DU PROLONGEMENT DU POUVOIR ABSOLU AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SENEPLUS - Les institutions coercitives et idéologiques de la colonisation ont maintenu l'infériorité des colonisés et perduré au fil des générations, entravant les mouvements de décolonisation - Il est impératif de réformer ces institutions

Dans cet épisode de Chronique d’un Temps politique, engagée dans un dialogue avec l’écrivain et universitaire Felwine Sarr, la Professeure Ba explore l'histoire de l'État du Sénégal. Elle discute de la manière dont la communauté politique est organisée et fonctionne, tout en revenant sur l'histoire et la conception de l’État sénégalais, avec une attention particulière portée à ses origines coloniales.
La Professeure Mame Penda Ba, agrégée des facultés de droit et de sciences politiques, enseigne à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Elle occupe également le poste de directrice au laboratoire d’Analyse des Sociétés et Pouvoir Africain Diaspora, fondé en 2014. En plus de ses fonctions académiques, elle est rédactrice en chef de la Revue Globale Africa. Ses recherches se focalisent principalement sur la sociologie politique du religieux, les politiques publiques, et le genre.
Pouvoir tyrannique hérité de la colonisation
L'État, selon la Professeure Mame Penda Ba, n'est pas une entité statique ; il est en constante évolution et mondialisation, et son implantation et développement sont le fruit d'une longue histoire, particulièrement au Sénégal et en Afrique de l'Ouest. Elle insiste sur le fait que l'État doit être compris comme une structure dynamique et souligne que le moment colonial dans la construction de l'État sénégalais a été déterminant, un moment dont nous ne sommes pas totalement sortis.
À son avis, les principes, attributs et caractéristiques qui ont guidé la mise en place de cet État colonial persistent encore aujourd'hui. Pour comprendre l'État actuel, il est impératif de déconstruire et d'examiner en profondeur l'État colonial, qu'elle considère fascinant en tant qu'objet d'étude. Les sociologues, politologues et historiens institutionnels ont longtemps cru que l'État colonial était une structure inédite, ne correspondant ni aux métropoles ni aux colonies, et représentant une forme nouvelle et spécifique.
Cependant, des historiens montrent désormais une continuité significative entre l'État colonial et l'Ancien Régime français, voire européen. L'Ancien Régime, comme Mme Ba le note, était un modèle extrêmement hiérarchisé et violent, caractérisé par une élite dominante qui exerçait le pouvoir de manière seigneuriale, sans accorder de pouvoir ou de parole au tiers état. Elle trouve intéressant de noter que l'État colonial, en réalité, suit le modèle rejeté et renversé par les révolutions européennes, notamment la Révolution française.
Le modèle d'État de l'Ancien Régime, détruit dans les métropoles par les révolutions, a été transporté dans les colonies. Selon la Professeure Ba, il s'agit d'un modèle violent et hiérarchisé, où tous les pouvoirs étaient concentrés entre les mains du roi, dont l'autorité était incontestée et vue comme divine. De manière similaire, les administrateurs coloniaux détenaient tous les pouvoirs - judiciaires, exécutifs, législatifs - sans avoir de comptes à rendre, surtout pas aux sujets coloniaux. En fin de compte, Mme Ba conclut que notre histoire s'inscrit dans ce contexte et il est crucial de comprendre que l'État colonial était un État violent, tyrannique, injuste, et qui favorisait une petite élite au détriment de toutes les autres catégories sociales.
L’État colonial se prolonge après les indépendances
Dans sa conversation avec Felwine Sarr, la Professeure Ba souligne que les conséquences du type d'État hérité de la colonisation n'ont pas été pleinement explorées ou comprises. Selon elle, il est essentiel de nommer correctement les choses car cela représente non seulement un processus idéal mais également un processus politique. La professeure évoque que la terminologie utilisée pour parler des États, tels que les colonies, les fédérations, les associations ou les unions, ne reflète pas le fait qu'ils étaient en réalité des États d'Ancien Régime. À son avis, une révolution aurait été nécessaire pour véritablement se libérer de ce type d'État, une révolution similaire à celle qui a eu lieu en France.
