DES RECRUTEMENTS CLIENTÉLISTES AU PALAIS, DANS LES MINISTÈRES ET DIRECTIONS
Avec une masse salariale qui va frôler en 2022, 952 milliards de frs contre 904,9 milliards de frs en 2021, une progression de presque 45 milliards entre les deux exercices, les finances publiques n’en peuvent plus
Avec une masse salariale qui va frôler en 2022, 952 milliards de frs contre 904,9 milliards de frs en 2021, une progression de presque 45 milliards entre les deux exercices, les finances publiques n’en peuvent plus. Surtout que, dans ce gonflement de la masse salariale, près de « 400 milliards de nos francs » seraient liés aux recrutements anarchiques. Le président Macky Sall veut siffler la fin de la récréation pour inviter les services de l’Etat à revoir leur copie puisque, selon lui, cette enveloppe est trop volumineuse au regard de notre santé financière. Ou de l’état de notre économie. Hélas pour le président de la République, certains économistes estiment qu’il est responsable de cette situation en ce sens qu’il a laissé faire. En effet, rappellent-ils, le recrutement dans la fonction publique passe impérativement par des commissions de recrutement et la division de contrôle d’effectifs.
Pape Abdoulaye Seck, économiste, ne mâche pas ses mots suite à la sortie du Président dénonçant les recrutements anarchiques. Il dénonce le fait que le Palais, les ministères et même les directions nationales recrutent sans aucun critère de rentabilité économique sinon celui de la satisfaction de la clientèle politique. Un recrutement tous azimuts qui explique ce surplus de 400 milliards de francs sur la masse salariale de la Fonction publique. Selon lui, l’Etat, sous l’actuel régime, n’a pas été très regardant dans le recrutement dans la fonction publique. Conséquence : les critères de convergence de l’Uemoa qui imposent une masse salariale ne dépassant pas 35 % du Produit intérieur brut (Pib) sont systématiquement violés par notre et bonjour les dégâts financiers !
Le président Macky Sall qui prône la limitation de la masse salariale est en réalité l’artisan du recrutement abusif qu’il veut combattre. C’est du moins l’avis de l’économiste Pape Abdoulaye Seck. A l’en croire, le président de la République a laissé faire au point qu’on en est arrivé à ce stade où la masse salariale connait un surplus de près 400 milliards de nos francs. Des recrutements politiciens sans aucune objectivité, sans que les secteurs d’activités ou structures en aient exprimé le besoin. Notre interlocuteur estime donc que « c’est cela le mobile de cette faramineuse masse salariale ». Le plus grave, c’est que, selon M. Seck, « ces recrutements tuent notre économie parce que, justement, ne lui apportant aucune valeur ».
« Les recrutements abusifs existent même au Palais avec des postes qui ne sont d’aucune utilité … »
Selon l’économiste Pape Abdoulaye Seck le phénomène est d’autant plus profond que, même au Palais de la République (Ndlr, qui vient d’être certifié Iso !), il y a des recrutements injustifiés qui ne sont vraiment d’aucune utilité. C’est avec le régime actuel notamment qu’on a commencé à entendre parler de postes comme « ministre conseiller, alors que soit on est ministre soit on ne l’est pas. Soit on est conseiller soit on occupe un autre poste ». Pis encore, selon lui, les responsabilités ou taches de ces soi-disant ministres rattachés au palais ne sont même pas définies dans des cahiers des charges et personne ne sait ce que ces gens font alors que « ils ont tous les privilèges rattachés à leurs postes respectifs, ce qui coûte beaucoup d’argent au Trésor public ». Notre interlocuteur s’émeut aussi du fait que « quand un ministre ou directeur est défénestré, on lui trouve systématiquement un poste créé sur mesure pour ne rien faire d’autre que de satisfaire cette personne qui devrait aller chercher du travail ou retourner à son premier poste dignement occupé avant sa nomination ». Poursuivant, Pape Abdoulaye Seck pense que les ministères sont à l’image du Palais car, dit-il, « ce qu’on entend maintenant, c’est des termes comme conseiller de département…c’est quoi ça et comment peut-on se permettre d’avoir au-delà des conseillers techniques, un conseiller de département…c’est du jamais vu ?». Bref, selon notre économiste, la racine du mal, c’est le régime en place. En effet, soutient-il, dans presque tous les secteurs on note des recrutements pour satisfaire la clientèle politique, allant des ministères aux directions où l’on constate des conseillers techniques, spéciaux etc.… sans aucun apport économique mais budgétivores.
