Coumba Ndoffene Diouf bénéficient d’un parcours international non négligeable. En effet, avec plus de trente-cinq ans d’expérience scientifique, administrative et professionnelle, M. Diouf est impliqué dans la recherche de l’enseignement, les séminaires et les travaux comme consultant à travers le monde. Il a eu à participer à de nombreux programmes de planification et de gestion pour des gouvernements, des universités et des centres de recherche. Il a également fait un passage en Afrique, en Amérique du Nord, en Asie et en Europe comme conseiller en programme sur des recherches portant sur la qualité de l’eau, le traitement des eaux usées, la valorisation des ressources minières, les énergies renouvelables, l’élimination des métaux lourds toxiques etc. Comme consultant, le Dr Diouf a fait parler son expertise à la Fondation Nationale des Sciences (NSA), à l’Agence nationale de la Protection de l’Environnement des Etats-Unis(USEPA), la NASA, l’Association des Chercheurs en Geo-microbiologie (Japon) etc. C’est sans doute tout cela qui lui a valu le Prix Transatlantic Smart Award décerné par les Etats Unis tous les trois ans aux scientifiques qui se sont distingués par leurs recherches, leurs travaux, leurs publications et leurs enseignements dans les universités américaines et du monde.
Aminata Touré a plafonné comme directrice au FNUAP
Quant à Mme Aminata Touré, elle s’est aussi distinguée au plan international par son passage dans des organismes comme le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) depuis 1995 et auparavant en tant que conseillère technique au Burkina Faso puis directrice générale pour les pays francophones d’Afrique et ensuite coordonnatrice du Programme Genre et VIH dans le Bureau Régional de l’Afrique de l’ouest. En 2003, elle est récompensée d’une nomination comme Directrice du Département des Droits de l’Homme du FNUAP entre autres postes de haute responsabilité dans le monde. Avec ces expériences acquises au plan international corrélées à leur passage dans les sphères de l’État ainsi que leur bagage politiques, ces deux candidats déclarés à la présidentielle de 2024 détiennent des arguments valables pour barrer la route à tout candidat proposé par Macky Sall. Et pourquoi pas prétendre jouer les premiers rôles ?