Il aurait fallu, continue-t-elle, une philosophie de révolution, de refondation, et une nouvelle praxis pour démanteler complètement et remettre en question le modèle existant. Cependant, cette action n'a pas été entreprise. Les pères fondateurs de la nation ont probablement agi selon les moyens et le contexte de l'époque.
La professeure souligne que le modèle colonial était logique et efficace dans son action. Elle rappelle que le Sénégal avait des représentants à l'Assemblée nationale française dès 1848, ainsi que des écoles et d'autres institutions qui accompagnaient la soi-disant mission civilisatrice, mettant en avant les avantages de faire partie de cette civilisation.
Cependant, il est crucial de comprendre que le projet colonial était total et pernicieux, bien qu’intelligent dans son fonctionnement. La professeure cite des analystes marxistes qui ont démontré qu'il existe deux types d'actions et d'institutions dans toute colonisation : les institutions répressives, comme la police et l'armée, et les appareils idéologiques qui inculquent insidieusement aux colonisés leur infériorité naturelle et normale. Ces éléments idéologiques de la mission civilisatrice, après 350 ans de présence française au Sénégal, ont présenté le colonisateur comme un bienfaiteur, masquant et justifiant ainsi toute la violence physique et symbolique inhérente à la colonisation.
Au moment des indépendances, la population avait déjà subi divers degrés d'aliénation et de collaboration avec la métropole. Des relations profondément enracinées avaient été établies au fil des siècles, rendant difficile de rompre complètement avec un système si profondément ancré. Cela pourrait expliquer pourquoi, en particulier en Afrique francophone, l'option d'une décolonisation pacifique et négociée a été privilégiée plutôt que celle d'une révolution totale.
La séduction coloniale dans la postindépendance
La Professeure Ba fait remarquer que beaucoup des institutions postcoloniales sont issues, dans une large mesure, de la transposition et du mimétisme d'institutions qui ne sont pas nécessairement modernes. Elle insiste sur l'importance de comprendre cela.
Pour répondre à la question posée par Felwine Sarr sur la transformation des États, elle se réfère au travail de Frantz Fanon, qui propose une radicalité exigeante pour le colonisé qui aspire à l'émancipation. Il s'agit d'une nécessité impérative de conceptualiser vigoureusement et méticuleusement une contre-proposition à l'État colonial, un projet robuste et indépendant pour un nouvel État libre.
Elle souligne que cela implique de concevoir et de construire un nouveau projet de société, en prenant en compte divers aspects, tels que la paysannerie, la culture, l'éducation, etc. Parallèlement, elle mentionne d'autres penseurs, comme Cheikh Anta Diop, qui ont également formulé des propositions. Cependant, elle admet que ces idées sont difficiles à implémenter. La réalisation de ces propositions nécessite un courage politique considérable et une rupture significative avec la métropole.
La Professeure Ba note que les états et institutions sont composés d'individus qui ont leurs propres intérêts et qui ont établi des relations et formes de complicité qui rendent difficile la transition vers une posture plus radicale. Elle souligne également le coût élevé payé par ceux qui ont choisi de rejeter le modèle colonial, en citant des exemples comme la Guinée, Lumumba au Congo, ou encore l'UPC au Cameroun, où les enjeux sont littéralement des questions de vie ou de mort.
Elle suggère que le choix de nombreux pays postcoloniaux d’opter pour l'accommodation plutôt que la révolution a été motivé en partie par la rationalité de l'époque. Cependant, elle reconnaît que le coût de ce choix est toujours payé actuellement. Elle insinue qu'à l'époque, il pourrait y avoir eu des justifications rationnelles à opter pour un modèle d'accommodation plutôt que de poursuivre la révolution et la radicalité.
Un État volontariste pendant une courte période
La Professeure Ba analyse la période des années 1960 et 1970, jusqu'à la première crise pétrolière. Elle note qu’après le départ des administrateurs coloniaux, ces derniers furent remplacés par des administrateurs locaux. Cela évoque, selon elle, une observation de Frantz Fanon, selon laquelle le rêve des individus noirs aurait été de prendre la place de l’homme blanc et de coucher avec la femme blanche. Bien que ce point demeure largement inexploré, elle reconnaît que la première décennie postcoloniale était caractérisée par des ambitions développementalistes.
