"IL FAUT ACCÉLÉRER LA CADENCE AVEC L'ARRESTATION MASSIVE DE TOUS CES DÉLINQUANTS À COL BLANC"
Me El Hadji Diouf sur la traque des biens mal acquis
Un coup d'accélérateur doit être donné à la traque des biens mal acquis. C'est la conviction de Me El Hadji Diouf, un des avocats de l'Etat du Sénégal dans ce dossier qui vaut à Karim Wade un séjour carcéral. "Je demande une arrestation massive de tous ces délinquants à col blanc", assène le tonitruant leader du Parti des travailleurs et du peuple (Ptp), dans l'entretien qu'il nous a accordé, hier.
Que pouvez-vous nous dire sur le "Ndogu" que vous avez partagé avec le Président Macky Sall ?
J'ai un sentiment de gratitude vis-a-vis du président de la République qui est un véritable ami. C'est un Président branché et connecté, il ne doit pas décevoir. C'est pourquoi je l'encourage. Je le critique souvent, mais qui aime bien, châtie bien. J'ai été très sensible à son invitation, malgré les milliers de jaloux dans ce pays et tous ceux qui ne veulent pas que je sois à ses côtés. Depuis son accession à la magistrature suprême, il y a des gens qui travaillent à nous diviser. Le Président sait que je suis un homme de vérité, et que, si je le critique, c'est dans son intérêt. Ce n'est pas par méchanceté. Les recommandations et les remarques que je fais, c'est pour qu'il avance. Parce que son échec c'est l'échec de notre génération. Il doit réussir. Ses succès sont nos succès, ses réalisations sont nos réalisations. C'est dans la dignité et la vérité que je chemine avec le Président vers un Sénégal émergent.
Le plaidoyer que vous avez fait en faveur de la libération de Karim Wade, lors du lancement du dialogue national au Palais, a suscité moult commentaires...
Au Sénégal, les gens parlent, sans rien comprendre. A l'occasion du dialogue national, j'ai demandé au chef de l'État, gardien de la Constitution, président du Conseil supérieur de la magistrature, de grâcier son frère, Karim Wade. Cela a fait du boucan. Comme l'a dit le président de l'Union des magistrats du Sénégal, l'aspect judiciaire est terminé dans l'affaire Karim Wade. La justice a fini son travail. Parce qu'il a été définitivement condamné. Maintenant que la justice a fini son travail, maintenant que Karim Wade a purgé la moitié de sa peine, il bénéficie de toutes les conditions pour obtenir la grâce, à l'instar d'autres Sénégalais. Le Président Macky Sall en a accordé plus de 4000 depuis qu'il est au pouvoir. Moi, c'est sous cet angle-là que j'ai parlé. Sur le plan humanitaire, Karim Wade a perdu son épouse, il a de petits enfants et ses parents sont vieux. Et la grâce ne signifie pas l'amnistie. Donc, la condamnation demeure. Des gens disent : "El Hadji Diouf avait plaidé contre Karim Wade, maintenant il demande qu'il soit grâcié". Je dis que c'est faux. J'ai gagné mon procès. Le procès est terminé. Wade, c'est notre papa. Macky, Karim et moi sommes des enfants d'Abdoulaye Wade. Si Macky Sall accorde la grâce à plus de 4000 Sénégalais, pourquoi il ne le ferait pas pour son frère Karim Wade qui en a le droit ? Pourquoi des gens veulent empêcher des retrouvailles entre un père et son fils ? Ces retrouvailles n'arrangent pas tout le monde. Je conseille à Macky Sall de n'écarter personne, a fortiori sa famille d'origine. Il ne doit pas être l'otage de qui que ce soit. Il doit refuser d'être l'otage de beaucoup de groupuscules ou de partis organisés qui veulent empêcher ses retrouvailles avec son père, Abdoulaye Wade.
Mais, maître, les conditions de la libération de Karim Wade divisent la classe politique. On a comme l'impression qu'au niveau du Pds, c'est une loi d'amnistie ou rien. Vous en dites quoi ?
