GARE AUX ÉCHAPPÉES SOLITAIRES
EXCLUSIF SENEPLUS - Je ne vois pas qui peut nous surclasser si nous restons unis. Ça se joue entre notre candidat, Idy et très certainement Karim et Khalifa. Sonko a pris l'option de jouer la carte du " kabilisme " - ENTRETIEN AVEC ABDOU FALL
Dans cette interview accordée À SenePlus, l’ancien ministre d’État et membre du Secrétariat national de l’APR, Abdou Fall, aborde différents aspects de la politique nationale et de la période de transition difficile vers l’élection présidentielle de 2024. Il exprime son optimisme quant à l’avenir politique du pays malgré les clivages au sein de la majorité APR. L'éditorialiste de SenePlus refuse de sous-estimer ses candidats, mais il estime que certains ont opté pour une stratégie de confrontation plutôt que de compromis, ce qui selon lui n’est pas une voie judicieuse en démocratie.
SenePlus : L'Assemblée nationale vient de statuer favorablement sur les recommandations du dialogue national, notamment les points sur la Cour de répression de l'enrichissement illicite (Crei) et sur certaines dispositions du code électoral. Par contre, la majorité a du retirer le texte sur les pouvoirs de dissolution de l'Assemblée nationale par le president de la République. Quelle lecture et quelle reaction ?
Abdou Fall : Ce projet de loi n'entrait pas dans le cadre des sujets ayant fait l’objet de discussions et de consensus lors des travaux du dialogue national. L'idée de rationalisation du calendrier électoral est pertinente à mon avis mais le préalable de la concertation entre toutes les parties dans une perspective de consensus est à mon avis important dans le contexte. Cette question peut bien être inscrite parmi les sujets du comité de suivi du dialogue.
Il est fait le constat de forts clivages au sein de la majorité suite à la décision du président Macky Sall de renoncer à sa candidature en 2024. Pouvez-vous nous donner votre analyse de la situation actuelle au sein de la majorité APR et de BBY ?
Je pense que les gens se focalisent sur les chocs inévitables des ambitions dans pareilles circonstances au point de perdre de vue les impacts à mon avis très intéressants de cette décision du président Macky Sall dans la vie démocratique du pays.
Nous vivons l’expérience de la première élection présidentielle sans candidat sortant. Vous voyez bien le désarroi de l’opposition qui perd ainsi toute possibilité de recourir à la stratégie facile du dégagisme. Pour une fois, les Sénégalais sont placés en position d’opérer un choix sur un candidat capable de convaincre et de rassurer.
Notre majorité a l'avantage d’un bilan inattaquable. Reste à trouver le meilleur profil pour être notre porte-drapeau. Il est normal dans une démocratie majeure comme la nôtre, que les ambitions s'expriment.
Je pense toutefois qu’en plus du bilan, notre offre politique mise à jour et notre capacité de rassemblement feront la différence. Les procédures de sélection sont en cours dans le parti et au sein de la majorité. Et c est là un bel exercice de démocratie interne que je salue. Je ne doute pas que l'appel à la formation d'une équipe de relève autour d'un porte drapeau soutenu par tous va en définitive prévaloir.
Il se pourrait que certains membres de l'APR prévoient de présenter leur candidature à la présidentielle indépendamment de la proposition du président Macky Sall. Pensez-vous qu’une telle éventualité pourrait être préjudiciable à votre parti dans la perspective de février 2024 ?
Comment évaluez-vous l'impact de ces divisions et conflits de leadership au sein de l'APR ? Cela pourrait-il influencer l'électorat sénégalais et l'issue de l'élection présidentielle ?
J'insiste pour marquer mon optimisme en misant sur la lucidité, le sens des responsabilités, le "patriotisme de parti " et le patriotisme tout court des candidats déclarés à la candidature dont au fond personne ne peut se prévaloir d’une légitimité particulière qui justifierait que tous doivent à priori s'aligner derrière sa personne.
Ce serait avoir une lecture tout à fait erronée du contexte et des enjeux. Le contexte, c'est que personne ne peut triompher sans le soutien de l'APR dans ses principales composantes, celui de Bennoo et du président Macky Sall qui va peser dans la campagne. Car c'est son bilan qu il va falloir défendre, consolider et approfondir.
