«IL EST TRES TOT POUR APPRECIER LA QUESTION DE LA SUPPRESSION DES VILLES»
Cissé Kane Ndao, président du parti politique Alliance Démocratique pour la République (A.D.E.R), expert en décentralisation se prononce sur l’actualité politique nationale relative au dialogue politique et au projet de suppression des villes
Cissé Kane Ndao, Président du parti politique Alliance Démocratique pour la République (A.D.E.R), expert en décentralisation se prononce sur l’actualité politique nationale relative au dialogue politique et au projet de suppression des villes.
Le Témoin : En tant que chef de parti politique, pensez-vous que le dialogue politique a répondu à vos attentes ?
Cissé Kane Ndao : Le dialogue politique est un acte républicain de haute portée citoyenne voulu par le Président de la République. La situation nationale marquée par le Covid et ses conséquences funestes commandait un sursaut national, et l’ensemble des acteurs politiques a bien saisi la gravité du moment et les enjeux liés au contexte, cause pour laquelle dans son écrasante majorité il a répondu à son invitation et y a participé de la plus belle des manières. Le Président Macky sall a appelé à une union patriotique et le dialogue politique aura été le cadre de rencontre qui a permis cette jonction des forces de tous bords pour s’unir autour de l’essentiel, ce qui aura débouché sur leur adhésion forte motivée par la prise en compte de l’intérêt supérieur de la Nation. Simplement, il convient de se rappeler que tout le monde est utile à la manœuvre, et il serait dès lors important de prêter attention à tous les acteurs politiques qui ont répondu positivement à ce dialogue. Sinon, les seuls résultats de ce dialogue risquent d’être l’émergence d’une nouvelle coalition politique plus qu’une union sacrée de toutes les forces vives pour redresser le Sénégal, alors qu’un consensus large s’est dégagé vers cet élan et chacun est prêt à jouer sa partition, à condition d’y être associé comme il se doit. Pour ce qui nous concerne, nous continuons de soutenir le Président Macky sall, et restons donc membres de la coalition présidentielle, encore plus déterminés à contribuer par notre leadership et notre expertise à la mise en œuvre de sa vision : bâtir le Sénégal de tous, pour tous.
Vous êtes expert de la décentralisation. Le mode de scrutin des maires est maintenant le suffrage universel direct. Est-ce réellement une avancée démocratique ?
Effectivement, c’est une avancée notoire car cela permet aux populations dès le début de savoir exactement qui est le candidat qu’ils vont choisir pour présider aux destinées de leurs localités respectives. Une élection a-t-on coutume de dire est un rendez-vous entre un homme et son peuple. Il est important donc que les électeurs sachent dès le moment où ils glissent leurs enveloppes dans l’urne avec qui ils signent un bail pour plusieurs années.
Croyez-vous normal qu’au Sénégal les élections locales soient toujours sujettes à des reports politiquement injustifiés ?
Notre pays a manifestement un problème de respect du calendrier républicain et cela ne date pas d’aujourd’hui. Les conséquences sont préoccupantes, car nombre d’exécutifs locaux qui ont fini leurs mandats perdurent à la tête de leurs collectivités territoriales par le pouvoir du décret présidentiel, ce qui leur ôte toute légitimité démocratique. Il s’y ajoute que certains de ces exécutifs locaux qui ont fini leurs mandats et squattent leurs postes par ce fait profitent d’une situation à laquelle certaines populations souhaitent mettre fin à la faveur des prochaines locales. Je ne dirais pas cependant que ces reports sont politiquement injustifiés, car les raisons qui président à cette situation de fait sont connues des sénégalais, parce que les autorités chargées de l’organisation de ces élections ont évoqué les causes de ces reports réguliers. C’est au peuple sénégalais de les apprécier, et d’en tirer les conséquences le moment venu.
Projet de suppression des villes : recul démocratique ou correction d’une incohérence territoriale ?
