LA FAIM POUR REVENDIQUER DROITS ET LIBERTÉS
EXCLUSIF SENEPLUS - Sonko empêché d’accéder aux repas domestiques venant de son foyer. Il n’a jamais été dans une logique suicidaire. L’aliénation culturelle restera l’ennemi à abattre pour des générations à venir - ENTRETIEN AVEC JACQUES HABIB SY
Jacques Habib Sy, Conseiller du Cabinet d’Ousmane Sonko du parti Pastef-Les Patriotes, évoque l’état de santé préoccupant de l’opposant suite à sa grève de la faim, ainsi que des motivations de cette action.
L’ancien patron de Transparency international met en lumière les multiples pressions subies par Sonko, y compris des attaques politiques et judiciaires, et souligne les enjeux liés à sa détention.
Il aborde les conséquences de cette situation sur la dynamique politique au Sénégal, l’importance de la démocratie et le rôle du mouvement Pastef dans ce contexte. Enfin, il affirme que malgré les défis, le Pastef reste résolu à la victoire d’Ousmane Sonko à l’élection présidentielle de février 2024.
SenePlus : Quel est l'état de santé actuel d'Ousmane Sonko suite à sa grève de la faim ? Y a-t-il des complications que le public devrait connaître ?
Jacques Habib Sy : Malgré l’héroïsme exceptionnel dont est empreinte la résistance menée par Ousmane Sonko depuis 20 jours, on peut tenir que son pronostic vital bien qu’encore non engagé à ma connaissance au moment où je vous parle (i.e., 17 août, 15 :38, heure de Dakar), reste préoccupant.
La cote d’alerte reste inquiétante si l’on considère que le maintien en l’état des fonctions vitales d’un individu soumis à une diète totale pendant une longue période, peut évoluer dans les marges de l’aléatoire et d’un ensemble de pathologies difficiles à cerner en période de stress aigu.
Je me vois donc objectivement obligé de reconnaître la gravité de la situation d’incarcération non seulement brutale et arbitraire mais aussi inhumaine dans laquelle le président Macky Sall a décidé de maintenir Ousmane Sonko. Ce constat a déjà été fait par son équipe d’émérite avocats. Je voudrais y ajouter que cette situation pourrait s’apparenter, si l’on n’y prend garde, à une entreprise acharnée d’affaiblissement de l’opposant principal au régime finissant de Macky Sall.
C’est en cela que la détention du président Ousmane Sonko relève fondamentalement de ses droits humains et de l’humanisme qui doit caractériser toute décision de justice de l’État de droit.
Je mets donc en garde le président Macky Sall et sa garde ministérielle et judiciaire rapprochée contre les risques réels d’instabilité et de vulnérabilité qu’entrainerait une dégradation de la situation actuelle.
Peut-on connaître les raisons profondes qui ont poussé Ousmane Sonko à entamer cette grève de la faim et quelle est la finalité espérée ?
En un mot, il y a eu une chaine de décisions arbitraires, de harcèlements politiques et judiciaires, une sorte de monstre de Lockness par laquelle Ousmane Sonko a été empêché d’exercer ses droits constitutionnels les plus élémentaires de réunion, de mobilisation légale de fonds politiques, de manifestations publiques, de fonctionnement de son parti et même de la coalition à laquelle il appartient et qu’il a animé avec brio, etc. On a concocté une vulgaire histoire de mœurs qui a entrainé l’assassinat, par balles, de plus de 60 victimes, toutes à la fleur de l’âge. On a même tenté d’attenter à sa vie par deux fois au moins en usant de méthodes extrêmement musclées pour l’amener de force au tribunal par un itinéraire imposé, et, une autre fois, en cassant les vitres de son véhicule pour l’en extirper de force et le maintenir en résidence surveillée selon un régime d’isolement complet pendant plus de deux mois. C’est donc dire qu’il a même été parfois poussé dans les cordes (à travers les attaques sournoises contre sa famille, ses enfants, sa propre mère et ses gardes du corps). Malgré la multiplicité de ces attaques, Ousmane Sonko a fait preuve d’une résilience admirable tant est grande son intelligence politique. C’est cette aura qui caractérise sa témérité et son courage politiques qui font qu’il est le symbole vivant, presque mythique, d’une guérilla « antisystème » en laquelle les jeunes se sont reconnus dès ses premières sorties de terrain. C’est une espérance sans bornes, presque phénoménale, protégée par des millions de supporters et de militants de Pastef-Les Patriotes, qu’il a su protéger et démultiplier. C’est cette menace qu’il symbolise qui a fait trembler ses adversaires politiques qui se sont transformés progressivement en ennemis implacables.