C’est ce bloc soudé qui est la garantie du triomphe largement à la portée de notre majorité. Il n'est laissé aucune chance à des échappées solitaires heureuses.
J’ai de la peine à croire qu'un responsable digne de ce nom puisse perdre de vue la conscience de cet enjeu pour l'avenir de notre pays, dans les circonstances politiques actuelles avec les graves menaces qui ont pesé sur la République et la démocratie dans la période écoulée.
Suite à la déclaration du président Macky Sall de ne pas briguer une troisième candidature, avez-vous constaté des changements dans les rangs de l'APR ? Pouvez-vous nous fournir des informations sur les réactions et les mouvements au sein de votre formation politique ?
Les changements provoqués par cet acte sont beaucoup plus profonds que vous ne pouvez imaginer. Car l'impact est bien au delà du parti et de Bennoo. Le nouveau président élu de nos rangs aura à gérer un mode de gouvernance de type horizontal car il sera plutôt animateur d'une équipe que leader politique classique d une majorité où le chef de l'État accède au pouvoir avec le statut de chef de parti.
Je trouve particulièrement intéressant et enrichissant pour le Sénégal l'exprimentation d’un tel modèle de gouvernance concertée qui jure avec le presidentialisme d'inspiration gaulliste dont l'Afrique francophone a hérité de la 5eme République française.
Le Sénégal fera encore figure de pionnier en Afrique dans son option résolue de réussir son développement dans un régime de libertés.
Il a été rapporté qu'un des responsables a déjà reçu la bénédiction de son marabout pour déposer sa candidature. Pouvez-vous partager des détails sur cette situation et nous expliquer comment les soutiens religieux peuvent influencer les décisions politiques au Sénégal ?
Je n'ai aucun écho de cette histoire. S'agissant cependant du rôle des guides spirituels dans la vie politique du Sénégal, ceci est une vieille histoire qui traverse le processus de formation de notre nation. Nous avons la chance d'un islam confrérique à vocation spirituelle et culturelle et non un islam politique que certains tentent vainement d’introduire chez nous. Ceci est bien une opportunité qu'on n'a pas à mon avis suffisamment exploité dans la conception de nos modèles de développement. Une piste intéressante que la nouvelle équipe de relève de notre majorité doit inscrire dans notre projet pour l'émergence en 2035.
Comment envisagez-vous la résolution de ces divisions au sein de l'APR et de la coalition BBY ? Quelles sont les mesures nécessaires pour renforcer l'unité au sein du parti au pouvoir et préserver sa position pour les prochaines élections ?
C'est dans la pratique constante de la consultation, de la concertation et dans nos capacités d'innovation que toutes ces questions de notre temps trouveront les réponses adaptées. Nous avons en main tous les atouts pour y arriver.
Quelles sont les principales priorités et propositions politiques que vous et votre parti envisagez de mettre en avant lors de la prochaine campagne électorale ? Quelles sont les solutions que vous proposez pour répondre aux défis auxquels le Sénégal est confronté ?
C'est notre offre politique mise à jour et actualisée qui prendra en charge ces questions essentielles que vous soulevez. Je vous ai déjà dit qu'une des originalités de cette prochaine présidentielle, c'est qu'il n'y aura pas de candidat sortant à " dégager " comme les politiciens sénégalais aiment bien. Le programme, le profil de notre candidat avec l'équipe de relève unie derriere lui et le bloc soudé autour du sortant le président Macky Sall, seront à mon avis la réponse politique pertinente que nous allons présenter aux Sénégalais. Et je ne vois pas , en toute objectivité, qui peut surclasser notre candidat dans les circonstances actuelles du Sénégal avec toutes ces conditions réunies.
Unie et rassemblée autour de notre programme mis à jour et porté par notre candidat et par le bloc Bennoo et le président sortant, je suis convaincu que le triomphe est assuré.
Est-ce à dire que vous sous-estimez les candidats de l’opposition ?
Je ne sous estime personne ! La politique est pour moi une affaire de gentleman. Les acteurs se doivent respect, quel que soit par ailleurs le bord qu’ils choisissent. Je ne sous estime personne mais je ne prête non plus à personne une force et une représentativité qui ne correspondent pas à son poids politique réel.
Pour cette élection, nous avons en face du futur candidat de Bennoo des candidatures crédibles, mais aussi des candidatures de positionnement et des candidatures que je qualifierai de simple témoignage si toutefois ceux qui les portent arrivaient à franchir le cap du parrainage.
