« KHALIFA SALL A RÉUSSI À DÉCRÉDIBILISER LES TROIS POUVOIRS JUDICIAIRE, EXECUTIF ET LEGISLATIF REUNIS… »
Me Cheikh Koureyssi BA, membre du collectif de défense du maire de Dakar - ENTRETIEN
Célèbre avocat à la cour où il fait partie des doyens du barreau de Dakar, Me Cheikh Koureyssi Ba fait partie du collectif des défenseurs de Khalifa Sall. Frustré par la décision de la Cour d’appel et dépité par la révocation de son client de la maire de Dakar, Me Ba semble pourtant multiplier ces deux « revers » par zéro et plaide sa colère.
Le Témoin : Maître, comment jugez-vous la révocation de votre client Khalifa Sall de la tête de mairie de Dakar ?
Cheikh Kouressy Ba : Ce décret présidentieldu31aoûtenvoyantlemaireKhalifa Sall à Limoges ne me fait personnellement ni chaud ni froid. Et ma tentation est grande de réagir comme les gendarmes et policiers devant les attroupements en disant :circulez, il n’y a rien à voir. Je serais tenté d’ajouter qu’avec cette histoire de décret, il n’y a rien de nouveau sous les tropiques. Pour cela, je multiplie ce décret qui cherche à nous divertir par zéro ! L’année dernière, à pareille époque, il s’était passé une chose beaucoup plus grave, avec l’expulsion du jeune activiste panafricaniste franco-béninois Stello Robert Capo Chichi dit Kémi Seba que j’avais eu l’honneur, en compagnie de brillants jeunes confrères, de défendre et de faire relaxer après son arrestation pour avoir mis le feu à un billet de 5000 francs Cfa. Personne n’a oublié que cette expulsion avait été ordonnée le 05 septembre 2017 après que le premier ministre avait rendu sa démission et que le Sénégal attendait sa reconduction ou son probable remplacement pour la formation d’un autre gouvernement. C’est donc en parfaite connaissance de cause qu’un ministre, se sachant redevenu simple citoyen, a eu le toupet de prendre un arrêté d’expulsion du territoire sénégalais à l’encontre d’un étranger. Et ce, en toute illégalité puisque l’arrêté fantôme de ce ministre virtuel ordonnait l’effet exécutoire de la mesure avec reconduite immédiate à la frontière, c’est-à-dire l’embarquement par la force dans le vol Corsair en partance pour paris. plus grave, un communiqué sera publié le surlendemain alors que le nouveau premier ministre n’était toujours pas connu, un communiqué signé gouvernement du Sénégal pour servir à l’opinion d’incroyables inepties sur le bien-fondé de la mesure. Cette expulsion Seba sait sur un vieil arrêté du siècle et du millénaire passés organisant les pouvoirs du ministre de l’intérieur alors que la toute récente loi organique n° 2017-09du17 Janvier2017 sur la Cour suprême avait pris le soin d’encadrer la question avec des dispositions pertinentes que nulle autorité ne saurait ignorer encore moins violer, notamment dans son article 74 régissant la question.
Mais cette petite histoire n’a rien à avoir avec l’affaire Khalifa Sall…
(Mon interlocuteur me coupe). Laissez-moi terminer et camper le débat afin de mieux répondre à votre question ! Pour revenir à l’affaire Kémi Seba, dans son alinéa premier cet article 74 rappelle en effet que le délai de recours contre une décision administrative est de deux mois, ce délai courant à compter de la publication ou de la notification ou encore de la signification de la décision attaquée. L’alinéa 2 ajoutant que le délai de recours et le recours sont suspensifs en cas, entre autres, d’expulsion d’étranger. Ce qui veut dire que même si l’étranger en question croisait les bras et ne faisait rien, il fallait attendre l’expiration de ce délai de deux mois pour l’expulser. Le législateur a en plus ajouté qu’en matière d’expulsion ou d’extradition, si l’étranger est retenu par l’autorité administrative, il appartient à celle-ci de faire parvenir la requête à la Cour suprême, laquelle statue dans les huit jours à compter de l’enregistrement de cette requête en présence de l’intéressé sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne se présente pas. Vous voyez ! Avec la révocation du député maire de Dakar, la seule différence, et de taille, est que c’est le président de la République qui entre en lice cette fois-ci, manifestement poussé dans le dos par des gens que l’on ne pourrait pas ne pas suspecter de ne lui vouloir que du bien. Ou décidés à le persuader qu’il est temps pour lui, après sa danse du scalp, de descendre dans l’arène puisque c’est tout de même son combat à lui leur champion qui commence. Khalifa Sall, sans aucun effort particulier de sa part, sans même poser un seul acte positif, peut légitimement se réjouir d’avoir réussi à décrédibiliser pour de bon et à jamais les trois pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif coalisés au-delà de toute lucidité dans cette entreprise de liquidation d’un homme seul et d’un seul homme. avant le président himself, il a fait descendre de leur piédestal, et avec des fortunes diverses, tout ce que la justice, le gouvernement et le parlement comptent de gros pontes que les salles d’audience, les plateaux télé avaient perdu l’habitude de voir, les chefs du siège et du ministère public, les ministres de la Justice successifs, les experts en carton, les juristes du diable, les griots de service, les dames de compagnie, les apprentis-bourreaux, j’en oublie et ce n’est pas encore fini puisque la scène finale du casting du film d’horreur attend d’être tournée à la Cour suprême avec l’entrée en lice des derniers gladiateurs.
