FAIT SOCIAL, EFFET POLITIQUE
Si on ne peut parler de retrouvailles entre Macky et Khalifa, cette cérémonie de présentation de condoléances, même naturelle dans une société comme celle du Sénégal, est aussi un acte politique posé par l’un et l’autre. Décryptage
Si on ne peut parler de retrouvailles entre Macky et Khalifa, cette cérémonie de présentation de condoléances, même naturelle dans une société comme celle du Sénégal, est aussi un acte politique posé par l’un et l’autre. Décryptage.
Le déplacement du Président Macky Sall, dimanche, pour présenter ses condoléances à Khalifa Sall, fait partie de ce qu’on appelle un «fait social» au sens durkheimien en ce qu’il s’est imposé aux deux hommes en dépit de leur adversité politique. Soit ils s’y plient en acceptant l’un d’aller présenter ses condoléances, et l’autre de recevoir ces condoléances, soit ils s’exposent aux «sanctions» de la société. Cette prouesse n’est pas une première de nos hommes politiques et ne sera sans doute pas la dernière. En avril 2009, l’inimitié entre les Wade et Idrissa Seck était connue de tous. Lorsque Karim a perdu son épouse, Karine, le leader de Rewmi n’était pas le bienvenu à la maison mortuaire du Point E. Wade-fils n’en voulait pas. Et la presse en avait fait ses choux gras. Ce serait même sur intervention de chefs religieux que Abdoulaye Wade a fini par raisonner le fils biologique qui s’est résolu à accepter la poignée de main du fils putatif devant la classe politique. Dans un entretien avec Wal Fadjiri en 2009, Amath Dansokho revenait largement sur ces obsèques qui avaient rassemblé pouvoir et opposition. «Peut-on dire qu’entre les hommes politiques sénégalais, il y a de l’adversité, mais pas d’animosité ?» Le secrétaire général du Parti de l’indépendance et du travail (Pit) répondait ceci : «Je ne peux pas répondre à la place de tout le monde, naturellement. Mais en ce qui me concerne, je pense qu’il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. Je rappelle -peutêtre que les gens ne s’en souviennent pas- que c’est moi qui ai préconisé, pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal, qu’on ait des rapports civilisés dans les combats politiques. C’était au plus fort de la crise de 1989. Je considère qu’il y a des différends essentiels qui nous opposent sur le plan politique, sinon on n’aurait pas des partis politiques différents.» Et l’opposant farouche d’alors ajoutait : «L’opposition et le pouvoir, quelle que soit l’acuité de leurs rapports au plan des démarches politiques, des objectifs de pouvoir, conviennent quand même qu’il y a des choses qui les unissent. C’est l’existence de leur pays et la nécessité de faire en sorte que les sociétés ne souffrent pas trop des différends et des ambitions politiciennes.»
Le fait politique
Le «fait social» peut aussi être un fait politique. A l’époque, le Président Wade avait aussi intérêt à huiler ses rapports avec Idrissa Seck, surtout que c’était au lendemain de sa déconvenue aux Locales du 22 mars 2009 qui a vu l’opposition reprendre les grandes villes (Dakar, Thiès, Kaolack, Saint-Louis, Louga). Donc, la mise en scène politique des condoléances ne date pas d’aujourd’hui. Et ce qui s’est produit ce 27 juin 2021 entre Macky Sall et Khalifa Sall est aussi un fait politique en ce qu’il concerne deux hommes politiques. Dans un contexte politique. Avec des enjeux politiques. Et le tout enveloppé dans une communication très politique. Que cette audience se soit déroulée loin des caméras des journalistes n’en fait pas un fait «naturel» ou «anodin». Les images envoyées ne sont pas que la «simple» preuve de l’existence de cette audience. Elles véhiculent un message de deux hommes qui tiennent à montrer à la face des Sénégalais que, quelle que soit leur adversité politique, ils ne doivent pas oublier que le Sénégal est au-dessus de tout. Mais avec la présence de certains de ses proches comme Soham Wardini ou encore Moussa Tine, Khalifa Sall semble vouloir éviter toute velléité de commentaire ou interprétation pouvant le discréditer. Tout acte euphorique ou sympathique pouvant alimenter une quelconque «complicité» avec son hôte de marque. C’est peut-être ce que suggère cette distanciation physique, les regards opposés, sur un seul fauteuil. «Le président de la République s’est rendu, ce dimanche après-midi, chez Khalifa Ababacar Sall pour la présentation de ses condoléances. Auparavant, c’est son épouse qui avait tenu à présenter ses condoléances à l’ancien maire de Dakar. Pour rappel, ce dernier a perdu sa maman», liton dans un communiqué envoyé par la cellule de communication de Khalifa Sall. Et cette précision que la Première Dame «avait tenu à présenter ses condoléances» est importante et suggère bien la gêne et la sensibilité de cet acte. Les détails sont importants dans cette petite histoire Ô combien politique. L’on aurait pu se dire que Marième Faye Sall a transmis les condoléances de son époux. Si le chef de l’Etat ne s’y était pas rendu, peut-être qu’on n’y verrait pas une faute… politique. Mais qu’il décide lui-même de s’y rendre appelle une lecture politique. On ne peut en déduire que c’est la paix retrouvée entre les deux hommes. Deux jours avant cette rencontre, alors que le projet de loi modifiant le code pénal et le code de procédure pénale agitait le landerneau politique, Khalifa Sall était encore sur sa ligne. «Par le prétexte du terrorisme, on veut restreindre les libertés (...). Il faut dénoncer ce projet, le combattre et le retirer», écrivait-il sur sa page Facebook. Mais les faits et gestes comptent toujours en politique. Il y a au moins une brèche ouverte. Encore que leur fameuse audience au Palais en mars 2020 sur le Covid-19 avait fait tomber un pan du mur qui les séparait. Depuis, officiellement en tout cas, Macky et Khalifa ne s’étaient ni vus ni parlé. Et pourtant, chacun a besoin de l’autre.