Dans cette phase, les États nouvellement indépendants étaient engagés dans la construction nationale, mettant en œuvre des projets de développement tels que la construction d'écoles, de routes, le développement économique, l'établissement de bureaucraties fonctionnelles et la fondation des premières universités. Il y avait un dynamisme et des projets politiques sérieux en cours, comme en témoignent des initiatives telles que le "socialisme singulier". Avec le soutien de la communauté internationale et l'accès à des ressources financières et à des prêts, ces États avaient l’ambition et l'envie de réaliser des changements significatifs.
Cependant, la Professeure Ba signale que cette période de volontarisme étatique et de petits épisodes démocratiques fut brève. Elle mentionne que ces moments d'optimisme et d'effervescence ont été suivis d'une fermeture rapide du champ civique et d'un glissement vers des régimes à parti unique.
Malgré tout, elle souligne qu'il y avait une sorte de quasi-État providence en place à cette époque, avec des programmes visant à démocratiser l'éducation et à fournir un accès ouvert et gratuit à la santé. Des initiatives comme la mise en place progressive de la sécurité sociale, des efforts pour promouvoir l'éducation, la médicalisation par l'État, et des tentatives d'industrialisation étaient manifestes.
Cette période d'effervescence a été interrompue assez rapidement, mentionnant également que l'agriculture avait été subventionnée au début, soulignant ainsi les tentatives diverses et complexes d'établissement et de développement dans les nouveaux États postcoloniaux.
De l’impossible État-nation postcolonial
La Professeure Ba identifie ce qu'elle considère comme des erreurs historiques commises par les dirigeants africains. Elle explique qu'ils ont adopté le modèle de l'État-nation, un produit d'un processus historique long et complexe en Europe, comme si c'était un modèle naturel et facilement transposable en Afrique. Ce modèle européen a émergé à la suite de guerres prolongées et violentes, tant externes qu'internes, et un processus d'homogénéisation autour de la langue et de la culture quotidienne qui a pris des siècles.
Selon la Professeure Ba, les dirigeants africains ont tenté d'implanter ce modèle d'État-nation en une ou deux décennies dans des régions extrêmement diverses et plurielles en termes de culture et de communauté. Ce faisant, ils ont tenté d'effacer ces différences pour construire des identités nationales unifiées, telles que le citoyen ivoirien, sénégalais, béninois, ou camerounais, sans reconnaître la diversité inhérente à ces territoires.
Selon elle, il aurait été plus approprié de conceptualiser ces États comme multinationaux et de réfléchir à la cohabitation au sein de cette diversité. Elle note que les processus d'homogénéisation entraînent inévitablement des perdants et des gagnants, et que les perdants finissent par exprimer leurs revendications, parfois de manière brutale. Elle cite des exemples comme le Nord du Mali et le Sud du Sénégal, où les conflits, enracinés dans ces dynamiques, ont persisté pendant des années.
En parlant de la devise du Sénégal, "Un peuple, un but, une foi", la Professeure Ba se demande quel peuple est représenté, qui a défini ce "but", et qui a été inclus dans ces conversations fondatrices. Elle souligne que les nations sont des communautés imaginées, souvent conceptualisées par les élites sans la participation active des peuples, sauf peut-être après des crises, des révolutions ou des moments de refondation.
Selon elle, une perspective à court terme et une focalisation sur l'immédiat nous empêchent de comprendre la puissance des dynamiques à long terme. La Professeure Ba conclut en observant que les changements significatifs en Afrique ne résultent pas nécessairement des actions des gouvernants ou du contexte international, mais sont souvent impulsés par les citoyens et les sociétés. Ces derniers, affirme-t-elle, influencent de plus en plus les gouvernements, que ce soit au niveau local ou national, reflétant ainsi le dynamisme et la complexité des sociétés africaines contemporaines.
