ENJEUX ET CONTEXTES DECORTIQUÉS PAR DES ANALYSTES
Parallélisme entre les élections présidentielles au Mali et au Sénégal - Momar Seyni Ndiaye, éditorialiste de SenePlus : « Il est possible de faire le parallélisme entre la présidentielle malienne et celle sénégalaise à venir »
Le président sortant du Mali, Ibrahima Boubacar Keïta (Ibk) crédité de 41% des voix, doit croiser le fer avec Soumaïla Cissé arrivé deuxième avec 17% des voix, au second tour de la présidentielle au Mali. D’aucuns prédisent le même ballotage au Sénégal, lors de la présidentielle de 2019, en faveur du président sortant Macky Sall. Quid des contextes et autres enjeux politiques des deux pays voisins? Que dire des actes posés par les acteurs politiques adverses susceptibles de créer ou non les conditions d’un second tour au Sénégal ? Eléments de réponse avec deux analystes: Jean Charles Biagui, Professeur en Sciences politiques à l’Ucad, et Momar Seyni Ndiaye, Journaliste-analyste politique, dans ces entretiens croisés
MOMAR SEYNI NDIAYE, JOURNALISTE-ANALYSTE POLITIQUE : «Il est possible de faire le parallélisme entre la présidentielle malienne et celle sénégalaise à venir»
Beaucoup de gens font le rapprochement entre la présidentielle actuellement en cours au Mali et celle de février 2019 au Sénégal. Avez-vous la même lecture ?
Il est clair que le contexte politique malien n’est pas tout à fait identique au contexte politique sénégalais. L’existence de l’État unitaire malien est fortement contestée. Il ne doit sa survie qu’à la présence de Forces militaires étrangères incapables d’ailleurs, jusqu’à présent, de rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble de son territoire. Le Sénégal ne s’inscrit pas dans cette configuration politique. Cela dit, il est tout de même possible de faire le parallélisme entre la présente élection présidentielle malienne et l’élection présidentielle sénégalaise à venir
Pensez-vous que les enjeux électoraux et les contextes politiques sont identiques pour les deux pays ?
Les enjeux électoraux et le contexte politique dans les deux pays ont des points de convergences que nous pouvons rappeler. Aussi bien au Mali qu’au Sénégal, les enjeux électoraux concernent l’épineuse question de la demande sociale jusqu’ici non résolue par les différents régimes. A cela s’ajoutent les nombreuses remises en cause démocratiques qui jalonnent l’actualité politique dans ces deux pays. Nous pouvons citer aussi les nombreux défis sécuritaires qui peinent à trouver des solutions durables. Nous n’avons pas besoin d’être explicite dans le cas du Mali. L’actualité quotidienne nous y montre le caractère faible de l’État. Quant à la situation sécuritaire au Sénégal, nous savons que dans le Sud du pays, la paix n’est pas encore une réalité, en dépit de la communication du gouvernement sénégalais. Le contexte politique dans les deux pays, même s’il n’est pas identique, présente de nombreuses similarités. En effet, nous sommes au Mali ainsi qu’au Sénégal dans un contexte où il y a une possibilité d’alternance politique. En face d’une opposition en quête d’unité et/ou de leadership, nous avons deux régimes souhaitant prolonger l’aventure malgré des bilans contrastés. Le système électoral, ainsi que les autorités chargées d’organiser et de sécuriser l’élection présidentielle, sont fortement contestés dans les deux pays par les partis politiques et les organisations de la société civile en particulier. Nous savons déjà qu’il y aura un second tour au Mali. Nous pensons qu’il en sera de même au Sénégal, si bien évidemment les règles du jeu électoral sont scrupuleusement respectées. Dans la configuration politique sénégalaise actuelle, il est impossible pour un candidat de remporter l’élection présidentielle dès le premier tour. Au-delà du Sénégal, il faut d’ailleurs reconnaître que cela est pratiquement illusoire dans les démocraties représentatives où l’élection du président de la République se fait dans le cadre d’un scrutin majoritaire uninominal à deux tours. A moins que le nombre de candidats soit très limité, ne dépassant pas deux (2) par exemple ou que le poids des candidats sur l’échiquier politique national soient des plus insignifiants. Mais, à vrai dire, cela n’est pas possible dans une démocratie substantielle sans bipartisme
Qui des opposants ou de Macky Sall crée-t-il les conditions d’un ballotage à la présidentielle de 2019?
