« J’AVAIS VU VENIR CE QUI SE PASSE AUJOURD’HUI DANS LE PARTI »
En évoquant l’affaire Khalifa Sall, elle dit avoir le cœur lourd. De même, elle exprime ses regrets de voir le Parti socialiste laver son linge sale devant les tribunaux. Mais Aïssata Tall Sall, le maire socialiste de Podor confie tout de même avoir vu venir tout cela depuis le dernier Congrès où elle fut la candidate malheureuse face à Ousmane Tanor Dieng. Aïssata Tall Sall a reçu les envoyés spéciaux du « Soleil » à l’occasion de la tournée économique du chef de l’État dans le Nord du pays.
Aïssata Tall Sall, le chef de l’État a séjourné dans votre commune lors de sa tournée économique dans le Nord. Comment avez-vous vécu cette visite ?
Le président de la République nous a fait l’honneur de visiter notre commune. Il a fait deux nuits à Podor, c’est un fait exceptionnel pour être souligné. Pour autant que je me souvienne, je ne connais pas une situation du genre ou un chef d’État est venu à Podor y rester deux nuits, c'est-à-dire trois jours dans le souci de comprendre non seulement les difficultés de nos populations, mais une fois qu’il les a comprises, de leur trouver des solutions. C’est pour cela que sur le plan formel, nous sommes honorés que Podor ait été choisi. Il a décidé qu’il ferait le désenclavement total de l’Ile à Morphil par le tracé d’une route qu’on appelle la dorsale qui va traverser de façon verticale toute l’Ile à Morphil qui partira de Diatar, un village non loin de Podor, jusqu’à Saldé presque en sortant du département. Je crois que c’est un investissement colossal qui nécessite d’abord la mobilisation de beaucoup de moyens financiers. C’est aussi un investissement humain qui fera que, désormais, l’Ile à Morphil soit connectée au reste du continent. Si le président Macky Sall réussit ce projet là, les populations de l’Ile à Morphil lui en sauront gré.
Cette tournée est une tournée économique, mais beaucoup parlent d’une tournée politique, quelle est votre perception par rapport à cela ?
En tout cas, pour le respect que j’ai pour le président de la République, pour ce qu’il incarne, s’il me dit qu’il est en tournée économique, je ne considère que cet aspect des choses. Parce que d’abord nous ne sommes pas dans le temps de la campagne électorale et dans le temps de la politique. Je pense que s’il y a un qui doit imprimer une démarche administrative, républicaine et économique à ce qu’il fait, c’est bien lui, le premier magistrat de ce pays. Je le rejoins donc sur cela, c’est une tournée économique. Et nous avons mis de côtés nos appartenances politiques respectives pour le recevoir en tant que chef de l’État sénégalais, garant du respect de nos libertés.
En tant que maire de Podor, comment percevez-vous l’Acte 3 de la décentralisation qui est une réforme majeure du président Macky Sall ?