Interdit de dire «jamais»
Il est vrai que Khalifa Sall ne digèrera pas de sitôt son séjour carcéral que lui a valu cette affaire de caisse d’avance, qu’il impute au chef de l’Etat pour n’avoir pas répondu à ses sirènes. Il est aussi vrai qu’il ne lui pardonnerait pas facilement l’invalidation de sa candidature à la Présidentielle de 2019 qu’il lui attribue. Il est tout aussi évident qu’il n’oubliera pas sa déchéance électorale, de ses fonctions de maire et de député. Aussi difficile fut son épreuve de prison, il ne serait pas le seul à rabibocher avec son «bourreau». Idrissa Seck n’avait-il pas tenté des retrouvailles avec Wade qui l’a mis en prison pendant au moins 6 mois ? Aïda Ndiongue n’avait-elle pas accepté l’accolade de Macky Sall chez Oumou Salama Tall ? Une suite logique de son ralliement au camp présidentiel. La politique, surtout celle de chez nous, a horreur du «jamais».
Tout est question de prétexte et de contexte. Entre-temps, Khalifa Sall aura perdu de son hégémonie à Dakar puisque Ousmane Sonko a beaucoup grappillé sur son électorat. Mais a-t-il vraiment le choix ? Oui, il a le choix, comme il l’avait promis au leader de Pastef en mars dernier, de repartir à la conquête de la capitale. Et cette fois-ci à tout prix ? «Il ne faut pas répéter l’erreur de 2017 où l’opposition est partie aux Législatives en ordre dispersé et n’a récolté que peu de députés. Il faut tirer les leçons de 2017. Si nous n’avions pas commis cette erreur, nous n’en serions pas là aujourd’hui», avait admis le leader de Taxawu Senegaal devant Sonko qui le recevait au lendemain des émeutes de mars, consécutives à son arrestation. Une allusion à ses divergences avec Abdoulaye Wade sur le choix de la tête de la coalition Manko wattu senegaal. L’essentiel pour lui serait moins sa victoire ou celle de sa coalition que la défaite du pouvoir. Le problème, c’est qu’il ne peut encore être ni électeur ni éligible. Macky Sall aussi a besoin de Khalifa Sall pour davantage poursuivre la philosophie de «réduire l’opposition à sa plus simple expression». Mais surtout pour affaiblir un Sonko qui, dans ce jeu, est dans son temps fort depuis février-mars. S’ouvrir et se rapprocher de l’ancien maire de Dakar, ancien (?) maître de Dakar, ne serait pas une mauvaise chose.
En contrepartie d’une amnistie ou en tout cas d’une levée de sa déchéance électorale ? Sauf que le Président Sall serait, à partir de ce moment, obligé de faire autant pour Karim Wade. Et les cartes seraient alors redistribuées. Il est clair que le risque serait gros pour Khalifa Sall de voir ce qui lui reste de ses fidèles, comme Barthélemy Dias, de chercher une autre aventure. Dias-fils qui incarne l’aile dure de Taxawu Senegaal réfute tout malentendu avec son mentor, mais s’affiche plus aux côtés du leader de Pastef. Il a déclaré sa candidature alors que Taxawu Senegaal n’en a pas encore discuté. Et le fameux audio dans lequel Khalifa Sall rappelait à l’ordre le maire de Mermoz-Sacré Cœur, publié par L’Observateur, après son démenti, aurait pollué l’atmosphère entre les deux hommes. Ces condoléances peuvent aussi avoir un effet politique.