LA RONDE DES COLOMBES
Différends collectivités locales-Gouvernement : Moustapha Diakhaté renvoie les parties dos-à-dos et appelle Macky Sall à l’aide – Aliou Sall refuse de prendre position – Khalifa Sall se déploie chez Barthélémy Dias
Les conflits de compétences opposant l'autorité centrale et les collectivités locales, particulièrement la mairie de Dakar, s'accumulent. Les derniers épisodes mettent aux prises le ministère du Renouveau urbain, d’une part, et les municipalités de la capitale et Mermoz-Sacré Cœur, de l’autre. Moustapha Diakhaté, Aliou Sall et Khalifa Sall- qui est en même temps partie dans l'un des différends-, proposent leur médiation.
Tout le monde à tort
Après Khalifa Sall, Barthélémy Dias. Le maire PS de Mermoz-Sacré Cœur est confronté au véto de l’autorité administrative pour l’exécution d’un projet dans sa commune. Le sous-préfet des Almadies, répondant positivement à une requête d’habitants du quartier regroupés en association, a ordonné l’arrêt des travaux sur le terrain de la "Boulangerie Jaune", sis à Sacré Cœur. Une décision dénoncée par Dias et qui survient en pleine tempête entre son camarade socialiste, maire de Dakar, et le ministre du Renouveau urbain, Diène Farba Sarr, pour l’aménagement de la Place de l’Indépendance. Mais dans cette atmosphère de tension entre autorités locales et l’autorité centrale, des voix se lèvent pour tenter de rapprocher les positions des parties dont le seul objectif est, jurent-elles la main sur le cœur, d’agir au bénéfice exclusif des populations.
Moustapha Diakhaté est l’une d’elles. Président du groupe parlementaire Benno bokk yakaar, il renvoie dos à dos les protagonistes du différend pour l’aménagement de la Place de l’Indépendance. "Le ministre Diène Farba Sarr a tort de vouloir effectuer des aménagements dans la ville, sans se concerter avec le maire de Dakar, assène sans détour Diakhaté dans une déclaration rendue publique. Le décret portant attribution de son ministère est sans équivoque. Il dispose, en effet, que ‘le ministère du Renouveau urbain veille à l’aménagement des villes et des agglomérations par action concertée avec les collectivités locales en matière d’espaces verts et de loisirs’."
Un verdict sans appel qui ne devrait pas ravir son camarade (ou frère) de parti (APR), Diène Farba Sarr. Pour autant, Khalifa Sall n’a pas à s’enflammer. Le chef de file des députés de la Majorité lui a asséné la même claque qu'à son adversaire. "Le maire de Dakar a, lui aussi, tort de vouloir interdire à l’État d’agir dans la ville. Un maire n’a pas de pouvoir propre de contrainte sur l’État. En outre, au Sénégal, l’État est habilité à agir sur l’ensemble du territoire national et dans tous les domaines de la vie nationale. L’État reste compétent partout et pour toute politique publique. En l’état actuel, ni la Constitution ni les lois ne limitent les compétences de l’État en matière d’aménagements urbains."
Balle au centre. Moustapha Diakhaté a remis les compteurs à zéro. Invitant les parties, qui sont dans la même Majorité, à la concertation. À trouver des "solutions consensuelles et durables qui feront de Dakar un modèle de métropole à la hauteur de son statut de capitale du Sénégal". Toutefois, le président du groupe Benno sollicite invite le chef de l’État à intervenir pour "résoudre ce conflit qui n’a pas sa raison d’être".
Aliou Sall, l’équilibriste
Autre figure habillée en colombe dans le différend Khalifa Sall-Diène Farba Sarr, Aliou Sall, édile APR de Guédiawaye, président de l’Association des maires du Sénégal (AMS) et, accessoirement, frère du président de la République. D’emblée il condamne les violences subies par le maire de Dakar et ses soutiens, lors de leurs deux manifestations à la Place de l’Indépendance "qui, comme son nom l’indique, évoque l’indépendance, la liberté, et évoque la possibilité pour les citoyens et les élus de pouvoir exprimer leurs opinions".
Refusant de prendre position, histoire de garder propre son costume de médiateur, Aliou Sall, qui s’exprimait sur la RFM, penche plutôt pour une initiative amenant les deux parties à s’asseoir autour d’une table. Il dit : "Nous espérons convoquer une rencontre entre la ville de Dakar et les représentants du gouvernement pour prendre à bras-le-corps ce problème, pour arriver à une solution. La solution devrait être une solution en faveur des populations, en respectant les lois et la réglementation, une solution apaisante qui favorise le partenariat, qui ne doit jamais cesser entre l’État central et les collectivités locales."