Le Pds ne peut pas dire ça. C'est le Président qui donne la grâce. Parce que l'amnistie, c'est la loi, ce n'est pas le Président. Il n'appartient pas au Pds de dicter à Macky Sall ce qu'il doit faire. En tout cas, moi, je m'en arrête à l'aspect humanitaire. Le Président a le pouvoir de grâcier. Ce pouvoir lui est reconnu par la Constitution. Donc, le Président peut user de son pouvoir discrétionnaire pour accorder la grâce à Karim Wade. Vous savez, en politique, il y a trop de surenchère. J'aime trop le Président Wade, je ne veux pas le voir souffrir. Moi, je ne fais pas de surenchère. Le Président n'a pas de pouvoir pour amnistier. Le pouvoir d'amnistier, c'est nous, les députés, qui avons ce pouvoir. Je ne sais pas si les députés sont prêts pour cela. Le Président n'a pas besoin d'une demande écrite par Karim Wade. J'ai entendu des confusionnistes dire que la demande doit émaner de Karim Wade. C'est faux. Le Président a accordé la grâce à plus de 4000 Sénégalais, dont certains ne savent même pas écrire. On lui fait le point, et il signe le décret. Certains font une demande, mais d'autres n'en font pas. Il a le pouvoir de grâcier qui il veut. Le pouvoir est supérieur à la demande. On peut demander sans obtenir la grâce. Le Président peut grâcier sans qu'on le lui demande. S'il dit : "Je grâcie telle personne", cette personne ne va pas passer la nuit en prison. Dire qu'il faut que Karim Wade demande impérativement, c'est faux. Moi, je crois que, pour le moment, pour des raisons humanitaires, on doit libérer Karim Wade.
La position des libéraux peut se comprendre, vu qu'ils ont déjà désigné Karim Wade comme leur candidat à la prochaine Présidentielle et qu'ils ne veulent pas que le Conseil constitutionnel rejette son dossier de candidature...
Ça, c'est un autre débat juridique qui sera tranché devant le Conseil constitutionnel. La recevabilité de la candidature de Karim Wade, c'est du ressort du Conseil constitutionnel. Je refuse de me prononcer dessus. Les gens racontent n'importe quoi. Je n'aime pas la spéculation. Je n'aime pas la masturbation intellectuelle. J'aime le concret. Les Sénégalais aiment parler de choses qu'ils ne maîtrisent pas. Qu'on laisse le soin au Conseil constitutionnel de trancher, le moment venu. De toutes les façons, Karim Wade peut bénéficier d'une grâce présidentielle. Le reste, on verra. Le Président doit exercer ses prérogatives constitutionnelles pour élargir de prison Karim Wade. Ça, c'est ma position. Maintenant, le Pds peut vouloir plus de garanties. Parce que l'amnistie efface tous les faits. J'ai entendu des gens malhonnêtes dire que Me El Hadji Diouf demande la grâce pour Karim Wade, parce qu'ils se sont rendus compte qu'ils n'avaient pas de preuves. Je n'ai jamais dit que Karim Wade n'a rien fait. Je n'ai jamais dit que nous n'avons pas de preuves contre Karim Wade, que la condamnation de Karim Wade est injuste ou erronée. J'ai dit que la procédure judiciaire est terminée, mais sur le plan humanitaire, il faut faire preuve de pardon.
Quel commentaire faites-vous de la sortie de Me Djibril War de l'Apr, selon laquelle le Président Macky Sall a été trompé dans l'affaire de la traque des biens mal acquis ?
Je ne peux pas commenter les commentaires de Djibril War que j'aime bien, qui est libre de ses idées et qu'on ne peut pas manipuler. C'est sa position que je respecte.
Êtes-vous en phase avec lui ?