Lorsqu’Ousmane Sonko a été arrêté le 28 juillet dernier, il observait sa diète habituelle mais au moment de couper le jeûne, on ne lui aurait pas permis d’accéder aux repas domestiques venant de son foyer familial si bien qu’il a été contraint de ne plus se nourrir pour protéger son intégrité physique et anatomique. Il y a eu plusieurs prisonniers politiques qui ont eu recours à la grève de la faim pour faire valoir leurs droits une fois incarcérés mais on a toujours fini par respecter leurs vœux de n’être nourris que par les leurs. Le cas d’Ousmane Sonko a été l’exception et a conduit à la situation dramatique qui lui est imposée, répétons-le. De plus, n’oublions pas que 1 062 prisonniers « politiques » (c’est-à-dire incarcérés à un titre ou un autre dans le cadre de motifs liés à des évènements politiques), la plupart des membres ou sympathisants de Pastef, sont encore dans les liens de la détention sans jugement pour la plupart et ont décidé, pour certains, pour protester contre leur emprisonnement massif d’observer une grève de la faim selon des modalités différenciées.
Ousmane Sonko n’est donc pas et n’a jamais été dans une logique suicidaire pour ce qui concerne la grève de la faim. Bien au contraire. Il a été entrainé à son corps défendant dans une spirale de violence instruite par le président Macky Sall, ses ministres de souveraineté et ses obligés.
La finalité de la position de principe défendue par Ousmane Sonko est d’aboutir à sa libération et celle de tous les détenus arbitraires, de faire observer la tenue d’élections libres, inclusives et transparentes et de veiller à la rectitude morale et politique de l’État issu de la présidentielle de 2024.
Il semble y avoir une confusion au niveau de la communication autour de cette grève de la faim. Certains dans son entourage, notamment au niveau familial, laissent croire qu’il s’agit juste d’un rejet de la nourriture qui lui est proposée par l’administration pénitentiaire, tandis que d’autres parlent de « diète ». Comment expliquer cette cacophonie sur une question aussi sérieuse ?
La cacophonie, si on peut la caractériser comme telle, vient du traitement réservé par une partie de la presse aux informations venant du cercle restreint de tous ceux qui, à un titre ou un autre, ont gravité autour de l’entourage de Sonko. Les éclaircissements que je vous ai apportés en toute bonne foi sont ceux dont je dispose à ce jour. Il n’y a donc aucune velléité d’induire qui que ce soit en erreur. Le président Ousmane Sonko s’y serait de toute façon opposé en premier, lui qui est adepte de la vérité et de la transparence en toute circonstance.
Des grèves de la faim prolongées peuvent avoir des conséquences graves sur les organes vitaux. Y a-t-il des inquiétudes médicales spécifiques concernant Ousmane Sonko à l'heure actuelle ?
Oui et j’ai essayé de les articuler au mieux que j’ai pu. Il y a beaucoup de souci à se faire et le peuple sénégalais est très inquiet.
Quelles répercussions l'arrestation et la grève de la faim de M. Sonko ont-elles sur la dynamique politique du Sénégal et sur le mouvement Pastef en particulier ?
La position intangible de Pastef est que son candidat à la présidentielle de février 2024 est Ousmane Sonko. L’avenir départagera ceux qui doutent de l’avenir présidentiel de notre candidat de ceux qui tiennent, et j’en suis parmi des milliers d’autres, que l’étoile scintillante d’Ousmane Sonko continuera pour longtemps encore de briller avec éclat sur notre cher pays.
Nombreux sont ceux qui estiment que la démocratie est menacée au Sénégal. Certains considèrent même qu’elle est littéralement en péril. Partagez-vous cette vue et, si oui, comment cela se manifeste-t-il concrètement selon vous ?
