LA SUPPRESSION DES INSTITUTIONS N’A JAMAIS ÉTÉ EFFICACE
Diomaye Faye s'apprête à supprimer le HCCT et le CESE, marchant dans les pas de ses précédents. Mais cette danse des institutions est-elle la panacée ? Un éminent constitutionnaliste démystifie cette pratique devenue routine
Après les présidents Abdoulaye Wade et Macky Sall, le président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye va lui aussi, procéder à la suppression de HCCT et du CESE. Ce qui selon un professeur agrégé en droit constitutionnel, qui a préféré garder l’anonymat relève d’une banalité des institutions. Selon cet universitaire, «la suppression des institutions n’a jamais été efficace ou impactant dans l’histoire politique et institutionnelle du Sénégal». Il est aussi revenu sur la procédure empruntée par le président Faye pour arriver ses fins, mais aussi sur la polémique de la tenue de la DPG du Premier ministre Ousmane Sonko.
Convocation de l’Assemblée nationale
« D’emblée, il faut distinguer l’aspect politique de l’aspect juridique même si ce sont des questions qui sont liées. Deuxièmement, il faut rappeler lorsque Macky Sall est arrivé au pouvoir en 2012, il avait procédé lui aussi à la suppression du Sénat. Si vous vous rappelez d’ailleurs, la procédure avait échoué au Sénat parce qu’à l’époque, le PDS disposait d’une majorité. Il a fallu retourner à l’Assemblée nationale pour que le texte passât. C’est pour vous dire que ce n’est pas une chose nouvelle. L’argument qui avait été évoqué, c’était qu’il y avait des inondations et qu’il faut rationaliser les ressources publiques et les réorienter vers la lutte contre les inondations.
Maintenant, ce qu’il faut préciser, c’est qu’à l’époque, quand ça se faisait, on avait dépassé le cap des législatives. Donc, on n’y voyait pas un stratagème ou une entourloupe pour avoir l’opinion et gagner les législatives parce qu’on avait dépassé le cap des législatives organisées en juillet ».
Législatives anticipées
« Il faut la aussi distinguer le plan juridique du plan politique. Sur le plan politique : c’est qu’on est dans une situation où il y avait deux possibilités qui s’offraient à l’Exécutif et notamment au président. Première possibilité, c’était de négocier avec l’Assemblée nationale, de trouver des mécanismes consensuels ou de voies d’entente pour faire ce qu’il faut faire : la DPG, dissoudre l’Assemblée nationale etc. Les gens auraient pu discuter et se dire : on ne dissout pas dans un premier temps parce qu’actuellement pour dissoudre, ce n’est pas aussi simple. D’abord, il faut attendre le délai, ensuite, il faudra un temps pour le parrainage. Le parrainage n’existait pas autrefois pour les législatives. Ça va prendre du temps. Ici, on est dans une urgence. Il y a des délais qui sont prévus dans la Constitution, 30 jours à 90 jours. Dans ce délai, est-ce qu’il est possible d’organiser les parrainages ou bien est-ce qu’il ne faut pas contourner le délai ? Sur toutes ces questions, l’Exécutif aurait pu opter pour la concertation avec le législatif élargi à la classe politique et à la société civile et qu’on trouve un accord.
Deuxième option, c’est de ne pas se concerter et faire le forcing. Et visiblement, c’est l’option de l’Exécutif. Ça se dit de toute façon. Ce qu’on a au Sénégal, c’est une grande alternance mais incomplète, on n’a pas la totalité du pouvoir. Pour avoir tout le pouvoir, il faut dérouler le rouleau compresseur de la légitimité. On a conquis le pouvoir exécutif. Il faut organiser des législatives et puis les gagner. Du point de vue politique, c’est l’option qui a été faite. Evidemment, cette option peut entrainer des blocages si les acteurs se focalisent les uns, les autres sur leur position.
Sur le plan juridique, c’est que le Président a demandé une session extraordinaire, il peut le faire parce que la session extraordinaire peut être convoquée par le président de l’Assemblée nationale si la moitié des députés le demandent ou alors le président de la République. C’est l’article 63 de la Constitution sauf que par le passé, le président n’avait pas à se fixer la date. Le président peut ouvrir une session extraordinaire qui va durer 15 jours et laisser la latitude au bureau de l’Assemblée nationale de fixer la date. C’est plus élégant ».
C’est juste une question d’élégance alors ?
« Je trouve que c’est plus une question plus d’élégance que de respect de l’autorité de l’Assemblée nationale parce quand tu dis : session parlementaire, l’ordre du jour et là, il faut le faire, le reste, c’est le bureau qui se réunit et qui détermine ce qu’on appelle le calendrier de travail. Pour moi, je dirai «manque d’élégance ». Je n’irai pas jusqu’à dire violation de la loi.
Donc, sur le plan juridique, il n’y a pas de problème. Sauf qu’à l’Assemblée nationale, le Président de la République avait rencontré le président de l’Assemblée nationale et au cours de cette rencontre, ils avaient un accord pour que le Règlement intérieur soit corrigé et que le Premier ministre vienne faire sa DPG. Si maintenant le Premier ministre ne vient pas faire sa DPG et qu’à la place on demande la suppression du HCCT et du CESE, ça aussi pour moi, c’est un manque d’élégance. Je ne parlerai pas de violation de la loi ou de la Constitution mais c’est un manque d’élégance parce que l’opinion avait cru qu’il semblait avoir un accord pour que le Premier ministre aille faire sa DPG. Mais dans le fond, demander la suppression de ces organes relève d’une routine au Sénégal.