Le projet de suppression des villes est une question sur laquelle il est beaucoup trop tôt de se prononcer. Il a été évoqué par quelques acteurs du pouvoir et de l’opposition dans un contexte qui ne permet ni d’en appréhender les raisons ni de déterminer quels sont les changements que cela induira, et quelles seront les dispositions transitoires qui vont en découler. Même si l’on annonce la suppression des villes avec l’adoption prochaine par l’Assemblée nationale de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement des territoires qui consacrera la création de 10 métropoles dits d’équilibre, nous ne pouvons pas apprécier la suppression des villes que ces nouvelles dispositions vont consacrer sans en analyser les détails et les décrets d’application qui vont suivre. dès lors, il importe d’attendre que les autorités communiquent officiellement sur ce point, que l’on sache exactement quels sont les motifs à la base de l’abrogation de la loi portant création des villes. Nous aurons alors les éléments techniques d’appréciation qui pourront motiver notre position politique sur la question, et cela en connaissance de cause. Toute prise de parole supplémentaire serait ajouter à la polémique actuelle beaucoup plus de bruits encore, à un moment où le peuple sénégalais a d’autres préoccupations et que les défis de l’heure qui engagent le sort de toute la Nation commandent que nous ne nous laissions pas distraire par des polémiques qui ne figurent sur aucun agenda officiel, du moins pour le moment.
Si vous aviez à évaluer l’Acte 3 de la Décentralisation dans la gouvernance locale, quelle appréciation feriez-vous ?
La décentralisation est un processus irréversible inscrit comme principe intangible dans la constitution nationale. Elle est une vision dont la mise en œuvre requiert la maitrise d’un ensemble de facteurs comme la dynamique des territoires, leurs potentialités, leur histoire et tous les autres enjeux liés à la cohésion nationale. Elle commande aussi une réforme en profondeur de notre administration surtout celle territoriale, qui doit passer d’une administration de commandement à une administration de développement, pour, en parfaite collaboration avec les exécutifs locaux réussir à bâtir des territoires compétitifs et viables porteurs de développement durable. Tant que ces élus géreront la périphérie des compétences qui leur sont dévolues parce que l’Etat jacobin refuse de leur lâcher la bride et de respecter le principe de la libre administration qui les régissent véritablement, nous ferons du surplace. L’Acte 3 de la décentralisation est un processus inachevé, donc il ne peut ni être parfait ni atteindre les objectifs à l’origine de sa mise en œuvre en l’état actuel des choses. La fonction publique locale est toujours un chantier. Le statut de l’élu local aussi. Et que dire des pôles régionaux et des agences territoriales de développement en gestation ? A part la communalisation intégrale, il n’y a aucun chantier finalisé. A mon sens, nous gagnerions sans doute à faire revenir un ordre de collectivité locale supra, dont l’une des principales tâches sera l’aménagement du territoire, la planification du développement local, le pilotage des conventions de partenariat public réclamé par le président de la République en conseil des ministres il y a quelques années. Une loi d’orientation pour l’aménagement et le développement des territoires qui consacrera la création de 10 métropoles dits d’équilibre à Saint-Louis, Thiès, Touba, Mbour, Ziguinchor, Kaolack, Kolda, Tambacounda, Kédougou et Matam est sur la table de l’Assemblée nationale. Est-ce une avancée notoire ? L’avenir nous le dira très bientôt. Une meilleure répartition des compétences transférées serait indiquée en plus, une répartition différente de celle actuelle qui est une contrainte rendant extrêmement compliquée leur prise en charge adéquate par les collectivités territoriales, d’autant plus que leur transfert ne s’est pas accompagné de celui des ressources financières adéquates comme la loi y engage l’Etat. Les autorités viennent de finir l’évaluation de sa mise en œuvre de l’Acte 3, gageons qu’elles en tireront les leçons pour un meilleur parachèvement de la suite de sa mise en œuvre, au grand bonheur des populations.