LA REBELLION VA-T-ELLE SE GÉNÉRALISER DANS LE MACKY ?
Le navire APR, sous l’effet des vagues de démissions qui s’abattent sur lui, risque de couler. D’autres défections — à tout le moins des actes de rébellion internes — devraient se signaler dans les prochains jours
Comme une pirogue en pleine mer qui menace de chavirer et dont les occupants plongent un à un dans l’océan pour espérer se sauver, le navire APR, sous l’effet des vagues de démissions qui s’abattent sur lui, risque de couler par le fond. Après la démission de Aly Ngouille Ndiaye, par ailleurs ministre de l’Agriculture, la résistance sonnée par Abdoulaye Daouda Diallo, le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), c’est au tour de Mame Boye Diao de déclarer sa candidature à l’élection présidentielle. La sanction à cette rébellion n’a pas tardé puisque le maire de Kolda a été immédiatement démis de ses fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Dans notre édition d’hier, nous parlions des risques d’éclatement du parti au pouvoir après le choix porté sur Amadou Ba pour être le candidat de la mouvance présidentielle à l’élection du 25 février prochain. Les faits commencent à nous donner raison.
Après la démission de Aly Ngouille Ndiaye du gouvernement sitôt le nom de l’actuel Premier ministre annoncé comme étant le candidat de la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY), c’est au tour du maire de Kolda, Mame Boye Diao, de claquer la porte. Sauf que celui qui dirigeait jusqu’à hier la Caisse des Dépôts et Consignations a été démis de ses fonctions par le président de la République immédiatement après avoir déclaré sa candidature. A ces deux départs qui sonnent comme un défi à l’endroit du capitaine du navire qu’est le président Macky Sall, d’autres défections — à tout le moins des actes de rébellion internes — devraient s’ajouter dans les prochains jours. Parmi ces rébellions annoncées, la plus notable serait celle du président du Conseil économique, social et environnemental, Abdoulaye Daouda Diallo, même si l’intéressé ne s’est pas encore prononcé. Des départs de responsables de moindre envergure sont également à redouter dans le parti présidentiel.
La décision du président Macky Sall de ne pas briguer un troisième mandat, a réveillé le trop-plein d’ambitions qui sommeillait dans les rangs de son parti. Malgré les invites incessantes du président de la République et chef de la majorité aux responsables de son parti pour qu’ils se rangent derrière son choix, des ténors de l’APR n’entendent pas renoncer à leurs ambitions. Outre le droit qu’a chaque individu de se déclarer candidat à une élection, notamment la plus prestigieuse qu’est la présidentielle, aussi bien Aly Ngouille Ndiaye que Mame Boye Diao considèrent pouvoir rivaliser sur tous les plans avec le candidat choisi par leur patron. Le maire de Linguère peut faire valoir qu’il a été l’un des principaux artisans de la victoire de l’APR en 2012 et 2019. Son mouvement politique a intégré « Macky 2012 », la toute première coalition de soutien au candidat Macky Sall avant même qu’il accède à la magistrature suprême. Par la suite, il a dissous son mouvement dans l’APR pour devenir un membre à part entière du parti présidentiel. En récompense de son apport électoral, il a été promu successivement aux postes de ministre de l’Energie et de l’Industrie dans le premier gouvernement du président Macky Sall puis ministre de l’Intérieur en 2017 avant de se voir confier le portefeuille de l’Agriculture en 2022 après une petite traversée du désert entre 2020 et 2022. Homme politique chevronné et ingénieur en génie civil mais ayant effectué toute sa carrière dans la banque, Aly Ngouille Ndiaye dirige la mairie de Linguère depuis 2012.
Quant à Mame Boye Diao, il n’était pas très connu sur la scène politique jusqu’à sa nomination comme directeur des Domaines, un poste qui permet d’avoir la haute main sur le foncier. Et donc de pouvoir distribuer des terrains. Il s’est surtout fait un nom à travers ses apparitions médiatiques pour s’ériger en défenseur farouche du président Macky Sall et de son référentiel de politiques publiques, le Plan Sénégal émergent (PSE). A Kolda d’où il est originaire cet intellectuel de haut niveau détenteur d’une maîtrise en sciences politiques et par ailleurs diplômé de l’ENA, Mame Boye Diao a mouillé le maillot pour agrandir l’électorat de l’Alliance Pour la République (APR). Outre la conquête de haute lutte de la mairie de la capitale du Fouladou, cet engagement lui a valu des récompenses sous la forme de nomination à des postes de choix comme la direction des Domaines en 2019 puis la direction générale de la Caisse des Dépôts et Consignations en février 2023.
