LA FORMULE OBSCURE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EST A L’ORIGINE DE TOUTE CETTE CONFUSION
Candidat recalé à l’étape du contrôle des parrainages pour l’élection présidentielle, Me Amadou Aly Kane relève le clair-obscur dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel
Candidat recalé à l’étape du contrôle des parrainages pour l’élection présidentielle, Me Amadou Aly Kane relève le clair-obscur dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Dans cet entretien exclusif accordé à L’As, l’avocat droit-de-l’hommiste s’est également exprimé sur les sujets d’actualité au Sénégal. Entretien.
Quel est votre point de vue sur cette crise au Sénégal ?
La situation actuelle du Sénégal est marquée par une crise multiforme. Le premier aspect de cette crise est d’abord préélectoral et découle de la défiance d’une partie des candidats à la candidature par rapport au contrôle exercé par le Conseil constitutionnel dans la première phase des parrainages. A cette première forme de crise préélectorale est venue s’ajouter une autre encore plus grave qui découle du second contrôle toujours exercé par le Conseil constitutionnel et lié à la binationalité du candidat du Parti démocratique sénégalais (Pds) en l’occurrence monsieur Karim Meissa Wade. Et cette seconde forme de crise a connu des développements au niveau du Parlement dans la mesure où le Pds qui dispose d’un groupe parlementaire a soumis au Parlement une proposition de loi tendant à l’installation d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions du contrôle des candidatures par le Conseil constitutionnel, et a même accusé certains de ses membres de manquements par rapport à l’éthique de la profession. Aussi, le Pds a-t-il soumis une proposition de loi dérogatoire à l’article 31 de la Constitution tendant à reporter l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février 2024 au 15 décembre 2024. La troisième forme de la crise est politique dans la mesure où elle découle des conséquences des décisions du Conseil constitutionnel. Nous avons vu que l’opposition, une partie de la société civile, et même une partie de la majorité ont apporté leur soutien aux décisions du Conseil constitutionnel. Au même moment, une partie de l’opposition soutenue par une partie des candidats recalés s’est démarquée des décisions du Conseil constitutionnel. Mais il faut surtout noter l’aspect géostratégique parce que notre pays est devenu producteur de pétrole et de gaz. Certains parlent déjà de puissance gazière. En Afrique, si le Sénégal n’est pas le quatrième pays producteur de gaz, il devrait le devenir sous peu. C’est la raison pour laquelle une très grande attention est prêtée à la situation sénégalaise par beaucoup de puissances étrangères. Nous avons vu l’implication des Américains à travers les communiqués du Département d’État et de l’ambassade américaine. On a vu l’implication de la France avec le Quai D’Orsay et le rôle des médias internationaux et notamment français et l’implication de la sous-région avec la Cedeao et l’Union africaine. C’est dire que notre crise est surveillée de près compte tenu de l’importance géostratégique du Sénégal. Nous avons tous le devoir de mettre en avant les intérêts de notre nation, ce qui revient à privilégier une solution consensuelle qui permet d’aller à cette élection et d’élire un président qui sera reconnu par tous pour s’ouvrir aux autres pour gouverner. Donc au bout du compte, la crise préélectorale s’est transformée en crise politique parce que les forces politiques présentes sur le terrain ont différemment apprécié le contexte préélectoral. Sur les décisions du Conseil constitutionnel, à la suite des recours qui ont été déposés, par rapport à l’inconstitutionnalité de la proposition reportant l’élection présidentielle au 15 décembre 2024, et par rapport à la demande de nullité du décret abrogeant celui convoquant le corps électoral, le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui n’a pas le mérite d’être clair dans tous ses aspects et qui a été interprétée par chacun à sa façon. Pour certains, il s’agit de reprendre le processus électoral, pour d’autres le Conseil constitutionnel a demandé qu’une nouvelle date soit fixée pour l’élection présidentielle. La formule obscure du Conseil constitutionnel est à l’origine de toute cette confusion.
Comment décanter cette situation de crise, selon vous ?