Les rapports entre pouvoir et société
La Professeure Ba aborde l'inadéquation persistante de la forme étatique, faisant référence aux erreurs historiques qu'elle a mentionnées précédemment. Selon elle, bien que l'État colonial ait dévalué et écarté certaines institutions traditionnelles et zones de pouvoir significatives, ces entités n'ont pas disparu ; elles ont plutôt opéré en arrière-plan. Ces structures continuent d'influencer la société, en dépit des tentatives de l'État colonial de les rendre invisibles et sans pouvoir.
Le cas du Sénégal est particulièrement révélateur à cet égard. En dépit de la puissance militaire et idéologique de l'État colonial, ce dernier finit par rencontrer une résistance, illustrée par une société qui devient silencieuse, refuse de communiquer, de partager et de respecter les ordres, sauf sous la contrainte extrême, comme l'emprisonnement ou la violence physique. Dans ce contexte, l'administration coloniale se retrouve contrainte de faire appel aux autorités traditionnelles qu'elle avait initialement dévalorisées et délégitimées, pour servir de médiateurs.
Ces pouvoirs intermédiaires jouent un rôle crucial, offrant du sens et facilitant la cohésion au sein de sociétés diverses. Au Sénégal, cela explique pourquoi le pouvoir religieux a acquis une importance considérable, surtout pendant les deux guerres mondiales. Par exemple, des révoltes ont éclaté en Casamance lorsqu'on a exigé des paysans qu'ils cèdent leur récolte de riz, déclenchant des mouvements comme celui d’Aline Sitoe Diatta.
La Professeure Ba illustre également comment, dans la région du Bassin arachidier, la colonisation a réussi à imposer une monoculture de l'arachide, souvent par la médiation des chefs religieux et traditionnels. Ces derniers, dans le processus d'accommodation réciproque, ont joué un rôle crucial dans le renforcement spirituel, moral et idéologique de leurs communautés face à la domination coloniale.
Elle conclut en soulignant comment, dans ce contexte, la diffusion de l'islam et des confréries islamiques au Sénégal a été particulièrement notable durant la période coloniale, utilisant la "paix coloniale" pour étendre leur influence. Cette période a également été témoin d'un effort concerté pour préserver l'identité, l'histoire, la langue, et d'autres aspects culturels des communautés, malgré les pressions économiques et politiques de la colonisation.
Le pouvoir religieux confrérique comme co-production coloniale
Dans ce passage, la Professeure Ba continue d'analyser la complexité des dynamiques coloniales au Sénégal, en soulignant le processus de coproduction qui a façonné le modèle étatique du pays depuis environ 1856. Elle argumente que cet état, tel que nous le connaissons aujourd'hui, résulte d'une collaboration et d'une négociation entre les autorités coloniales et les autorités religieuses locales.
Selon la Professeure Ba, l'État colonial, en l'absence d'autorités politiques locales légitimes, s'appuie sur les autorités religieuses comme substituts pour exercer son pouvoir. Ces autorités religieuses, tout en étant instrumentalisées par les colonisateurs, trouvent également des opportunités dans cette relation.
Elles utilisent la « paix coloniale », une période où les conflits internes entre royaumes locaux sont réduits, pour diffuser leur influence religieuse et résister à l'intérieur du système colonial.
Elle explique que le modèle colonial, tout en étant initialement étranger et imposé, commence à faire sens et à être intégré dans la société locale grâce à l'engagement et à la participation de groupes tels que les confréries religieuses. Ces groupes, tout en facilitant le fonctionnement de l'État colonial, s'approprient et adaptent les structures et les processus de cet État pour répondre à leurs propres objectifs et visions.
La Professeure Ba insiste sur le fait qu'il est crucial de comprendre la dimension économique de ces dynamiques. Dans le contexte colonial, les intérêts économiques sont prédominants, et les autorités religieuses locales comprennent et naviguent habilement dans ces eaux, collaborant avec l'État colonial lorsque cela sert leurs intérêts.
En conséquence, le modèle colonial sénégalais évolue et se transforme progressivement en une entité qui fait sens pour ceux qui y vivent, en intégrant des éléments appropriés et modifiés du colonialisme avec les visions et objectifs des communautés locales.
