L’ARRÊTÉ DE LA DISCORDE
Libertés fondamentales et interdictions légales - Le débat sur l’abrogation de l’arrêté Ousmane Ngom refait encore surface
Le débat sur l’abrogation de l’arrêté Ousmane Ngom refait encore surface. Au lendemain de la répression par les éléments de la police nationale des responsables des partis de l’opposition regroupés au sein du Front de la résistance nationale (Frn) qui voulaient braver le mardi 4 septembre dernier, la mesure d’interdiction de leur sit-in devant le ministère de l’Intérieur, remet au goût le débat sur l’usage systématique par le pouvoir en place de ce controversé «Arrêté Ousmane Ngom : N° 7580 du 20 juillet 2011» pour interdire depuis 2012 de toutes les manifestations de l’opposition dans le centre civile.
Adopté sous l’ancien régime dans un contexte politique marqué par la multiplication des manifestations de l’opposition et de la société civile contre le troisième mandat du président, Abdoulaye Wade, à la veille de l’élection présidentielle de 2012, l’arrêté Ousmane Ngom : N° 7580 du 20 juillet 2011» interdit tout rassemblement à caractère politique dans l’espace compris entre l’avenue El Hadji Malick Sy et le Cap Manuel. A l’époque, la justification brandie par le régime libéral était la protection dans ce contexte politiquement tendu des immeubles abritant les intuitions de la République telles que : l’Assemblée nationale, le Sénat (actuel Primature), le Conseil économique et social, les Cours et tribunaux, le Palais de la République, le Building administratif et la Place de l’Indépendance.
À l’époque, le texte avait suscité de vives réactions notamment au sein du mouvement des forces vives de la nationale «M23» qui regroupe des organisations de la Société civile et des partis politiques membres de l’ancienne opposition dont la formation de l’actuel chef de l’Etat, Macky Sall. Ils estimaient que ce texte signé des mains d’un ministre n’est pas au-dessus de la Constitution qui, non seulement, consacre le droit de manifestations mais aussi garantit l’exercice de ce droit sur toute l’étendue du territoire national. Pourtant, arrivé au pouvoir au soir du second tour de la présidentielle de 2012, grâce à un soutien de toutes les entités du M23 qui avaient scellé une union sacrée autour de sa candidature pour imposer à l’ancien chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, la règle des deux mandats présidentiels et par ricocher le respect des principes démocratiques, l’actuel chef de l’Etat, Macky Sall n’a rien fait dans le sens de retirer cette disposition qu’il avait pourtant combattu en 2011-2012 dans l’ordonnancement juridique national.
Au contraire, on a même vu son administration faire usage de cet controversé arrêté pour interdire systématiquement tous les rassemblements envisagés par l’opposition réunie autour de l’ancien parti au pouvoir, le Parti démocratique sénégalais (Pds).
Interpellé par des parlementaires sur le maintien de ce texte, le 27 octobre 2016, lors du passage du Premier ministre à l’Assemblée nationale, afin d’apporter des réponses sur des questions d’actualité des députés, l’ancien ministre de l’Intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo avait laissé entendre, «les raisons qui avaient justifié la mise en place dudit arrêté sont toujours d’actualité. Et, il appartient à l’autorité de juger de la pertinence ou non de son retrait». L’objectif est donc, clair. Si on s’en tient à cette sortie de l’ancien ministre de l’Intérieur, le régime actuel n’est pas dans les dispositions d’abroger l’arrêté Ousmane Ngom malgré les voies qui s’élèvent de plus en plus contre cette disposition notamment au sein de la société civile.
Cette situation illustre bien la démarche de prudence qu’entretient l’actuel chef de l’Etat avec collègues politiciens. Le président Macky Sall veut toujours des garanties avant de donner sa décision. Il en est ainsi pour Moustapha Niasse. Proposé tête de liste de la Coalition Benno Bokk Yaakar lors des législative 2012, le président de l’Alliance des forces du progrès (Afp) a été obligé d’attendre pendant trois années d’affilées jusqu’à ce qu’il s’engage publiquement «Macky Sall sera le candidat de l’Afp pour la Présidentielle de 2019, un point un trait» pour voir son allié prendre la décision de ramener la durée de son mandat à la présidence de l’Assemblée nationale que les libéraux avaient ramené à un an renouvelable à cinq ans. Aujourd’hui, c’est le secrétaire général du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng qui se trouve dans l’attente d’une sécurisation de son mandat à la tête du Haut conseil des collectivités territoires. Nommé par décret présidentiel à son poste de président du Hcct depuis la mise en place de cette institution, l’avenir du patron du Ps qui a perdu beaucoup de responsables suite à la décision de soutenir l’actuel chef de l’Etat, reste suspendu aujourd’hui à la signature du président de la République.
REACTIONS… REACTIONS…
ME PAPE SENE, PRESIDENT DU COMITE SENEGALAIS DES DROITS DE L’HOMME : «Il n’y a que deux possibilités pour pouvoir annuler cet arrêté»
«Cet arrêté qu’on appelle communément arrêté Ousmane Ngom et qui remonte au 20 juillet 2011 est un arrêté qui revêt un caractère obligatoire et exécutoire depuis sa publication en 2011. C’est un arrêté qui reste dans l’ordonnancement juridique sénégalais. Maintenant, il n’y a que deux possibilités pour pouvoir l’annuler. La première chose, c’est que l’autorité administrative, en l’occurrence, le ministre de l’intérieur, peut procéder à une rétractation de cet arrêté en le sortant de l’ordonnancement juridique, la deuxième chose, c’est que cet arrêté pourrait être attaqué devant la chambre administrative de la cour suprême pour annulation. Malheureusement, ça n’a jamais été fait depuis 2011.