La mairie de Dakar et le ministère du Renouveau urbain se crêpent le chignon pour l’aménagement de la Place de l’Indépendance. Le premier brandit un projet dont le financement, à hauteur de 5 milliards, est, selon lui, déjà disponible. Le second, qui affirme que les aménagements promis par Khalifa Sall sont une chimère, se prévaut d’un projet de 300 millions. Les nerfs se sont tendus lorsque des ouvriers du ministère du Renouveau urbain ont commencé à clôturer le chantier. Les hommes du maire de Dakar ont démonté les installations et menacé quiconque s’aventurerait à les réinstaller. Passant à la vitesse supérieure, ils organisent deux manifestations à la Place de l’Indépendance. Ces actions seront annihilées par les forces de l’ordre à coup de grenades lacrymogènes.
Khalifa Sall en médiateur
À Mermoz Sacré Cœur, on n’en est pas encore à la confrontation physique. Mais la tension couve. Après avoir pris connaissance de la décision du sous-préfet de suspendre les travaux sur le site en question et la matérialisation de celle-ci par l’intervention des éléments de la Direction pour la surveillance et le contrôle des sols (DESCOS), le maire Barthélémy Dias a laissé éclater sa colère. "Nous avons tenu cette rencontre pour inviter les autorités à nous laisser travailler en paix parce que tout ce que nous faisons, c’est dans la légalité", a déclaré l’édile de Mermoz-Sacré Cœur face à la presse hier, vendredi 5 février. Il avait à ses côtés, les maires socialistes Alioune Ndoye (Dakar-Plateau), Madiop Diop (Grand-Yoff) et Khalifa Sall, notamment.
Ce dernier est non seulement du PS et maire, comme Dias, mais il est en plus habitant de Sacré Cœur depuis 1982. C’est donc fort de ces casquettes qu’il se propose en médiateur de la crise entre "son" maire et ses voisins. Son objectif : montrer à ses voisins qui ne le voient pas encore la pertinence du projet de la commune de Mermoz-Sacré Cœur. "Le projet concilie deux besoins essentiels : il n’ y a pas de marché ici, nos femmes vont à Casino et on n’acceptera pas qu’on nous mette des cantines ici. Maintenant, dans le cadre de la gestion inclusive et participative, nous devons parler aux populations", suggère Khalifa Sall. Qui semble pencher pour une solution tenant compte des préoccupations des populations de Sacré Cœur. Lesquelles, dit-on, n’écartent pas totalement le projet de Barthélémy Dias, mais proposent que le terrain en question soit divisé en deux parties. Une partie pour la distraction, une autre pour les affaires.
Dans cette optique, le maire de Dakar estime qu’une intervention de l’autorité n’est pas nécessaire. Il assure que l’édile de la commune et ses mandants peuvent trouver une solution.
Procès de l’Acte 3
Le projet de Dias comprend deux volets. Un supermarché devrait être érigé sur une superficie de 300 m2. Pour cela la mairie a cédé le terrain à la société bénéficiaire contre un loyer annuel, déjà versé, de 80 millions de francs Cfa sur 5 ans. À côté du supermarché, une société dénommée "37.5" occupera l’espace pour deux ans moyennant un loyer annuel de 50 millions de francs, également déjà réglés. Le site accueillera aussi, d’après Dias, une salle de spectacle modulable, des terrains de basket, football, handball, un parking et une aire pour les enfants. Un projet qu’il n’est pas, de l’avis du maire, "raisonnable, acceptable, envisageable" d’arrêter.
À Mermoz-Sacré Cœur comme pour l’aménagement de la Place de l’Indépendance, l’opposition entre autorités locales et l’autorité centrale pose la question de la primauté entre la légalité et la légitimité. Des notions pas forcément antinomiques, mais dont le ménage est souvent traversé de soubresauts. Surtout lorsque le prétexte de la défense des intérêts des populations cache mal les calculs politiciens des protagonistes éventuels. Gestion des ordures de la capitale, emprunt obligataire de la maire de Dakar, salaires des personnels des collectivités locales...
Selon Bok gis gis de l’ancien maire de Dakar Pape Diop les polémiques suscitées par ces différentes affaires constituent "un signe de l’échec de l’Acte 3". Lequel, ajoute le comité directeur de ce parti, n’a pas été conçu par le pouvoir de Macky Sall pour renforcer la décentralisation, mais plutôt pour "s’assurer une réélection en 2017 ou en 2019". C’est peut-être réduire la réforme à sa plus simple expression que de défendre cette position, mais Pape Diop et Cie n’ont vraisemblablement pas totalement tort. Surtout que les tensions entre gouvernement et élus se multiplient et deviennent de plus en plus vives dans un contexte pré-électoral avec à l’horizon les Législatives et la Présidentielle.