Je disais un jour, à l’occasion d’un séminaire de sensibilisation des élus, sur de l’Acte 3, que cette réforme s’adressait à des acteurs audacieux. Quand on n’est pas un maire audacieux, l’Acte 3 ne vous servira pas à grand-chose. C’est comme si vous restiez dans l’Acte 2 ou même l’Acte 1. Et le président Abdou Diouf nous disait que la décentralisation était la révolution silencieuse du Sénégal. Personnellement, j’ai été ministre avant d’être maire ou député. Il y a des décisions que j’avais prises étant ministre, aujourd’hui que j’ai été maire je comprends que je ne devais jamais les prendre comme cela. Parce que j’ai compris le sens de la décision participative. J’ai compris ce que c’est le sens de discuter avec les populations. J’ai compris ce que c’est le sens de les persuader avant de prendre la décision. Les gens pensent qu’avec le fait majoritaire, on prend les décisions, et on les fait passer. On a beau avoir le fait majoritaire, si on n’a pas la conviction et la persuasion des populations que le fait est un fait juste, la majorité ne servira à rien. Souvenez-vous des évènements de Fanaye. Il y a avait pourtant une majorité qui avait délibéré et qui avait voté, mais cela avait fini par des coups de feu. Je crois que cet Acte 3 qui nous donne suffisamment d’indépendance d’appropriation et de gestion de nos biens propres doit nous amener à avoir un regard de démocratie participative et d’ancrer cette démocratie dans nos localités, en consultant les femmes, les notables, les jeunes, les acteurs de développement. Voilà qu’elle doit être la démarche des maires de l’Acte 3. Maintenant, l’Acte 3 parle de la territorialisation des politiques publiques. Cela veut dire que chaque commune doit faire avec ses ressources propres. Si la ressource propre que je dois avoir à Podor, c’est l’agriculture (bien que l’agriculture ne soit encore une compétence transférée), mais dans le cadre de l’Acte 3, le maire doit être étroitement associé au développement agricole du périmètre de Podor. C’est la raison pour laquelle, l’Acte 3 est là certes, depuis 2012, il faut maintenant que nous progressions. Parce que la finalité de cette réforme, c’est de créer les pôles territoriaux de développement. C’est le cœur même de la réforme. La départementalisation nous permet beaucoup plus de gestion de proximité et nous rapproche en tant que département. Seulement, il faut que nous allions plus loin, parce qu’avec ces pôles territoriaux de développement, nous pouvons avoir la masse critique qu’il faut en hommes, en infrastructures, en potentialités économiques pour avoir de véritables territoires.
Et comment cette réforme se traduit-elle ici dans votre commune. Cela vous a-t-il permis d’être beaucoup plus autonome et d’avoir plus de ressources ?
Pour nous, en tant que commune, cela n’aura pas changé beaucoup de choses. Parce que Podor est commune depuis 1951. On n’était pas encore indépendant. Podor était alors érigé en commune mixte et quand nous avons eu l’indépendance en 1960, Podor a été érigé commune de plein exercice. Ceux pour lesquels l’acte 3 a eu le plus d’impact immédiat, ce sont les communautés rurales qui ont basculé automatiquement sous le régime de commune. Et de ce fait, elles ont eu beaucoup plus de liberté quant à la perception des taxes, quant à la gestion de leurs biens financiers. Mais pour nous, cela n’a pas trop changé. Toutefois, l’Acte 3 doit nous permettre, en concertation avec les autorités nationales, pour ce qui est de la gestion de notre patrimoine foncier et d’avoir une autonomie de gestion sur ces chapitres. Et nous avons déjà pris les devants, car avec le Mca, Podor dispose d’un livre foncier rural. Chacun sait, ici à Podor, où il commence son champ, où il finit. Chaque propriété a été encadrée à la suite de beaucoup de discussions, pour au moins, lorsque des investissements lourds vont arriver, que nous puissions éviter ce temps long, difficile et conflictuel où commence mon champ, où finit celui de mon voisin.
Mais est-ce que votre budget a connu une certaine hausse depuis lors ?
Notre budget est allé crescendo. J’étais maire en 2009. J’avais trouvé ici un budget de 99 millions de FCfa, aujourd’hui, nous sommes à près de 500 millions de FCfa de budget. Et en le faisant, nous avons fait avec les potentialités de Podor. Nous n’avons pas fait un budget pour le plaisir, encore que le budget ne triche pas. Vous êtes libre d’imaginer 1 milliard de francs, mais si à la fin vous ne l’avez pas, c’est votre compte administratif qui vous fera mentir. Vous verrez tout de suite pourquoi vous avez prévu 1 milliard et pourquoi vous ne l’avez pas atteint. Nous faisons donc avec les potentialités de Podor. La première chose que nous avons faite en venant, c’est de demander quels sont ceux-là qui sont redevables de Podor et qui ne paient pas. Je donne deux exemples. Nous avions des cantines qui ont été édifiées depuis longtemps, nous avions trouvé des loyers dérisoires de l’ordre de 2000 et de 3.000, aujourd’hui, certains sont à 18.000 FCfa, d’autres moins et d’autres nous les avons augmentés, parce que nous ne pouvions pas avoir un loyer qui est figé depuis 1978. Mais il a fallu discuter avec les personnes concernées, parce que nous avons une démarche participative. Ils ont compris et en contrepartie, ils ont demandé des réalisations que nous avons faites. Nous avons aussi recensé les occupants du domaine public (Odp) qui s’installent un peu partout. Cela nous a pris deux ans et chaque occupant, aujourd’hui, paie une taxe qui revient à la commune. Même les motos « Jakarta » doivent payer une taxe, parce que c’est cela l’Acte 3. Parce que le gouvernement nous dit d’aller trouver l’argent là où l'on peut le faire pour réaliser l’ambition que nous avons pour notre ville. Tout cela demande un exercice d’équilibriste entre la bonne compréhension des populations et le fait de faire fonctionner son budget parce que les recettes sont attendues pour le budget.