« Ce n’est que sous Macky Sall qu’on entend des postes comme conseiller de département au niveau des ministères… »
Selon lui, du temps de Senghor, on n’entendait pas parler de ce genre de postes qui foisonnent sous le magistère du président Macky Sall. Soit on est conseiller au prés du chef de l’Etat par exemple mais pas ministre-conseiller. De plus, au palais présidentiel sous l’actuel régime, « les ministres conseillers ne sont spécialisés en rien du tout. Ce sont des conseillers techniques qui gèrent les secteurs comme l’éducation, la santé et autres alors qu’il y a des ministres conseillers… mais en quoi ? Rien n’est spécifié». Considérant que le régime de Sall ne respecte pas le principe d’expression de besoins de recrutement par des secteurs d’activités porteurs de croissance économique, l’économiste préconise un audit général pour voir qu’est-ce qui ne va pas afin d’y apporter une correction. Ce qui est sûr, estime-t-il, « c’est qu’il peut y avoir des fonctionnaires qui continuent de percevoir leurs salaires alors qu’ils ne sont plus agents de l’Etat car ayant quitté leurs postes depuis… ». Donc, il faudra un travail sérieux pour débusquer ces faux fonctionnaires puisque, par le passé, on avait constaté que beaucoup d’enseignants percevaient encore leurs salaires sans qu’ils n’étaient plus au service de l’Etat.
PAPE MALICK NDOUR, ÉCONOMISTE : « L’Etat n’a pas été très regardant dans les recrutements dans la fonction publique… »
D’autres économistes interrogés se disent très surpris d’entendre le chef de l’Etat Macky Sall parler de masse salariale très lourde. A les en croire, contrairement aux idées reçues, un recrutement ne se fait pas dans les bureaux. Autrement dit, les recrutements nécessitent un travail minutieux très technique à travers des commissions de recrutement et la division de contrôle des effectifs qui font que le régime en place est comptable de cet échec dans la politique de recrutement dans la fonction publique. Juste pour dire que, d’après ces spécialistes des questions économiques, « si le président Macky Sall déplore tout en donnant des directives dans le sens de rectifier le tir, c’est parce qu’il a omis une réalité. Ce sont les services de l’Etat qui sont à l’origine de ce phénomène qui risque de coûter très cher à notre tissu économique ». Selon Pape Malick Ndour, économiste, pour cerner la problématique de la masse salariale, il faudra s’arrêter sur deux considérations. Celle du ratio masse salariale sur recettes fiscales qui fait partie des critères de convergence de l’Uemoa. En effet, la masse salariale ne doit pas dépasser 35 pourcent des recettes fiscales. Si la masse salariale explose sans que les recettes ne suivent, on assiste à un déséquilibre économique. Deuxième considération, cette situation va conduire l’Etat à être incapable de financer ses investissements. Puisque, 65 pourcent ne pourront pas suffire pour exécuter les dépenses de fonctionnement et les investissements, sans compter le remboursement de la dette qui pèse sur nos épaules. En d’autres termes, limiter la masse salariale revient à respecter les critères de convergence de l’Uemoa et à accroitre les marges de manœuvre de l’Etat dans ses programmes et projets économiques. Pape Malick Ndour invite à pas perdre de vue une chose. « On a parlé de recrutements dans la fonction publique, avec le chômage qui s’est posé avec acuité, la fonction publique a été toujours sollicitée pour régler le problème du chômage mais on n’a pas été trop regardant par rapport aux recrutements qui se font. C’est ce qui a conduit le Sénégal dans ce trou. Les enseignants ont coûté beaucoup de milliards au Trésor publique avec leur intégration dans la fonction publique, de même que l’Armée, la Gendarmerie etc… ». Pour reprendre notre premier économiste, Pape Abdoulaye Seck, l’Etat n’a pas muri ses idées avant de recruter car il faudrait respecter le principe de rentabilité et d’expression de besoins dans des secteurs précis qui peuvent tirer notre économie vers l’émergence. Hélas, selon lui, ce n’est pas la direction prise par le régime du président Macky Sall quo serait un champion dans les recrutements purement politiques qui ne reposent sur aucun critère objectif.