En 2000, quand Wade est arrivé, il a supprimé le Sénat et il l’a ramené. Macky Sall quand il est arrivé, il a supprimé le Sénat pour le remplacer par le Haut conseil des collectivités territoriales. Donc, on est ici dans des répétitions, dans une banalisation des institutions. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Supprimer les institutions, les ressusciter sous la même forme ou sous une forme légèrement différente, c’est quelque chose qui est caractéristique de l’évolution politique institutionnelle du Sénégal. Ça relève de la banalité. D’ailleurs, les gens ont cru que quand on supprimait le Sénat, qu’on allait gagner de l’argent pour trouver de l’emploi aux jeunes, ça n’a pas été le cas. Wade quand il a supprimé le Sénat, ça n’a servi à rien. C’est un coup d’épée dans l’eau. La preuve, il l’a réhabilité après. Macky Sall idem. Après la suppression du Sénat, il a remis le Haut conseil des collectivités territoriales qui n’est pas très loin du Sénat. Je trouve que ce n’est pas une seconde chambre législative. Donc, à la limite, le discours de suppression des institutions pour la rationalisation des finances publiques relève de la banalité et n’a jamais été efficace ou impactant dans l’histoire politique et institutionnelle du Sénégal. Dernier point sur la dissolution, je pense qu’il n’y a rien de plus légitime qu’une nouvelle majorité qui conquiert le pouvoir exécutif. Se doter d’une nouvelle majorité parlementaire pour gouverner à l’aise parce qu’on gouverne avec une majorité parlementaire qui le soutient. Aujourd’hui, ce qui se pose, ce n’est pas le problème de la dissolution. C’est plutôt, comment organiser des élections législatives anticipées parce qu’au Sénégal, on n’est pas très habitués aux élections anticipées. Même en 2001 quand on a anticipé pour les élections législatives, il n’y a pas eu de dissolution parce que la nouvelle Constitution prévoyait que le président puisse organiser les législatives sans dissoudre. C’était dans les dispositions transitoires. Macky Sall quand il est arrivé, le mandat des députés avait expiré, donc, il n’avait pas besoin de dissoudre. Sauf que là, on va vers des élections anticipées. Et c’est relativement nouveau voire inédit dans l’histoire politique du Sénégal.
Quand on est dans une pareille situation, il faut se concerter pour bien faire les choses, pour le bien de la démocratie ou alors considérer que l’objectif n’est pas la démocratie mais d’avoir une majorité parlementaire ».
Une DPG, deux textes
« Pour cette question, j’avais publié dans Sud Quotidien en 2002 un texte intitulé : «le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale viole la Constitution» parce que la Constitution de 2001 prévoyait qu’après sa nomination, le Premier ministre fait sa Déclaration de politique générale. Or, les députés à l’époque ont dit, il faut imposer au Premier ministre un délai parce que sinon il ne va jamais le faire ou alors il va considérer le moment opportun. En France, dès que vous êtes nommé, dans la semaine qui suit, vous faites votre DPG. Abdou Diouf, il l’avait fait 15 jours après. Moustapha Niasse, il l’avait fait trois semaines après. Il y en a qui l’ont fait six mois après. Donc, ils ont voulu en réalité mettre un délai en disant qu’il va le faire dans trois mois. J’ai dit non !
Cette disposition du Règlement intérieur viole la Constitution pour deux raisons. La première, c’est que la Constitution n’impose pas de délai et n’invite pas le législateur à se fixer un délai. Si on avait dit le Premier ministre fait sa DPG dans les conditions déterminées par la loi, ou le Premier ministre fait sa DPG, les modalités de cette déclaration seront précisées par une loi organique ou par le Règlement intérieur, je suis d’accord. Or, il n’y a pas d’invite. Le constituant a choisi de faire confiance au Premier ministre et de ne pas l’enfermer dans un délai. Si le Règlement intérieur de l’Assemblée a imposé un délai un Premier ministre, ce délai viole la Constitution. Donc, pour moi, ce délai était superfétatoire. Il n’a pas sa place en réalité. Et donc si le délai est superfétatoire, ça veut dire que le Premier ministre doit faire sa DPG mais il n’y a pas de délai et on a vu, il y a des Premiers ministres qui ont plus de trois mois. Donc, j’avais considéré que le travail d’adaptation du Règlement intérieur était superfétatoire. Au début, c’est limité à la Constitution, en tout pour la question de DPG. Je ne parle pas des exigences du Règlement intérieur. Mais pour la DPG, les dispositions de la Constitution sont suffisantes et après, il faut faire confiance au Premier ministre pour choisir la date de sa DPG dans un esprit républicain. Le jeu des institutions aussi, c’est une question de gentlemen. On ne doit pas imposer aux gens des détails. La Constitution fait confiance aux acteurs du jeu politique et institutionnel en considérant quelque part que ce sont des gentlemen et qu’on doit interpréter positivement les dispositions. Le Conseil constitutionnel avait contrôlé le Règlement intérieur parce qu’il est obligatoirement contrôlé avant sa promulgation parce que c’est une loi organique mais moi, j’avais considéré que le Conseil n’était pas allé en profondeur. Parce que le Conseil avait dit, « oui considérant qu’aucune disposition de la loi organique portant Règlement intérieur ne viole la Constitution ». Moi, j’avais dit non. Il y avait une disposition qui viole la Constitution, peut-être qu’elle vous a échappé. Celle qui impose un délai là où le constituant-lui n’impose pas de délai et n’invite pas le législateur à imposer un délai. Pour moi, c’est une disposition qui viole la loi ».