ICÔNE SILENCIEUSE
Au Sénégal de simples citoyens se fraient parfois une voie héroïque. Pleins de vertus, retranchés derrière le voile de l'anonymat, jusqu'au jour où un leader projette la lumière sur leurs œuvres
"Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais plutôt ce que vous, pouvez faire pour votre pays."
John F. Kennedy
En conclusion de son discours d’investiture, le 20 janvier 1961, John Fitzgerald Kennedy, qui venait d’être élu 35e président des Etats-Unis, prononce cette phrase restée dans la postérité : "Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais plutôt ce que vous, pouvez faire pour votre pays." Cette recommandation à la jeunesse américaine a été la source d'un vaste programme de bénévolat et de solidarité à travers le monde : le corps de la paix. Aujourd'hui encore, plus de cinquante ans après, ce programme est en bonne place dans la politique étrangère des États-Unis. Une preuve probante des vertus du bénévolat, administrée par le plus puissant des États de la planète, qui l'offre comme formation complémentaire à sa jeunesse, depuis des générations.
Chez nous également, de simples personnes bien inspirées, se fraient parfois une voie héroïque. De futurs héros, pleins de vertus, retranchés confortablement derrière le voile de l'anonymat, jusqu'à ce qu'un jour un leader projette la lumière sur leurs œuvres. C'est pourquoi j'ai pensé qu'après avoir relevé la magnificence de Mark Zuckerberg de Facebook dans l'un de mes récents éditoriaux sur SenePlus, je mériterais d'être traité de xénophile si je manquais l'occasion de glorifier les prouesses d'un compatriote parmi les indigents de notre société, le sieur Amadou Sy, intégré dans la fonction publique grâce à ce bénévolat qu'il a incarné pendant seize ans.
Les circonstances et le contexte dans lesquels s’est déroulée son action, donnent à sa performance une dimension qui l'élève au rang de héros, au même titre que Zuckerberg. Pourvu tout simplement qu'on puisse rendre visible ses performances. Et pour cela je félicite le président de la République pour son discernement sur ce coup, et l'invite à aller plus loin, à ne pas s'arrêter en si bon chemin. Ce garçon mérite un toit gratuit comme les top sportifs.
C'est de cette façon que l'effet d'entrainement sera actionné et la contamination positive jouer son rôle. Parce qu'il y en a d'autres comme lui qui passent inaperçus, alors qu'ils initient sans tambours ni trompettes des actes majeurs dans notre société : je pense à cette jeune femme qui avait ouvert à ses congénères l'activité de vente de journaux sur la place publique et que je vois toujours exercer ce métier au niveau de l'échangeur de Mermoz. Tout comme aussi ce personnage toujours habillé de sachets plastiques recyclés, qui arpente les rues de la capitale, afin de sensibiliser sur le péril environnemental. Ce sont là de vrais icônes.
Imaginez un peu que notre jeunesse, plutôt que de singer le "check down" et les danses obscènes nuit et jour, se mettait à rivaliser en ces vertus, quel pas de géant l'on ferait sur la voie du progrès.
Entrée dans le bénévolat
Amadou Sy, relativement jeune, est père d’une famille de cinq enfants. Il s'en sort difficilement pour assurer la dépense quotidienne, au moment où il choisit de consacrer son énergie et son temps à la solution de l'écheveau de la mobilité urbaine dans la capitale. Il ne dispose pour assurer son concours que de sa disponibilité entière et empressée, pas même d'un sifflet ni d'une tenue vestimentaire illustrant son rôle, encore moins d'une formation. Il y avait de toute évidence quelque chose à faire sur la voie publique, personne ne le faisait à certains endroits, il s'est mis à le faire les mains nues, sans attendre.
Imaginez un peu que gagné par ce virus de bénévolat, chacun de nous se mettait à ramasser tout naturellement, chaque jour, un déchet sur la voie publique pour le placer dans la poubelle la plus proche. Quel changement cela ferait par rapport à la problématique de l'insalubrité ! Car pour sûr, qui ramasse volontairement ce qu'un autre à jeté par terre, n'en jette pas lui même.
Lui, Amadou Sy, n'a pas attendu d'être automobiliste pour apporter sa contribution à la résolution de l'embrouillamini public, non plus n'a-t-il attendu d'être doté de quoi que ce soit pour agir ni songé à associer son action à un quelconque mouvement politique, dans l'espoir d'en récolter quelque position que ce soit. Toutes ces circonstances nous révèlent que son action était motivée par des préceptes moraux dignes d'être mis en exergue. Ne serait-ce que pour se débarrasser d'un vice endémique : celui de la procastination qui gangrène le travail.