Je ne peux pas dire que le Président Macky Sall a été trompé. C'est une demande du peuple sénégalais. Mais, la manière, dont s'est déroulée cette traque, laisse penser l'existence d'une tromperie. Que, quelque part, il y a eu un acharnement sur Karim Wade, alors que d'autres pourraient être poursuivis et se retrouver en prison. Si on se focalise sur Karim Wade uniquement, peut-être que c'est la position de mon ami Djibril War, parce qu'on a pas poursuivi tout le monde. On a cueilli Karim Wade, peut-être que c'était pour liquider la famille Wade, sans que le Président ne soit vigilant. Les responsables gouvernementaux, qui avaient en charge la traque des biens mal acquis, ont, peut-être, très mal dirigé la procédure et très mal managé ce dossier. Il fallait dire que tous les dignitaires de tous les régimes qui se sont succédé au Sénégal depuis l'indépendance, qui ne peuvent pas justifier les moyens dont ils disposent, seront poursuivis pour enrichissement illicite et punis. Il y a des gens qui disent que Karim Wade n'a rien détourné. Karim Wade n'est pas poursuivi pour détournement de deniers publics. On lui reproche son train de vie. L'enrichissement illicite, c'est quand on vous trouve avec des biens qui dépassent l'ensemble de vos revenus légaux. Il appartenait à Karim Wade d'apporter des réponses pour montrer comment il a acquis les biens qui sont censés lui appartenir. Malheureusement, il n'a pas répondu. Vous avez vu le procès. Il a été condamné.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que, si Macky Sall libère Karim Wade, il va signer son arrêt de mort politique ?
Ces gens-là n'ont qu'à donner des raisons. C'est des malades politiques. C'est un chantage. Ce sont les pires ennemis de Macky Sall. Pour ces gens-là, dès que Karim Wade sera libéré, leur survie politique, leur présence dans certaines sphères de l'État, leurs avantages, seront menacés par les retrouvailles entre Macky Sall et Wade. Ils menacent le Président, pour qu'il ne se retrouve plus avec Abdoulaye Wade. Parce que, pour la plupart, ce ne sont pas des libéraux, et leur retour aux affaires, ils le doivent à Macky Sall. Abdoulaye Wade les avait envoyés chez Ardo. Qu'ils laissent Macky Sall en paix. Ils ne doivent pas s'interposer entre le père et le fils. S'ils veulent le prendre en otage, Macky Sall devra prendre ses responsabilités.
La libération de Karim Wade ne va-t-elle pas sonner le glas de la traque des biens mal acquis ?
Ah non. Je ne le pense pas. Moi, Me El Hadji Diouf, avocat de l'État, je souhaite qu'on accélère la cadence dans la traque des biens mal acquis. Qu'on aille jusqu'en 1960. Il y a des milliardaires qui ont des dizaines de villas et de voitures dans ce pays. Qu'ils montrent comment ils ont fait pour se hisser à la tête d'empires financiers et matériels, qui dépassent largement l'ensemble de leurs revenus légaux. Il n'est pas normal que des Sénégalais travaillent jusqu'à leur mort, sans obtenir un seul toit. Et que d'autres, qui ont été seulement dans la politique et les affaires, se retrouvent avec des villas et des villas, des comptes bancaires bien fournis et des parcs automobiles. C'est indécent. Si Macky Sall fait preuve de faiblesse dans la conduite de la traque des biens mal acquis, gare à lui. Aucune faiblesse ne lui sera pardonnée. C'est pourquoi il faut accélérer la cadence et arrêter tous ceux qui se sont enrichis de manière illicite. J'en connais. Ils sont nombreux. Il y en a qui ont des châteaux partout et des vergers. A Dakar, à Touba, dans les villages, dans les villes. Il faut que l'État soit sérieux. Pas deux poids deux mesures. Moi, je les connais et vous les connaissez, le Président doit les connaître. J'invite solennellement le Président Macky Sall à faire preuve de fermeté et de courage dans la conduite de la traque des biens mal acquis. Que tous ceux qui se sont enrichis illicitement soient interpellés. Je demande une arrestation massive de tous ces délinquants à col blanc. Si on n'arrête pas tous ces gens-là, il y aura un sentiment d'injustice. Et Karim Wade pourrait être présenté comme un martyr. Ceux qui demandent la suppression de la Crei ont des choses à se reprocher.