LA CLASSE POLITIQUE, À LA BARRE
Véritable épine au pied de la démocratie sénégalaise, la pléthore des partis a fini de gangréner le jeu politique, pour ne pas dire électoral
Véritable épine au pied de la démocratie sénégalaise, la pléthore des partis a fini de gangréner le jeu politique, pour ne pas dire électoral, au point d’exaspérer le moindre observateur de la scène politique. Près de 300 formations politiques pour moins de 15 millions d’habitants, la plupart en total déphasage avec la loi du 06 mai 1981 relative aux partis politiques modifiée par la loi 89-36 du 12 octobre 1989 et prenant pratiquement en otage les différents scrutins électoraux organisés au Sénégal. Locales de 2014 (confusion des électeurs avec la foultitude des bulletins de vote), Législatives de 2017 avec leurs 27 listes, présidentielle de 2019 avec la problématique du parrainage qui entend restreindre les candidatures «fantaisistes» et leur dérive, le trop- plein de postulants à la magistrature suprême. Sud Quotidien revisite cette équation des partis au Sénégal qui ne cessent d’exploser, car véritables fonds de commerce d’acteurs politiques décidés de prendre part au …partage du gâteau, devant la passivité de la loi.
Du multipartisme encadré au multipartisme intégral, pour aboutir au multipartisme anarchique ou décousu, la classe politique sénégalaise a tôt fait de franchir le Rubicon, en moins de trois décennies. Dans les années 70, subodorant sans nul doute le danger de la pléthore de partis, le président Senghor avait limité les courants de partis. La vie politique se partageait de fait entre moins de quatre formations politiques et leaders reconnus dans le champ politique dont Senghor, Me Wade. L’arrivée du président Diouf en 1981 a ouvert, pour ainsi dire, les vannes avec le multipartisme intégral (voir par ailleurs).
De fil en aiguille, au fil des alternances politiques, l’espace politique se délite au profit d’une pléthore des partis dits « télé centres ». Dénichant leur pain béni dans cet espace politique, de véritables affairistes font de la création du parti un fonds de commerce ou un véritable tremplin vers… le partage du gâteau présidentiel. N’ayant ni sièges, ni bureaux, ni patrimoine permettant la tenue de réunions régulières, ces formations émergent en masse et la barre des 299 partis dénombrés dernièrement par le ministère de l’intérieur est vite dépassée par la classe politique. Pis, presque tous ces partis ne participent jamais pas aux scrutins, sur leur propre bannière. Les élections sont l’occasion de s’organiser en coalitions et de marchander leur jonction, en fonction de leurs intérêts du moment. Souvent de se faire phagocyter ou de s’allier avec le parti au pouvoir afin de bénéficier de ses grâces.
Suffisant pour qualifier par le bas le rapport de l’acteur politique sénégalais au pouvoir ! Les différents régimes qui se sont succédé à la magistrature suprême, ne jouant nullement le jeu de la législation qui existe portant pour régenter les partis politiques, l’on assiste à une pratique en totale contradictoire avec les valeurs et ayant pour dénomination transhumance. Du matin au soir, les acteurs politiques vagabondent d’un parti à un parti, créent des formations politiques pour leur dissoudre dans d’autres, avec cliques et claques. Au gré des humeurs et sous la bénédiction du pouvoir en place !
Au fil du compte, la nécessité de rationaliser les partis politiques a fini par s’imposer à toute la classe politique, quoique rien de structurant n’ait été fait pour y arriver. Etant entendu que la loi sur les partis politiques dort toujours dans les tiroirs du ministère de l’Intérieur, ce qui fausse du coup toute dynamique de financement public des partis politiques au Sénégal.
UNE LOI SUR LES PARTIS QUI SE CHERCHE ENCORE
Le législateur n’est cependant pas resté muet sur cette question des formations politiques. La loi sur les partis politiques au Sénégal date de 1981. En effet, en dehors des directives de l’Union monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui sont applicables au Sénégal, les dispositions des articles 2 à 5 de la loi du 06 mai 1981 modifiée par la loi du 12 octobre 1989 réglementent la vie des partis politiques dans notre pays. Il ressort des dispositions de ces articles précités qu’il est fait obligation à chaque parti politique, outre les formalités relatives au fonctionnement des associations, prévues par le Code des obligations civiles et commerciales, «de déclarer sans délai toute modification apportée à ses statuts, et au plus tard dans les huit jours qui suivent la date anniversaire du récépissé de ses statuts, les prénoms, noms, profession et domiciles de ceux qui, à titre quelconque, sont chargés de son administration». Et en rapport au financement des partis, la loi 81-17 du 06 mai 1981 relative aux partis politiques modifiée par la loi 89-36 du 12 octobre 1989 dispose clairement que ces derniers sont tenus «de déposer chaque année, au plus tard le 31 janvier, le compte financier de l’exercice écoulé. Ce compte doit faire apparaître que le parti politique ne bénéficie d’autres ressources que celles provenant des cotisations, dons et legs des adhérents et sympathisants nationaux et des bénéfices réalisés à l’occasion de manifestations… ». Mais de l’existence de la loi à son application, il y a un gouffre qui vaut à la démocratie sénégalaise bien des déboires : pléthore de partis, pléthore de listes de candidats aux Législatives comme aux Locales, éventuellement pléthore de candidats à la présidentielle. A moins qu’un parrainage consensuel ne vienne en limiter les contrecoups.