Même si elle se porte mal en ce moment sous les coups de boutoir de ses ennemis intérieur et extérieur, la démocratie triomphera des dérives du libéralisme local et global ainsi que des dérives inhérentes aux luttes sociales internes, aux luttes de classe, aux luttes contre l’hégémonisme et l’impérialisme quels que soient les atours dont elle se parera maintenant et demain. Il faudra prêter une attention accrue aux aspects de la culture dominante qui peuvent être un frein au progrès social entendu au sens d’Amilcar Cabral et de Cheikh Anta Diop. L’aliénation culturelle restera l’ennemi à abattre pour de longues générations à venir. Je suis persuadé que nous en viendrons à bout.
La démocratie d’essence nationale, démocratique et populaire restera dans un premier temps la boussole, l’Etoile du Nord qui nous guidera dans le long cours. Mais nos obligations panafricanistes liées à nos ambitions non seulement souverainistes mais aussi d’unité de nos forces de progrès, de construction de nos forces productives, d’élévation de notre niveau de production et d’approfondissement de nos rapports de production resteront les pierres angulaires de notre avenir en tant que nation et groupe de nations prêtes à basculer « sur la pente de leur destin fédéral », pour paraphraser notre regretté Cheikh Anta Diop. Il ne s’agira pas non plus de discourir sans fin sur la pensée de Cheikh Anta Diop ou celle de tout autre géant de la pensée africaine ou mondiale. Il nous faudra faire avancer la culture, la recherche dans tous les domaines et nous armer de patience et d’humilité devant les vastes étendues des connaissances à défricher. Il faudra lutter parce ce que c’est dans la lutte que se tisse et se construit l’avenir des nations et des peuples.
Comment expliquez-vous que les manifestations populaires au Sénégal entraînent régulièrement des décès ? Et quelle est la position du mouvement Pastef à ce sujet ?
La violence d’État est seule responsable des tueries en série opérées contre nos jeunes manifestants, des disparitions subites de personnes mortes dans des circonstances atroces encore inexpliquées et des bastonnades de manifestants sans parler de leur embastillement dans des proportions jamais égalées au cours de notre histoire politique récente. Pastef s’est toujours posé en bouclier et en paravent contre les pratiques liberticides et anti-démocratiques en cours.
Nous estimons que tôt ou tard les coupables de tous ces crimes seront punis par la loi et les traités internationaux. Les crimes perpétrés contre notre peuple et dont certains sont des crimes imprescriptibles seront punis en tant que tel et leurs auteurs poursuivis et sévèrement châtiés.
Pastef est la seule entité d’opposition qui consacre des sommes significatives à l’assistance aux blessés, aux grands blessés et aux familles de morts occasionnées par la brutalité du régime sortant. Nous rendons régulièrement visite à ces victimes innocentes en essayent de leur apporter le réconfort à notre portée et selon nos moyens. Nous en sommes fiers et continuerons de faire appel à nos bonnes volontés pour soulager les nombreuses victimes du régime de monsieur Macky Sall.
Certains de nos militants ont été tués dans des circonstances innommables. Nous ne les oublions pas et continuerons de les honorer tout en prenant date avec les familles des victimes pour faire enquêter de façon impartiale et dans la transparence sur toutes ces morts encore inexpliquées et sur lesquelles monsieur Macky Sall a refusé d’ouvrir des enquêtes impartiales.
Face à la situation politique actuelle, comment le mouvement politique de Pastef envisage-t-il l’élection présidentielle de février 2024 ? Avez-vous des stratégies alternatives ou des candidats potentiels en réserve ?
L’élection présidentielle de février 2024 sera gagnée, d’une façon ou d’une autre, par Pastef et ses électeurs. Personne n’y pourra rien et je crois que le président Ousmane Sonko s’est largement exprimé sur cette question. Ousmane Sonko est dans le cœur des électeurs et il est trop tard pour espérer pouvoir l’en sortir. Quant aux stratégies alternatives en matière électorale, elles sont toujours le fruit de circonstances sociales et historiques particulières. L’avenir nous édifiera. Pour ce qui concerne les candidatures potentielles en réserve, elles sont innombrables et inexhaustibles dans la population sénégalaise. Mais seul l’élu du peuple et des multitudes déshéritées, Ousmane Sonko, sera porté à la magistrature suprême.