INIQUITÉ MÉDIATIQUE
Je dénonce avec véhémence le parti pris des médias en faveur du "oui" au détriment du "non" pourtant porté par des Sénégalais qui croient, eux aussi, à la consolidation de notre démocratie
Le traitement médiatique déséquilibré entre le «oui» et le «non» est littéralement flagrant. Les tenants du «oui» ont eu presque unanimement pour caisse de résonance une certaine presse respectueuse, voire obséquieuse.
Rarement propagande médiatique n’a été si intense, si mensongère, si vicieuse, si partiale que pendant la campagne préparatoire au référendum sur les réformes constitutionnelles. Alors que personne ne peut nier la forte existence du «non» à côté de celle du «oui» dans l’opinion ni l’exclure, beaucoup d’émissions de radio et de télévision, de nombreux organes de la presse écrite et de la presse en ligne privilégient de manière outrancière les représentants du courant de pensée favorable au «oui».
Aujourd’hui les grands groupes de presse se sont mobilisés pour convaincre les masses qu’il n’y avait pas d’autres alternatives au «oui». Cette presse citoyenne, qui a été à l’avant-garde des batailles démocratiques depuis 1972 où paraît pour la première fois, la Lettre fermée, premier journal indépendant de l’ère post-coloniale fondée par le journaliste Abdou Rahmane Cissé en passant par les «Quatre mousquetaires» de la presse (Babacar Touré, Mamadou Oumar Ndiaye, Abdoulaye Bamba Diallo et Sidy Lamine Niasse) dans les années 80 jusqu’à la génération actuelle, est en train de perdre cette âme, c’est-à-dire son indépendance, sa dignité, qui lui ont toujours permis de garder son souffle même pendant les durs moments d’impécuniosité ou d’asphyxie financière.
Faveur au «oui»
Pendant des semaines, du matin au soir, sous une forme insidieuse ou ouvertement, des journalistes collaborationnistes de la presse écrite, presse en ligne, radio et télévision ont donné de la voix et de l’image pour le vote «oui». Cette façon de faire diabolise le «non» et ses adeptes et angélise le «oui» et ses partisans. Amath Dansokho, connu pour son catastrophisme légendaire, n’a-t-il pas qualifié les promoteurs du «non» d’être une association de malfaiteurs ? Ainsi voter pour le «non», c’est voter contre les réformes «consolidantes», jamais notées dans l’histoire constitutionnelle de pays, selon le juriste conseiller spécial du président de la République Ismaïla Madior Fall. C’est prendre parti, plonger le Sénégal dans un désastre profond, c’est exposer le pays au repoussement des investisseurs, selon le néo-transhumant Abdou Fall.
Ainsi je dénonce la dérive à laquelle l’on a assisté pendant la durée de la campagne, impuissant, avec les spots publicitaires promouvant le «oui», des interviews de complaisance maquignonnées en publi-reportages où le journaliste déroule complaisamment le tapis rouge des questions préfabriquées à son vis-à-vis, lequel ne fait que réciter parallèlement des réponses préconçues. Certains médias, au lieu de consacrer des plages d’explications sur les différents points des réformes, s’évertuent à ressasser le bilan des réalisations du président de la République, qui lui-même a oublié qu’il est en campagne référendaire et non électorale lorsqu’il somme ses «opposants» de l’interpeller sur son bilan.
Je flétris certaines émissions transformées en tribune publicitaire où se manifeste la connivence honteuse entre certains journalistes et des hommes politiques «oui-ouistes», les premier servant de faire-valoir aux seconds dans le seul but d’appeler ignominieusement au vote «oui».
Ce qui est gravissime, c’est lorsque certains journalistes manipulent l’information, se fondent dans des supputations filandreuses au point de faire dire à des guides religieux des propos qu’ils n’ont jamais tenus ou de leur faire adopter un comportement inconvenant qu’ils n’ont jamais eu à l’encontre des tenants du «non».
La coupe est pleine lorsque le correspondant à Touba d’un grand organe de presse a soutenu de façon subliminale que le sage khalife de Touba, connu pour son équidistance du monde politique, a presque éconduit la délégation du courant noniste. Au même moment, les correspondants des autres médias ont préféré s’engoncer dans l’omerta plutôt que de parler de la déferlante populaire qui a accueilli Mamadou Diop Decroix et ses partisans. Une occurrence coïncidante à Touba a permis à l’auteur de ces lignes d’être un témoin oculaire des masses populaires qui ont répondu à l’appel du «non».