Ce n’est pas seulement les défis sociétaux, politiques et économiques insuffisamment pris en charge par le gouvernement de Macky Sall qui créent la possibilité d’un second tour. Ce n’est pas non plus les propositions éventuelles de l’opposition qui risquent d’imposer ce cas de figure. C’est aussi le mode de scrutin qui détermine les conditions d’un second tour dans un contexte marqué par le pluralisme politique et une conscience politique de plus en plus affirmée. Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours est un scrutin dans lequel, l’élection est conditionnée par l’obtention de la majorité absolue des voix. Dans le cas de la présidentielle sénégalaise, puisqu’il n’y a qu’un seul siège à pourvoir, cela signifie que pour qu’un candidat soit élu, il faut qu’il obtienne au moins un nombre de voix supérieur à la moitie des suffrages exprimés, plus une voix. Selon toute vraisemblance, nous nous acheminons vers une élection présidentielle avec plusieurs candidats, à moins que le parrainage ou la «politisation» de la justice soient utilisés comme des moyens de limitation des ambitions de certains acteurs politiques. Dans la configuration d’une élection ouverte et compétitive, nous le répétons, et c’est notre point de vue, il est impossible pour un candidat de passer dés le premier tour de scrutin
JEAN CHARLES BIAGUI, PROFESSEUR EN SCIENCES POLITIQUES A L’UCAD : «Une élection n’est jamais pareille à une autre, même dans le même espace géographique
«Beaucoup de gens font le rapprochement entre l’élection présidentielle actuellement en cours au Mali et celle de février 2019 au Sénégal. Avezvous la même lecture ?
Une élection n’est jamais pareille à une autre, même dans le même espace géographique. Encore moins quand les scrutins se passent dans deux pays aux parcours politique et démocratique différents. Au Mali, les alternances au pouvoir se sont souvent effectuées par voie militaire et épisodiquement par les urnes. Au Sénégal, on a vécu, bon an mal an, onze élections présidentielles, depuis 1960, dans des conditions peu ou prou démocratiques, mais sans intermède militaire. Il y a probablement des enseignements à tirer de l’une pour mieux scruter l’autre. Mais tout cela reste dans le domaine des hypothèses. Le dernier mot reviendra, au bout du compte, à l’électeur final, qui opérera son choix en fonction de plusieurs facteurs qui interagissent sur les uns et sur les autres
Pensez-vous que les enjeux électoraux et les contextes politiques sont identiques pour les deux pays ?
Il s’agit pour, le Président Macky Sall comme pour le chef d’Etat Malien, Ibrahim Boubacar Keita, de briguer un second et dernier mandat. En dépit du contexte de guerre civile au Mali, les relations politiques sont moins heurtées au Mali, et le dialogue politique y est plus prégnant. Au Sénégal, la paix et la sécurité publique sont mieux garanties, mais le dialogue politique est défaillant. Les imbrications entre les affaires (cas de mauvaise gestion, traque des auteurs de bien mal acquis) et la gouvernance politique, sont sources de tension permanente, dans un climat de forte méfiance à l’encontre de la justice. Paradoxalement, c’est au Sénégal où la stabilité politique est plus réelle, les tensions ethniques et religieuses nettement moins marquées, que l’on craint le plus des troubles pré et postélectoraux. La double éviction (justifiée ou non) de deux sérieux adversaires au président Macky Sall, Khalifa Sall et Karim Wade, la loi sur le parrainage contiennent les germes de confrontation politique avant, pendant ou après les élections. Les dysfonctionnements dans la distribution des cartes d’électeurs, n’ont pas affecté la tenue du premier tour chez nos voisins de l’est. En revanche, une lourde menace pèse sur le vote au Sénégal du fait de l’incertitude qui continue de planer sur la confection et la distribution des cartes d’électeur. Le taux de participation à l’élection sera plus fort au Sénégal qu’au Mali, dont le fichier est moins fiable, du fait de sa connexion à un fichier d’état-civil incohérent. Qui plus est, une bonne partie des Maliens sont privés de droit de vote du fait des menaces et exactions terroristes, au Nord et au Centre. Globalement, l’environnement électoral est plus rassurant au Sénégal, mais les corrections à opérer sont urgentes, nombreuses et variées
Qui des opposants ou de Macky Sall crée-t-il les conditions d’un ballotage à la présidentielle de 2019 ?
L’opposition est doublement handicapée par son émiettement et l’insuffisance de qualité de son offre de sortie de crise et de projets économiques porteurs d’espoirs. Cependant, en l’absence d’instrument crédible de mesure de l’état de l’opinion, il est difficile d’estimer le poids électoral des uns et des autres. Bennoo Bokk Yaakaar a remporté toutes les élections et consultation depuis 2012. Mais, de manière empirique, on sent que la force électorale et la cote d’estime du président Sall et de sa majorité s’effilochent. Aux dernières législatives, Bennoo Bokk Yaakaar est en majorité relative dans 29 départements sur 45. Autrement dit, toutes proportions gardées, le président Macky Sall serait en ballotage dans une trentaine de villes, dont plusieurs capitales régionales et les sites religieux, bastions traditionnels du pouvoir en place. L’opposition ne doit pas s’agripper sur un second tour qui serait inéluctable. Elle doit en poser les jalons. Toutefois, si la majorité ne prépare pas une stratégie de second tour, elle peut connaître des surprises. Certes, le coefficient personnel du président Sall est plus élevé et que l’ancrage électoral de sa majorité hétéroclite et divisée. Mais, il y a fort à craindre que le bilan immatériel (gouvernance politique et éthique de gestion) n’affecte le bilan matériel et économique globalement positif. Du moins, au niveau des agrégats. L’inclusion sociale, tant recherchée dans le Pse (Plan Sénégal émergent), référentiel des politiques publiques du gouvernement est encore en friche et ne peut générer, en six ans de gouvernance, toutes les transformations sociales promises
JEAN MICHEL DIATTA