LA JEUNESSE AFRICAINE N’A PAS VOCATION À FINIR AU FOND DE L’OCÉAN
Macky Sall au 2e forum économique de la francophonie de Paris

Quels sont les freins pour avoir une zone économique commune à tous les pays francophones ? La question a été posée en marge du deuxième forum économique de la Francophonie à Paris. Données par Macky Sall, Ali Bongo, Michaelle Jean et Laurent Fabius, les réponses ont été diverses avec souvent une tentative de concilier nécessités nationales et besoins régionaux.
Dialogue avec le privé
Annoncé par la France lors du deuxième Forum économique de la Francophonie, l’octroi de titres de séjour allant jusqu’à quatre ans pour la mobilité des hommes d’affaires et étudiants francophones est une avancée fondamentale sur l’épineuse question de la mobilité. Il reste cependant la lancinante question du « passeport francophone ». Pour Macky Sall, « à sa connaissance, rien a été fait pour le moment ». Le président Sall met en parallèle deux situations. D’un côté, les hommes d’affaires occidentaux rentrent et sortent comme ils le veulent en Afrique. D’un autre côté, l’inverse n’est pas encore possible, constate le président Sall. « J’avais instauré un visa d’entrée qui a été abandonné par la suite après une évaluation de la situation », dit-il.
L’abandon du visa d’entrée au Sénégal a été qualifié par Michaelle Jean, la Secrétaire générale de l’OIF, de « geste extraordinaire » avant de poursuivre : « Quand des entrepreneurs circulent, c’est parce qu’ils ont envie d’examiner d’autres marchés, de négocier des entreprenariats. Ce n’est pas pour prendre asile ailleurs ». Mme Jean émet l’hypothèse que l’OIF puisse se porter garante de « certains projets d’entrepreneurs ». Aller au-delà de l’aspect culturel du partage du français pour évoquer les questions avec pragmatisme. « C’est bien beau de parler de la francophonie mais nos jeunes se demandent : qu’est-ce que cela met dans l’assiette ? » rappelle Ali Bongo Ondimba, président du Gabon. Sur les opportunités que présente l’Afrique, le président gabonais évoque plusieurs pistes : « Il faut développer l’axe économique Nord-Sud. Nous faisons face à des problèmes de développement certes, mais aussi écologiques qui impactent sur le développement économique. Il en résulte l’accélération du phénomène migratoire vers l’Europe. Les solutions économiques existent à travers le secteur public mais aussi privé. Le dialogue avec le privé va nous permettre de connaître les besoins du marché ». Le rôle du Franc Cfa est souvent décrié, à tort ou à raison. Macky Sall, président en exercice de la Cedeao et Ali Bongo de la Ceac, ont des avis complémentaires sur la question. L’idée de libérer une partie des réserves des banques centrales de l’Afrique de l’Ouest, et celle de l’Afrique centrale déposée à la banque de France est souvent soulevée.
Ce qui devrait permettre d’avoir le capital d’une banque de développement de la Francophonie afin de se doter véritablement de moyens d’un développement accéléré. « Il faut être prudent quand on parle de monnaie, tempère Ali Bongo qui est sur la même longueur d’onde que Macky Sall : « La question monétaire est très sérieuse et ne doit pas être abordée sous le simple angle économique ».
« Notre système en place depuis des décennies a certes des contraintes, mais il est facteur de stabilité pour le développement », poursuit le président gabonais qui pense plutôt à des « harmonisations à faire pour trouver un véritable modèle ».
Utilité d’une banque francophone
Tout en pensant que « les mécanismes du Franc Cfa peuvent être améliorés ». Laurent Fabius met l’accent sur « la stabilité monétaire indispensable pour le développement économique ». C’est une raison fondamentale pour que le chef de la diplomatie française renouvelle sa mise en garde de prudence sur les mécanismes monétaires et législatifs. Garanti depuis plusieurs décennies par le trésor français, le Franc CFA a des atouts et des inconvénients.
Pour les points positifs, Macky Sall est revenu sur « sa stabilité monétaire » qui permet de passer de la monnaie unique à l’intégration économique ; le Franc CFA « permet aussi d’avoir des politiques douanières communes » : Ce qui a facilité l’union monétaire et économique, d’avoir un tarif extérieur commun et des critères de convergence, les mêmes fiscalités dans l’espace ouest-africain. Le Franc CFA est d’autant plus un atout que les « Etats africains sont malheureusement de micros Etats, en réalité ». Il faut « aller vers des espaces élargis et le Franc CFA de l’Afrique de l’ouest et celui de l’Afrique centrale devraient converger pour en faire une seule zone monétaire stable ».
Avec tous ses avantages, le Franc CFA n’est pas en contradiction avec la création d’une banque centrale francophone. « Ce n’est pas en opposition, reprend Macky Sall. Mais il est vrai que nous devons pousser nos banques centrales à être plus dans le développement. Elles ont une philosophie trop financière alors que c’est l’économie qui doit commander la monnaie. Il y a des interactions qui doivent aller ensemble. Nos banques centrales doivent être plus présentes dans l’économie, dans le financement du développement. Récemment à Dakar, la BAD a décidé de mettre 10 milliards de dollars sur 10 ans dans le secteur de l’agriculture.Nos banques centrales doivent aider les banques commerciales dans le financement du secteur agricole en Afrique ».
De l’avis du président sénégalais, la croissance en zone francophone inclusive est matérialisée et sous-tendue principalement par la garantie de l’emploi. Mais il existe d’autres efforts à fournir : « comme mieux gérer les ressources, mieux optimiser les choix économiques et budgétaires, accroître la transparence budgétaire et faire plus d’inclusion dans les politiques sociales mais aussi renforcer le volet formation professionnelle ».
Macky Sall est conscient des manques dans le système éducatif sénégalais qui « n’est pas adapté aux besoins de l’emploi ». Même constat pour Ali Bongo Odimba : « Au Gabon, la formation des jeunes ne correspond pas toujours à l’offre proposée. Avec des politiques d’allégement fiscal, nous demandons aux entreprises du privé de participer à la formation des jeunes. Nous demandons à toute société de plus de 50 employés de prendre des apprentis ».
Macky Sall pense à la nécessité de faire « des réformes majeures pour continuer à faire l’excellence dans l’enseignement général sénégalais, mais également donner des perspectives à la jeunesse afin de lui permettre de donner les bras nécessaires à la croissance de l’Afrique ».
La croissance des 54 Etats, des 800 millions d’Africains, va nécessiter beaucoup de marchés. Ce qui va engendrer des partenariats entre gouvernements du Nord et ceux du Sud. Le chef de l’Etat sénégalais donne l’exemple du train express régional que le Sénégal va réaliser au début de l’année 2016.
Sur ce projet, l’Etat du Sénégal a invité les entreprises à développer des partenariats avec des entreprises locales sur chaque lot (phases du projet). « Ce qui permettra le transfert de technologie et ainsi une richesse partagée. Ce qui permettra aussi à la jeunesse de rester sur le continent. Notre jeunesse n’a pas vocation à traverser la méditerranée et à finir au fond de l’océan, mais de participer pleinement au développement du continent ».