Votre argument sur fond de fiction semble démontrer que ce décret révoquant Khalifa Sall n’a aucun sens ?
Heureusement que vous m’avez bien compris! en tout état de cause, ce décret totalement surréaliste et hors-sujet, de même que l’affligeant texte de présentation qui l’accompagne, ne méritent aucun commentaire pour le moment. a part un mot de tristesse : à quel point notre pays est tombé bas pour faire mettre à exécution par le premier citoyen de la République une décision qui n’est pas encore exécutoire, par ce que ne comportant même pas de numéro, et non encore frappée de recours si l’on considère que, jusque dans les déserts juridiques les plus arides, on reconnait à tous et à chacun le droit de se pourvoir devant la juridiction supérieure en appel ou en cassation, violant ainsi de la manière la plus intolérable le sacro-saint principe de la présomption d’innocence. Pourquoi « ils » nous font ça ? Bref, ce que le conseil de défense de M. Khalifa Sall pense de cette situation sera décliné en temps opportun. nous ne sommes plus dans le temps du débat stérile sur le sexe des anges, dans des joutes oratoires autour des notions basiques du droit élémentaire. Le moment est d’une trop grande importance puisque ce sont les fondamentaux qui sont en jeu, notamment les enjeux autour de la primauté de la règle de droit dans notre société, la fluidité des relations hiérarchiques et fonctionnelles entre les acteurs de la justice, les entités corporatistes existantes ou en gestation qui vont peser sur l’évolution des choses, les conséquences directes pour notre pays appelé de plus en plus à subir des intrusions d’instances judiciaires internationales avec tout ce que cela comporte comme atteintes directes à la souveraineté et à la fierté nationales, etc. Le Sénégal naguère fier de sa vocation pionnière en Afrique en matière de liberté, de justice, de démocratie, de respect des droits de l’homme et des droits fondamentaux de la personne humaine, marche désormais sur des œufs. Et je suis placé pour le dire puisque je fus l’un des avocats de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo. Il faut sauver ce pays, le restaurer, le remettre sur pied :là est le chantier urgent.
Certains observateurs disent que votre recours en cassation n’est que du dilatoire car l’on voit mal une autre juridiction casser la décision du président de la cour d’appel de Dakar, Demba Kandji. n’est-ce pas ?
Ah bon, du dilatoire ? Billahi, l’affaire Khalifa Sall est loin de livrer son verdict ! Et dans cette affaire, le Ministère public a fini de convaincre les plus sceptiques de son caractère éminemment politicien. a tous points de vue, c’est l’histoire de la saga d’un président sortant qui ne veut pas sortir devant un président entrant qui ne pourra pas entrer. Du moins c’est en trame le story telling simpliste, caricatural de ce vaudeville judiciaire qui est loin de livrer son verdict. Je le répète ! Dans ces conditions, la défense de Khalifa Sall est bien placée pour savoir ce qu’elle a à faire. Khalifa Sall est candidat. Cela au moins est clair, aussi limpide que cette autre évidence : nous, ses avocats, et lui même ne nous faisons aucune illusion sur la Cour suprême par rapport à nos procédures encours et futures. Mais il est utile et pédagogique, à ce niveau, de rappeler que notre objectif ultime n’est pas de gagner des procès dont l’issue est connue d’avance. L’objectif est de faire de ces procès des preuves tangibles de l’auto-discrédit du système et de conforter la position de Khalifa Sall dans l’opinion, non plus seulement nationale mais mondiale, comme c’est le cas maintenant. nous sommes dans un procès politique, plus n’est besoin de le démontrer. Dans un procès politique, il est préférable de gagner la guerre de l’opinion que de perdre la bataille judiciaire devant les juridictions à plat-ventre.
Pensez-vous toujours que le combat juridique peut sortir votre client de Rebeuss et valider sa candidature ?
Donc, on revient à notre présupposé de départ. M. Khalifa Sall, au moment où nous parlons, a annoncé son intention de briguer la magistrature suprême. C’est tout ce qui nous importe pour le moment, nous ses avocats. il réunit, avec beaucoup d’autres citoyens, les conditions pour postuler et donc être sur la ligne de départ, c’est ce qui importe. Qui sera dans les starting blocks le moment fatidique ? Qui sera l’élu ? Vous savez, la vie n’est pas longue, elle n’a que trois jours : hier, aujourd’hui et demain. Hier c’est une histoire passée. Aujourd’hui, c’est un cadeau qu’Allah nous offre. Demain, c’est un mystère qu’Allah seul connait. Confions-nous par conséquent à Lui durant toute notre vie et il agira. Je vous remercie.