Pourquoi les journalistes de la capitale du mouridisme ont occulté de relater l’accueil infernal que le khalife des Baye-Fall, Serigne Cheikh Dieumb, a réservé au président Sall ? Aujourd’hui, les journalistes tels des alchimistes ripolinent l’information, les cosmétisent pour transformer laborieusement le mensonge en vérité. Quand on prête une oreille attentive aux correspondants des organes de presse dans des régions comme Fatick et le Fouta, on se demande si réellement une velléité du «non» existe dans ces zones susnommées. La couleur partisane de certains propriétaires de médias a fini par déteindre sur le professionnalisme de certains journalistes réputés pour leur indépendance et leur impartialité. Les intérêts du pouvoir dominant sont passés par là.
CNRA et CORED impuissants
Le déroulement et le traitement univoque de la campagne pour le référendum du 20 mars sur nos antennes et nos pages de journaux a atteint le summum du déséquilibre. Au sein de la RTS autant que sur beaucoup de chaînes privées, le manque d’objectivité et le matraquage propagandiste pour le «oui» massif pour des raisons occultes soulèvent de plus en plus d’indignations et contribuent à discréditer les métiers d’information que nous servons. Le Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA) enjoint en vain quotidiennement la RTS, clone de la Télévision centrale coréenne (KCTV) dont la mission principale reste basée sur le culte de la personnalité et diffuse des images aux parfums de stalinisme et de maoïsme des années 50 ou 60, de respecter l’équilibre des deux courants du référendum.
Le Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (CORED) a rappelé (seulement) à tous les journalistes, photoreporters et techniciens de l’information et de la communication, acteurs de médias, animateurs de revue de presse, éditeurs de sites web, leur devoir de responsabilité envers le public quant au respect de la véracité et de l’équilibre des informations qu’ils véhiculent. On s’est rendu compte pendant cette campagne référendaire que les médias privés ou publics n’ont cure des oukases venant de ces deux instances qui régulent le fonctionnement de la presse.
Pour promouvoir le «oui» et faire triompher la légitimité populaire du président élu en mars 2012, l’écrasante majorité des rédactions et nombre de journalistes professionnels ont abandonné l’éthique, la déontologie et l’impartialité qui devraient être les leurs. Des commentaires guidés, des interviews factices et des pseudo-reportages transpirent toute la morgue qu’on a pour les partisans du «non». Les revues de presse sont revues et les contenus triés pour la plupart en fonction des activités des partisans du «oui». Et toutes les informations qui fâchent sont biffées. Le choix des invités se fait en fonction de la couleur du camp «oui-ouiste» et l’organisation des débats sur le référendum est biaisée. Le «oui» est aussi soutenu à grand renfort de publicités institutionnelles grassement payés, notamment sur les réseaux commerciaux d’affichage publicitaire et sur les tubes cathodiques.
L’une des dérives des médias collaborationnistes, connivents et déférents consiste à s’intéresser plus au bilan du président de la République, à sa politique sociale (bourses sociales, couverture maladie universelle, gratuité de l’hémodialyse et de la césarienne) qu’à la prépondérance des réformes. Les affiches publicitaires qui jalonnent les rues et démontrent la force financière du courant du «oui» mettent plus l’accent sur l’image présidentielle avec un rictus forcé que sur les réformes. Et toute cette contorsion propagandiste, pour faire triompher le «oui» chèrement payé.
On ne peut cependant nier à certains journalistes le droit d’être favorables pour le «oui», de l’écrire et d’en donner les motivations profondes. Mais de là à vouloir s’ériger en spin doctors qui appuient la stratégie présidentielle pour faire triompher le «oui», ils ont franchi le rubicond de l’équidistance dans le traitement médiatique du référendum. Ainsi, il nous est difficile aujourd’hui de taire notre foi et dévouement aux valeurs démocratiques et au traitement équilibré et pluriel de l’information. Le «non» qui est victime d’une discrimination, voire d’une quasi-élimination, des journalistes dans la couverture médiatique du référendum doit trouver légitimement sa place dans les médias. C’est pourquoi, je dénonce avec véhémence ce parti pris des médias en faveur du «oui» au détriment du «non» pourtant porté et colporté par des Sénégalais qui croient, eux aussi, à la consolidation de la démocratie sénégalaise.