Si les rébellions d’Aly Ngouille Ndiaye et de Mame Boye Diao sont ouvertes, celle d’Abdoulaye Daouda Diallo, actuel président du CESE, reste relativement discrète pour le moment. Cet Inspecteur des Impôts et Domaines de classe exceptionnelle est réputé être un des plus proches du président de la République dont il est indubitablement l’homme de confiance. Militant de la toute première heure de l’APR, dont il est du reste un membre fondateur, ADD, qui a fait ses preuves à la tête de grands ministères comme les Finances et l’Intérieur, pour ne citer que ceux-là, pouvait à bon droit nourrir l’ambition de succéder à l’actuel président de la République. Il est indéboulonnable dans le département de Podor où il a réalisé, à toutes les élections depuis 2012, les meilleurs résultats sur le plan national pour le compte de la majorité présidentielle. En termes de suffrages récoltés, il tenait même la dragée haute au département de Dakar pourtant sans commune mesure avec celui de Podor du point de vue de la démographie.
Bref, Abdoulaye Daouda Diallo, a toute la légitimité pour défendre les couleurs de l’APR à la prochaine présidentielle. Son frère siamois Macky Sall en a décidé autrement en lui préférant son éternel rival si ce n’est son ennemi juré Amadou Ba qui a été son patron à la direction générale des Impôts et Domaines du temps de Wade. Au sein du régime actuel, cette dualité s’est poursuivie jusqu’au plus haut niveau de l’État. Lors de la nomination de Amadou Ba comme Premier ministre à son détriment, Abdoulaye Daouda Diallo avait catégoriquement refusé de faire partie d’une équipe dirigée par son rival. Pour le consoler et débloquer la situation, le président de la République l’avait promu ministre d’État directeur de son cabinet avant de le nommer à la présidence de l’institution qu’est le CESE. De là, il caressait le secret espoir d’être choisi pour porter les couleurs de la majorité à la prochaine présidentielle. Hélas, une fois de plus la déception était au rendez-vous avec le choix porté sur son «ennemi politique» Amadou Ba comme candidat de l’APR. Le président de la République l’a reçu à déjeuner au Palais pour tenter de le ramener à de meilleurs sentiments mais Abdoulaye Daouda Diallo, en fier Peulh qu’on n’humilie pas, reste pour le moment droit dans ses bottes et tenté de prendre son destin en mains.
Stratégie politique où défiance...
Au lendemain des élections municipales, le président Macky Sall avait révélé qu’il avait encouragé des candidatures parallèles au sein même de sa mouvance. Une stratégie destinée à capter les voix d’éventuels mécontents tenter de recourir à des votes sanctions. Ce plan bien muri avait porté ses fruits puisque, au final, partout où la liste de BBY avait présenté deux ou plusieurs candidats, elle avait raflé la mise. Cette même stratégie sera-t-elle reconduite pour la présidentielle de février prochain ? Difficile de répondre à cette question pour l’heure.
En tout cas, le fait de voir des candidatures essaimer au sein de la majorité ne manque pas de susciter des interrogations En cas de second tour, il serait en effet vital que tous ces candidats de la mouvance présidentielle — du moins ceux d’entre eux qui auront réussi à franchir l’étape du parrainage — reportent leurs voix sur celui d’entre eux qui serait qualifié. Possible de regrouper toutes les voix de la famille libérale pour multiplier les chances de remporter la victoire finale. C’est dans ce cadre que les candidatures de Aly Ngouille Ndiaye, Mame Boye Diao et très probablement Abdoulaye Dawda Diallo peuvent être pertinentes. Ce, d’autant plus que chacun d’eux détient un électorat fidèle dans sa localité.
En revanche, si ces rébellions n’étaient pas suscitées par le président de la République, alors Amadou Ba, le candidat de la majorité, aurait des soucis à se faire. Mais on n’en est pas encore là !