Vous êtes avocate de renom et vous voyagez beaucoup, comment faites-vous pour faire profiter Podor de votre nom ?
Quand je suis arrivée ici à Podor, j’ai trouvé qu’on avait qu’un seul partenaire, la ville de Cézanne. Aujourd’hui, nous avons la ville de Cholé comme partenaire, nous avons même une ville chinoise à côté de Beijing sur le port, parce que nous voulons aller dans la diversification. Mais ce que nous voulons éviter, c’est de nous jumeler à des villes pour des raisons folkloriques. Que pendant l’hiver que nos partenaires viennent ici, qu’on les habille avec des kaftan et qu’on leur mette des « tengadé » sur la tête, qu’ils profitent du soleil et, après tout cela retombe en folklore. Entre nous et Cézanne par exemple, nous avons mis une association qui est l’interface et c’est l’association qui fait beaucoup de choses que la commune de Cézanne ne peut pas faire pour Podor. Nous avons ici une bibliothèque municipale que Cézanne a totalement équipée en ordinateurs, en livres. Parce que nous pensons que la matière première des Podorois doit être l’acquisition du savoir et des connaissances. Nous avons avec cette même ville beaucoup d’équipements sur le plan sanitaire, des lits d’hospitalisation, des appareils pour le médecin et beaucoup d’autres choses. Avec Cholé, nous sommes en train de négocier pour reprendre tout l’assainissement de la ville.
Un de vos collègues maire de Dakar, en l’occurrence Khalifa Sall, est en maille à pâtir avec la justice à cause de sa gestion de la caisse d’avance, comment vous vivez cette actualité ?
On m’a entendu quand j’étais à la Dic. C’est avec beaucoup de peine que je parle de cette affaire. Parce que je connais Khalifa Sall, je connais sa rigueur. Je connais l’homme qu’il est et qui s’est frotté d’expériences avec l’administration publique. Il a été ministre plusieurs fois, député plusieurs fois et maire plusieurs fois. Il connaît l’État. Quand on a été maire au service de ses administrés, quand on a été député, représentant la nation et son peuple. Quand on a été ministre au cœur de la République, on a fini de comprendre l’État dans ses variantes et ses démembrements. C’est vraiment le cœur lourd que j’apprends tout ce qui se passe. Moi je suis une professionnelle de la justice, c’est pourquoi je ne parle que de ce que je sais, mais je suis peinée par la situation.
Pour vous, cette situation ne devait pas aboutir chez le juge d’instruction ?
Je crois qu’on aurait pu éviter beaucoup de choses dans cette affaire. Khalifa Sall n’est pas un petit maire de quartier quoi qu'il n’y a pas de petit maire. Khalifa Sall, c’est le maire de la capitale. Je pense que tout cela pourrait prendre une autre tournure, pas qu’on négocie ou qu’on complote sur le dos des populations, mais lui laisser le temps de s’expliquer, de se justifier et de dire de quoi cela retourne. Ce n’est pas un système que Khalifa Sall a mis en place. C’est pas un système qu’il a inventé pour lui-même. Je pense que tout cela devait être pris en considération dans le regard qu’on est en train de porter sur cette affaire. Maintenant, vous avez raison, il y a la justice, il y a la morale. La justice est le fait de l’homme, la morale, c’est le fait de l’homme et nous sommes tous des humains.