LA NOUVELLE DÉMARCHE DE PASTEF EN QUESTION
Dans sa nouvelle quête effrénée de voix, Ousmane Sonko semble accorder très peu d’intérêt à la qualité de ses conquêtes : insulteurs publics, repris de justice, hommes du système, tout le monde semble être le bienvenu dans la galaxie patriote
Dopé par les derniers évènements, Ousmane Sonko continue les parades politiques dans la rue publique ainsi qu’auprès de certaines personnalités. Dans cette quête effrénée de voix, le président du Pastef/Les patriotes semble accorder très peu d’intérêt à la qualité de ses conquêtes : insulteurs publics, repris de justice, hommes du système, tout le monde semble être le bienvenu dans la galaxie patriote.
Ousmane Sonko dans toutes les sauces ! Il ne rate presque plus aucune occasion de se mettre sous le feu des projecteurs, depuis les évènements de la semaine du 3 au 8 mars derniers. Pour certains, le pourfendeur du système fait un virage à 180 degrés dans son discours politique radical. Mais selon des spécialistes de la politique, le président du Pastef/Les patriotes fait juste preuve de pragmatisme et de réalisme. C’est le point de vue de l’enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw.
A la question de savoir s’il s’agit d’un reniement ou de l’opportunisme, voici sa réponse : ‘’Je ne pense pas que cela puisse être considéré comme un reniement de son discours. On est quand même dans le registre politique. Et dans ce registre, il y a le discours, mais il y a aussi la réalité. On ne peut pas être prisonnier d’un discours et renoncer à développer des stratégies de rassemblement.’’
A l’en croire, il faut juste remettre le discours dans son contexte, c’est-à-dire la volonté du leader politique de se situer idéologiquement et sociologiquement par rapport à la majorité et à un mode de gouvernance ambiante depuis les indépendances. ‘’C’est ce qui justifie ce discours de rupture, à mon avis, ce discours antisystème. A travers ce discours, Ousmane Sonko entend, je pense, lutter contre certaines pratiques comme le clientélisme, le néocolonialisme, la mal gouvernance… Sur ce plan, je pense qu’on ne saurait parler, en tout cas pas pour le moment, de reniement. Il fait surtout preuve de pragmatisme, à mon avis’’.
Un politicien comme les autres ?
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, une certaine opinion se demande si cette volonté de tendre la main à tout le monde ne va pas, demain, mener à des pratiques du genre : ‘’Gagner ensemble, gouverner ensemble.’’
Pour Moussa Diaw, il n’y a encore aucun motif de le croire. ‘’Ce n’est pas parce qu’il les côtoie qu’il va gouverner avec ceux qui sont considérés comme des membres du système. Mais comme je l’ai dit, en politique, il faut éviter de s’emprisonner dans le discours. S’il raisonne comme ça, il ne parviendra jamais à son objectif. Il faut des stratégies de mobilisation pour atteindre les objectifs politiques qu’il s’est assignés. Cela dit, s’il accède au pouvoir et veut mettre en œuvre ses politiques de rupture, il fera des tris. Il ne peut pas travailler avec tout le monde, de toute façon.’’
Pour le coach en art oratoire Jupiter Faye, ce qui est sûr est que jusque-là, la stratégie réussit bien au patriote en chef. A l’instar de l’universitaire, il estime que l’opposant fait surtout preuve de réalisme. ‘’C’est valable, souligne-t-il, pour tous les hommes politiques dans tous les pays du monde. C’est dans l’exercice du pouvoir qu’on peut apprécier si les engagements étaient sincères ou non ; s’il y a reniement ou non. Au moment de la conquête, il faut faire preuve de pragmatisme. Ce serait suicidaire de s’enfermer dans le discours radical, surtout dans le contexte sénégalais, avec la réalité religieuse et sociologique. Cette réalité, on ne peut l’ignorer, si on veut accéder au pouvoir. Et Ousmane semble le comprendre’’.
Selon le communicant, cette démarche nouvelle s’inscrit dans le cours normal des choses, dans la mesure où il y a eu une forte adhésion populaire à la cause du leader politique. ‘’C’est une occasion, dit-il, non seulement de remercier ses soutiens, mais aussi de massifier son camp. Pour moi, c’est tout à fait légitime et peut lui être bénéfique’’.