Pour l'instant, ça se joue principalement entre notre futur candidat, Idrissa seck et très certainement Karim Wade et Khalifa Sall. Je ne vois pas qui peut nous surclasser parmi eux si nous restons unis.
En toute vraisemblance, vous écartez la candidature d’Ousmane sonko ....
Il ne m'appartient pas de valider ou d'écarter des candidats. J’ai juste noté que monsieur Sonko a pris l'option depuis son entrée en politique de jouer à fond et de façon unilatérale la carte de ce que j'appelle le " kabilisme ", c'est-à-dire la voie de la conquête du pouvoir par le recours systématique à la stratégie du chaos. Ceci je le dis par opposition au " Wadisme" qui a été fondé depuis le départ sur l'option de la conquête pacifique du pouvoir.
La logique des rapports de force par les moyens de la rue est celle que M. Sonko et ses partisans se sont choisis. Manifestement le Sénégal et les Sénégalais ne sont pas dans cette optique.
J'espère que les leçons seront tirées pour qu'ils fassent leur auto-critique en rejoignant le camp du bloc républicain qui s'est objectivement structuré dans la dynamique du dialogue national qu'ils ont commis la grave faute politique d'avoir boudé. Ce choix de la radicalité tous azimuts contre toute forme de compromis n'est pas pour moi un choix judicieux en démocratie. Je ne dis pas autre chose.
Les penseurs politiques disent que le bon politique, c' est celui qui est à la fois sur le rapport de force et sur le compromis. Certains y ajoutent la ruse. Sauf que la ruse, ce n est jamais payant dans le long terme.
En tant que membre du Secrétariat national de l'APR, comment évaluez-vous le bilan du président Macky Sall et de son gouvernement jusqu'à présent ? Quelles réalisations considérez-vous comme les plus importantes et quels sont les domaines dans lesquels des améliorations sont encore nécessaires ?
Si je résume, le president Macky Sall a réussi sa mission à la tête du pays sur des fondamentaux du développement, en particulier l'assainissement et la relance de notre économie, la diversification de nos partenariats, la construction des bases infrastructurelles de notre développement économique et social, des réformes stratégiques dans la perspective d'une exploitation optimale des ressources naturelles du pays, notamment le petrole et le gaz, ainsi que le secteur minier, la réduction volontariste des inégalités sociales et territoriales.
Au plan politique, l'institutionnalisation du dialogue national et la gouvernance inclusive du pays avec une majorité stable marquent des avancées significatives de notre modèle démocratique.
Les grandes initiatives africaines et internationales sur les sujets d'équité en matière de développement, de justice climatique, la place de l’Afrique dans un nouvel ordre mondial à rebâtir sur des bases de justice ... Le président Sall aura marqué son époque. Et le dernier acte posé de renoncement à sa candidature lui assure une sortie par le haut qui honore le Sénégal et l'Afrique.
Il reste évidemment du chemin à faire et de grands chantiers à ouvrir.
Dans la foulée, notre nouvelle offre programatique doit prendre en charge, à mon avis, quatre grandes révolutions tranquilles à poursuivre et à approfondir : la révolution éducationnelle, la révolution énergétique, la révolution agricole et la révolution industrielle pour faire cap résolument vers l’émergence en 2035.
Pour conclure, pouvez-vous nous donner votre vision de l'avenir politique du Sénégal ? Comment espérez-vous que la période de transition et l'élection présidentielle de 2024 façonneront le pays et ses institutions ?
Au plan institutionnel, par l’acte posé le 3 juillet 2023, le president Macky Sall nous fait entrer en plein dans l'ère de la gouvernance de compromis.
Dans un contexte où l'État postcolonial est partout en peine en Afrique francophone, la possibilité nous est offerte d’innover pour fournir une nouvelle offre de gouvernance de nos institutions en rompant avec les rigidités du pouvoir vertical sans pour autant tomber dans les travers du jeu politicien paralysant.
C’est la raison pour laquelle je fonde de grands espoirs sur les organes du dialogue national pour continuer de bâtir dans la sagesse une démocratie forte, assise sur des institutions robustes et respectées au service exclusif de notre développement. Il nous faut toutefois intégrer en toutes circonstances notre communauté de destin avec nos frères de la sous région et du continent.