Pour décanter la situation, d’abord la question est de savoir s’il faut reprendre tout le processus électoral depuis ses débuts ou simplement fixer une date, ou s’il faut la fixer avant le 02 avril, date d’expiration du mandat présidentiel ? Il ne faudrait pas simplement chercher des solutions à la crise électorale. Mais il faut surtout chercher des solutions à la crise politique. Parce que fondamentalement, la crise qui se développe sous nos yeux découle du fait que l’élection présidentielle n’est pas inclusive. Il y a des forces politiques significatives qui ont été écartées. C’est là un des déclencheurs de cette crise. Donc si aujourd’hui on veut réellement trouver une solution de sortie de crise qui permet de repartir de l’avant et d’aller vers une élection présidentielle, il nous faut régler cette essentielle question de l’inclusion. Il faut aussi régler le problème de la détention. Parce qu’il y a des leaders très importants qui sont encore derrière les barreaux. C’est le cas de M. Ousmane Sonko, mais aussi pour le candidat monsieur Bassirou Diomaye Faye, pour ne citer que ces deux-là. Nous sommes en Afrique, donc il faut aussi régler les questions qui sont de nature à avoir des développements judiciaires dans le futur. Je pense qu’il faut statuer sur la question des victimes, tous ces sénégalais morts ou tués pendant cette période de crise. Est-ce qu’il faut mettre en place une commission de réconciliation nationale ou aller aux procès ? Est-ce qu’aujourd’hui le Sénégal peut se permettre d’aller vers des procès contre les forces de défense et de sécurité ? Il faut trouver un consensus sur toutes ces questions.
Et la responsabilité du Président Macky Sall dans tout ça ?
On ne peut pas dire que le Président Macky Sall a une responsabilité dans le déclenchement de la crise préélectorale dans la mesure où lui-même n’est pas candidat. Donc n’étant pas candidat, il observe la situation. Maintenant, peut-être que du point de vue politique, il aurait peut-être commis une erreur en tardant à désigner son successeur politique au niveau de sa majorité. Il l’a fait sous la forme d’un casting comme s’il était en train de rechercher un manager et non un leader. Et un président de la République, c’est plus un leader qu’un manager. Et le Premier ministre que Macky Sall a choisi est adoubé dans le Benno mais contesté par la locomotive de Benno qui est l’Apr. Que lui conseilleriez-vous ? Je conseillerais au Président Macky Sall d’aller plus vite pour trouver une solution de sortie de crise. Cette situation ne peut plus perdurer. Pour éviter le blocage de nos institutions, le Président Macky Sall devra mettre en œuvre le fameux article 52 de la Constitution. Parce qu’autrement, il risque d’être dépassé par la situation. Le temps file très vite, il est en situation de fin de mandat avec en plus des contestations qui vont continuer à affluer de partout. Certains vont considérer que l’article 36 lui permet de rester en fonction, d’autres vont logiquement penser que non et son sort sera entre les mains du Conseil constitutionnel. Et là, le Président Macky Sall se sera mis tout seul dans une situation très inconfortable. C’est pour toutes ces raisons qu’il doit aller très vite. Parce qu’autrement, le pays risque d’être totalement bloqué, ce que personne ne souhaite.
Partagez-vous l’avis de certains selon qui la décision rendue par le Conseil constitutionnel comporte plusieurs ambiguïtés ?
Personnellement, je trouve que la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 15 février passé est claire sur deux points. Parce qu’il faut rappeler qu’il avait été saisi sur trois requêtes. C’était pour qu’il déclare inconstitutionnelle la loi reportant l’élection présidentielle au 15 décembre 2024. Là, le Conseil constitutionnel a répondu très clairement en disant que c’était inconstitutionnel. La deuxième requête était la poursuite du processus électoral. Sur ce point, il a répondu de manière clair-obscur. D’abord le Conseil constitutionnel a mis en avant son rôle de régulateur, ses missions de veille sur l’ordre public, la stabilité du pays. Et ensuite, il a fait constater que l’élection présidentielle ne pouvait plus avoir lieu à la date initialement prévue, c’est-à-dire le 25 février 2024. Il a invité les autorités compétentes sans les préciser à tenir l’élection présidentielle dans les meilleurs délais. C’est ce clair-obscur qui a fait que chacun des acteurs a interprété en fonction de ses intérêts. Certains disent avoir compris que le Conseil constitutionnel a invité le président de la République à fixer une date avant le 2 avril. Pour d’autres, ce n’est pas ce qu’il a dit mais il a plutôt appelé à la reprise du processus électoral de manière à aller vers une élection présidentielle inclusive. Ce qui veut dire qu’il y a un véritable flou là-dessus. Et le flou est d’autant plus grand parce qu’avant même que les autorités compétentes répondent à son invite, le Conseil constitutionnel a modifié la liste des candidats admis à se présenter, tenant en compte le retrait de madame Rose Wardini, mais sans fixer une nouvelle date pour la tenue de l’élection présidentielle. Parce que l’article 34 de la Constitution dit qu’il faut maintenir la date choisie. Mais ici, nous avons des candidats admis à se présenter à une élection dont la date reste toujours inconnue. Et c’est cela qui pose un problème. Est-ce que ce n’est pas une violation de l’article 34 de la Constitution ? Dans tous les cas, on verra quelle sera la réaction de l’exécutif par rapport à cette décision du Conseil constitutionnel.