La gestion de l’agenda
En fait, depuis sa libération provisoire le 8 mars, dans le cadre de l’affaire de viols l’opposant à Adji Sarr, le président du Pastef/Les patriotes multiplie les visites. Tantôt, c’est pour remercier des soutiens, tantôt pour présenter des condoléances ou pour rendre visite à des blessés, ou tout simplement pour paraitre devant les médias. Sociaux et ou classiques. Certaines visites dont celle effectuée auprès du guide religieux Ahmeth Khalifa Niasse ont d’ailleurs beaucoup marqué les esprits, en raison d’une hostilité antérieure entre les deux personnalités.
Pour certains, la question qui se pose est de savoir si ces sorties ne risquent pas de lasser le public, à la longue. Pour Jupiter Faye, on ne saurait le dire à ce stade. ‘’Moi, je pense qu’il gère bien jusque-là sa communication. Maintenant, il faut savoir que la communication est très sensible. A force de multiplier les sorties, les gens peuvent se lasser du discours. Surtout quand c’est long et porte sur les mêmes thématiques. Mais il faut reconnaitre que Sonko réussit jusque-là à parler convenablement et à toucher les masses. Il faut juste veiller à ne pas commettre certaines erreurs’’.
Mais en communication politique, semble avertir Moussa Diaw, la gestion de l’agenda est très importante. ‘’Il faut savoir, analyse-t-il, que le temps politique est très court. Il faut donc s’y adapter ; être rationnel dans l’organisation de ce temps, tout comme dans les méthodes et stratégies à mettre en œuvre’’.
Le politologue de renchérir : ‘’A un moment, il faudra bien une pause pour éviter de lasser le public. Il faut s’inscrire dans une logique consistant à rationaliser les actes, les stratégies et les entreprises. Je pense qu’actuellement, il a un soutien spontané de ceux qui souffrent de la gouvernance politique actuelle. Mais il faut savoir gérer le temps.’’
Cela dit, en tant qu’homme politique, Sonko a tout intérêt à se déployer pour rallier le plus de personnes à sa cause. ‘’C’est dans ce cadre que s’inscrivent ces rencontres avec des leaders de l’opposition et de la société civile. C’est pour bâtir une coalition forte dans l’optique de pouvoir faire face à la majorité. C’est ainsi qu’il faut le comprendre. Je pense qu’ils ont compris que le contexte leur est favorable et ils veulent capitaliser les gains au sortir de ce bras de fer avec le pouvoir. D’autant plus que ce dernier ne semble pas sur la bonne voie pour apporter les réponses idoines aux aspirations de la population, particulièrement de la jeunesse’’, déclare Moussa Diaw.
Une question d’image et de discours
Jusque dans les rangs des sympathisants du président du Pastef, certains s’interrogent sur l’avenir des relations entre l’opposant radical et certains intervenants dans l’espace public, aux réputations sulfureuses. Parmi eux, il est notamment cité Clédor Sène qui traine encore comme un boulet sa peine de prison dans l’affaire Maitre Babacar Sèye. Mais pour Jupiter, il n’y a rien de trouble dans ces alliances de circonstance. Le spécialiste répond à la question de savoir s’il n’y a pas un hiatus avec les vertus toujours érigées en bandoulière. ‘’Il n’y a pas de remise en cause de l’éthique. En ce qui concerne les insulteurs, ce sont des gens qui partagent avec lui leur hostilité au pouvoir, même si les méthodes de se battre ne sont pas les mêmes. Je dois dire que c’est souvent les gens du pouvoir qui les considèrent comme des insulteurs. Pour les sympathisants de l’opposition, ils sont vus comme des influenceurs, quelles que soient leurs méthodes’’.
Quant à Clédor Sène, le spécialiste plaide son droit à une réinsertion sociale. ‘’Pour moi, il a réglé ses comptes avec la société. Je ne vois donc pas pourquoi Sonko devrait cracher sur son soutien. Pour moi, cela ne contraste pas avec l’éthique qu’il a toujours prônée’’.
Pour sa part, Moussa Diaw invite à relativiser et à éviter les amalgames : ‘’Je pense que c’est juste des étiquettes. Pour d’autres, ce sont des gens peut-être un peu extrêmes dans leur positionnement par rapport au régime en place. C’est leur stratégie. Dans la majorité aussi, on trouve des insulteurs. Et il y en a même pire, en l’occurrence ceux qui tiennent des discours clivant contre la République.’’ Aussi, peste-t-il : ‘’Il faut relativiser les discours, relativiser les étiquettes qu’on colle à certains. Est-ce leur vraie nature ou est-ce la résultante de certaines injustices dont ils ont fait l’objet ? Ce sont des questions qu’il faut se poser.’’