Pour une théorie de la refondation institutionnelle
Dans ce segment, la Professeure Ba souligne l'importance de la réflexion et de la théorisation autour de la notion de "refondation" à un moment critique de l'histoire : les indépendances. Elle suggère qu'il est nécessaire d'examiner et de penser profondément à la crise que représentait le moment colonial, qui était une période à la fois profonde, nouvelle et radicale. Elle exprime le besoin d’une réévaluation intellectuelle et théorique profonde sur l'état post-colonial et la refondation de la société après la domination coloniale.
Elle mentionne que le colonialisme a surpris, dominé et humilié les populations locales, et insiste sur l'importance de lire et d'engager un dialogue avec les travaux d'intellectuels africains significatifs tels que Fabien Eboussi Boulaga, Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia, et Senghor. Selon elle, il est crucial de se familiariser avec leurs réflexions et visions, car elles offrent des perspectives diverses et profondes sur la situation politique, le panafricanisme, et l'avenir du continent.
En considérant que "mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde", elle souligne l'importance cruciale de nommer et d'identifier correctement les crises et les défis auxquels les sociétés africaines sont confrontées, car cela est fondamental pour comprendre, centrer et répondre adéquatement à ces problèmes. La Professeure Ba appelle à une réflexion profonde et à ne pas répéter les erreurs du passé, invitant à une réflexion collective et critique sur la situation actuelle et sur les voies possibles de refondation et de reconstruction.
L’urgence de la refondation
La professeure Mame Penda Ba articule clairement que l'importance de réfléchir aux réformes et transformations nécessaires dans les États africains est cruciale. Selon elle, il est indispensable d'aborder ces réformes avec un profond sens de refondation et d’innovation, tout en évitant de reproduire les erreurs passées. Elle mentionne les Assises nationales du Sénégal, ayant eu lieu entre 2008 et 2010, comme un moment significatif et inspirant pour le continent.
Madame Ba souligne que ce processus inclusif de consultation populaire sur la Constitution du pays est un exemple lumineux de démarche démocratique ouverte et participative. Elle met en relief que tous les citoyens étaient sollicités à réfléchir et s'exprimer sur le projet commun de la société, indépendamment de leur âge.
La professeure Ba indique que l'initiative visait à créer un dialogue national autour de la notion de « bien-vivre » ou de « décence », qui transcende les cadres institutionnels et politiques pour englober l'ensemble de la société, les interactions humaines, et même les relations internationales.
La notion de "bien-vivre" ou de "décence" doit être, d’après elle, le phare guidant la réflexion sur les institutions politiques et sociales. Cela signifie repenser non seulement qui doit gouverner, mais également la manière de gouverner. Mame Penda Ba insiste sur le fait qu'il faut adopter une approche qui dépasse la simple démocratie électorale et procédurière pour envisager les finalités qui se cachent derrière ces procédures.
Elle plaide également en faveur d'une participation plus large et plus équitable dans le discours public. Pour Madame Ba, il est essentiel d'inclure les voix souvent marginalisées, comme celles des femmes, des jeunes filles, des marchands ambulants, des personnes handicapées et des populations rurales. La professeure encourage vivement à tirer des leçons des expériences passées et à valoriser ces enseignements dans le processus de refondation et de réforme. Elle souligne l'importance de ne pas toujours chercher à innover ou découvrir, mais plutôt à apprendre de ce qui a déjà été expérimenté et mis en œuvre.
En résumé sur cette question, les propos de la professeure Mame Penda Ba appellent à une réflexion profonde et inclusive sur la refondation et la réforme des États africains, en mettant l'accent sur les leçons apprises du passé et en intégrant activement les voix des groupes souvent exclus du discours public.
Capitaliser sur les Assises nationales
Selon la professeure Mame Penda Ba, les Assises nationales du Sénégal et le travail de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI) représentent une avancée significative, bien que non exemptes de critiques. Elle les perçoit comme une amélioration notable par rapport aux anciennes méthodes de rédaction et de mise en œuvre des textes législatifs.