Dans tous les services du pays, du bas au sommet de la hiérarchie, tous les prétextes sont bons pour l'employé salarié, de renvoyer son travail de lendemain en lendemain, sans souci des conséquences pour les administrés et pour l'économie.
Figurez-vous un peu par ailleurs, dans tous ces lieux publiques, mosquées, universités et écoles, avec leurs toilettes sales, inutilisables, défiant toutes règles d'hygiène, imaginez un instant ce que cet attribut du civisme pourrait y changer, s'il se propageait.
Seize longues années : c'est le temps écoulé avant que fort heureusement les autorités ne saisissent cette opportunité, pas si évidente, de magnifier l'action et permettre l'éclosion des vertus qui résidaient en ce personnage : la foi, l'abnégation, la persévérance. Une vraie trithérapie à servir aux transhumants politiques chroniques.
Contexte
Pour le moins que l'on puisse dire, le contexte ne se prêtait pas au bénévolat : notre culture urbaine est à un point de délabrement tel que les actes publics de bénévolat d'un infortuné, perpétués solitairement et durablement, sont assimilables à l'insanité. Le doute sur l'équilibre mental de celui qui s'y dévoue commence dans sa propre famille. Quand au surplus, la culture de la facilité et du laisser-aller a fini de décomplexer la mendicité, d'encourager l'incivisme et de banaliser la corruption, la résilience d'un homme démuni comme Amadou Sy, son courage et sa dignité, revêtent un caractère sacro-saint à exploiter à fond par l'intelligentsia. Les grandes universités occidentales n'enseignent que des théories élaborées à partir de pratiques aussi simples que celle-ci, mais dont les différents aspects moraux, fondamentaux, sont bien mis en évidence par d'éminents intellectuels.
Figurez-vous, automobilistes que nous sommes, Amadou Sy, faisant bénévolement et si bien le travail du policier ou gendarme, la leçon subtile à en tirer eu égard aux véreux parmi ces corporations, qui vous arrêtent, se mettent à se promener avec vos papiers de long en large, dans l'attente que vous leur proposiez un billet de banque. J'invite les autorités de ces corps à exploiter cet aspect de l'événement dans le cadre de séminaires de formation. Ce serait tellement plus efficace que les invitations onéreuses d'experts étrangers...
Figurez-vous encore en tant que citoyens bien éduqués tout simplement, ce que représente moralement l'action bénévole de Amadou Sy à coté de tous les représentants de corporations qui peuplent l'espace médiatique, encouragés en ce qu'ils font par les médias qui les courtisent que pour remplir leurs agendas, alors qu'avec toutes les difficultés de nos sociétés sous-développées, ces gens n'ont comme propositions, que des menaces à proférer : "si on a pas ça, on casse tout", "si le Président ne nous donne pas ça, alors on est prêt à mourir"…
Que dire, au vu de la morale d’Amadou Sy, de tous ces intellectuels, (affichant ostensiblement des "Dr.", "Pr." et "Ing." partout où leurs noms sont mentionnés) qui se disputent indignement le buzz avec le jeune Waly Seck, à travers les média. Ahh ! "The table has turn...", chantait Bob Marley.
Icône du dévouement
Puisqu'on en est aux icônes locales, je vais évoquer une personne, dont je n'aurais jamais voulu parler publiquement, mais je n'ai pas le choix. Je ne vois pas les "en haut d’en haut" pour leur souffler parfois une idée dans l'oreille et me garder d'en parler publiquement. L'icône au-dessus de tous, se trouve au cœur de l'appareil d'Etat. Je veux parler de son excellence Monsieur Bruno Diatta, que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, que je n’ai jamais rencontré de ma vie. Mais avec tout ce qui s'est passé dans cette nation, un homme qui a été à ce niveau de la hiérarchie étatique, au service de tous les présidents de la République depuis notre souveraineté et, est demeuré immaculé, chapeau !
Cet homme est exceptionnel, je ne lui connais pas de semblables. Monsieur le Président si vous, qui serez probablement le dernier président qu'il aura servi, vu son âge, vous le laissez partir à la retraite, comme tout autre individu, sans l'honorer d'une insigne consécration à vocation nationale, votre leadership en serait écorné.
Il l'a mérité bien avant votre accession à ce poste par son exemplarité, sa compétence, sa discrétion et sa loyauté indubitables et inégalés. Je parie que votre prédécesseur regrette du fond de son cœur de n'avoir inscrit cette initiative à son palmarès de leadership. Avec Bruno Diatta, que je salue au passage et lui témoigne mon admiration, le diola a définitivement pris la palme des vertus de loyauté et d'abnégation dans notre administration publique. Bruno est un exemple à servir à toute l'Afrique. Bravo nos icônes !