Madame Ba met en avant la nécessité d'affiner, de prendre soin et de renforcer ces processus et contenus, soulignant qu'il y a des éléments importants dans le contenu même si des améliorations sont nécessaires.
Elle regrette notamment que la voix des femmes n'ait pas été suffisamment entendue, et d’autres groupes ont également été négligés dans ces discussions, selon elle. La professeure Ba souligne qu'un élément crucial a été mis sur la table, mais déplore que l'ensemble de la classe politique sénégalaise, indépendamment de son affiliation, ait montré une incapacité à réaliser pleinement les promesses énoncées pendant cette période.
Elle exprime également son inquiétude quant à la perte de l'espoir vital qui s'est manifesté lorsque certains leaders politiques, comme les présidents ivoirien et guinéen, ont décidé de se représenter. Selon elle, ces actes retirent à leurs citoyens, et plus largement à leurs pays, l'espoir d'un avenir meilleur, quelque chose qu'elle considère comme inexcusable. L'érosion de cet espoir, selon Madame Ba, constitue une violation profonde et dévastatrice.
Est également évoqué la frustration et le désespoir palpable chez les jeunes, particulièrement lors des manifestations. Elle interprète cette colère et ce désespoir comme une réaction à la perte de l'espoir et à un sentiment de stagnation, où les jeunes ont l'impression d'être retenus par des combats qui ne sont pas les leurs. Elle souligne que les véritables batailles à mener concernent l'amélioration de la qualité de vie, la participation active des voix africaines dans les débats internationaux, et la réflexion sur les systèmes de santé, d'éducation, et sur le type de société que les citoyens souhaitent construire.
Selon Madame Ba, le débat institutionnel actuel empêche d'avoir des discussions profondes et significatives sur des questions sociales vitales comme l'éducation, la santé, l'économie, la coexistence pacifique et la prospérité partagée. Elle exprime le sentiment d'un retour en arrière et d'une stagnation qui, à son avis, entrave le progrès et crée un vide dans lequel les citoyens se sentent coincés. La professeure perçoit dans la colère des jeunes une volonté fervente de rompre avec cette stagnation, manifestant un désir profond de mouvement, d'action et de dynamisme.
Une crise porteuse d’opportunités
La professeure Mame Penda Ba suggère qu'il est crucial d'envisager les situations actuelles dans une perspective dynamique. Elle est en accord avec le Professeur Felwine Sarr qui exprime l'idée que, bien que nous puissions avoir l'impression de stagner, il se pourrait que nous soyons à la fin d'un cycle, avec une crise indiquant un possible renouveau démocratique à venir.
Selon elle, les demandes démocratiques actuelles sont bien plus fortes qu'elles ne l'étaient il y a 10 ou 12 ans. Mme Ba partage la perspective que de nouveaux types de citoyens sénégalais émergent, avec des exigences et une volonté de changement plus prononcées. Elle estime que les sociétés sont en avance sur les États, les gouvernements, les élites, ainsi que sur les universitaires et chercheurs.
À Felwine Sarr qui critique la tendance de certains universitaires à se considérer déconnectés de la société, alors qu’ils font intégralement partie d'une société intégrée, parlant les langues nationales et étant en phase avec les problèmes rencontrés par les Sénégalais, Mame Penda Ba réagit en exprimant son aspiration à une sociologie approfondie des jeunes, observant un manque de recherches détaillées sur les jeunes et sur des sujets comme la magistrature au cours des 25 dernières années. Elle souligne le besoin de travaux sociologiques et anthropologiques qui explorent en profondeur la Justice, les magistrats et les juges au Sénégal, ainsi que leur formation, socialisation, cooptation et intégration dans la société.
Enfin, la professeure Ba et l’économiste Sarr s’accordent sur le besoin de théories politiques, d'épistémologies et de philosophies politiques nouvelles. Ils appellent à la production et à la mise à disposition de nouvelles formes de connaissances pour le corps social, afin de permettre une refonte et une reconsidération de la situation actuelle, suggérant que le domaine politique a aussi un rôle crucial à jouer dans cette période de refondation.
L'intégralité de la conversation entre Felwine Sarr et Mame Penda Ba est à suivre ici