Il trouve aussi sa source dans deux lois : 7413 du 24 juin 1974 relatif aux manifestations sur la voie publique mais également 7002 du 29 janvier 1978 relatif aux réunions. Elles posent le principe de la liberté des réunions publiques et des manifestations sur la voie publique mais il faudra comprendre que en même temps que ces lois posent le principe de la liberté des réunions publiques et des manifestations sur la voie publique, ces lois ont également aménagé pour l’autorité administrative parce que l’autorité administrative a la responsabilité de l’ordre public. Ces lois posent aussi des limites parce qu’elles donnent la possibilité à l’autorité administrative, qui a la responsabilité de l’ordre public, de restreindre ces possibilités par voie réglementaire. Toutes les fois qu’il existe des menaces à l’ordre public».
ALIOU TINE, DIRECTEUR REGIONAL D’AMNESTY INTER-NATIONAL POUR L’AFRIQUE DE L’OUEST ET DU CENTRE : «Il faut abroger cet arrêté»
«Il faut abroger cet arrêté. Il n’y a pas longtemps, j’ai rencontré l’actuel Ministre de l’intérieur dans ce sens. Il semblait ouvert effectivement à l’éventualité parce que je lui ai dit : «nous allons vers des élections, ça va provoquer des tensions à n’en plus finir parce que les gens vont manifester dans cet espace. Ça va attirer même les gens». Le problème aujourd’hui, c’est que les droits fondamentaux et les libertés fondamentales du Sénégal ne sont pas suffisamment protégés par les mécanismes».
MAMADOU DIOP DECROIX, LEADER AJ/PADS, MEMBRE DU FRN : «Accepter qu’on piétine ces libertés, c’est trahir la mémoire des gens qui se sont sacrifiés»
La constitution et la loi nous donnent la possibilité, la liberté et le pouvoir de manifester. Et cette constitution et la Loi sont au dessus d’un arrêté signé par un ministre. Le maintien de cet arrêté est l’expression d’une volonté politique de restreindre la liberté publique reconnue par la Constitution et la Loi. Nous n’allons jamais accepter cela parce qu’il y’a des gens qui se sont sacrifiés pour que l’on puisse bénéficier de ces libertés aujourd’hui. Accepter qu’on piétine ces libertés aujourd’hui, c’est trahir la mémoire de tous ceux qui se sont sacrifiés pour nous. Maintenant, combien de temps notre combat va prendre, je ne le sais pas. Par contre, je suis sûr et certain que nous gagnerons. Les forces d’arrière garde perdront la partie. L’opposition a pris mille et une initiatives qui ont été toutes rejetées par la justice. Mais, nous continuerons à saisir la justice parce que nous avons besoin de ces décisions de justice. Car, ce qui est important ce n’est pas ce que la justice dit. Le régime de l’apartheid avait sa constitution, son Assemblée et sa justice. Hitler pareil. Alors que nous ici, on n’a pas les lois d’Hitler mais des Lois qui reconnaissent les libertés des gens mais qu’un régime cherche à confisquer».
THIERNO BOCOUM, LEADER DE AGIR : «Que dire de la manifestation des jeunes de l’APR devant les grilles du Palais»
«Le pouvoir en place est le premier a violé l’arrêté Ousmane Ngom parce qu’il y’a eu énormément des manifestations de ses partisans dans le périmètre visé par l’interdiction de l’arrêté sans que personne ne soit inquiétée. Tout le monde se rappelle encore de cette manifestation des jeunes de l’Apr, favorables au jeune frère du président Macky Sall, Aliou Sall devant les grilles du Palais de la République pour crier leur courroux en violation totale de l’interdiction de manifester sur ce site. Ensuite, dans la hiérarchisation des normes juridiques, on ne peut pas imposer l’arrêté Ousmane Ngom erga omnes en faisant fi des dispositions de la Constitution. L’arrêté est illégal en soi parce que la Constitution est très claire sur le droit des citoyens de manifester. Car, il n’a jamais été question de limiter ce droit à manifester sur un quelconque périmètre. En plus, il y’a des décisions liberticides qui sont encouragées par le régime en place qui font que l’arrêté Ousmane Ngom est juste un prétexte. La logique d’interdiction va toujours s’appliquer parce que nous avons un gouvernement qui ne respecte pas les droits des citoyens. Pour preuve, en dehors de l’arrêté, tout le monde a vu que des manifestations de l’opposition ont été interdites même dans les régions comme à Thiès et un peu partout. L’arrêté Ousmane Ngom est un faux problème, il n’a absolument rien à voir avec les interdictions systématiques de manifestation qui sont une stratégie du pouvoir pour mater les opposants et empêcher les sénégalais de s’exprimer librement».
ZAHRA IYANE THIAM, MINISTRE CONSEILLERE, MEMBRE DU SECRETARIAT EXECUTIF DE L’APR : «Le plus important c’est le maintien de l’ordre et (…)»
Le débat ne devait pas se poser sur le maintien de cet arrêté. On a des lois en vigueur et qui pourtant datent des années 1960. Lorsqu’une loi ou tout simplement un acte administratif a besoin d’être amélioré ou corrigé, les pouvoirs publics le font en se basant sur plusieurs éléments. Car, les textes et les actes que les pouvoirs publics prennent sont impersonnels et concourent à préserver les acquis dont les effets et les impacts sur les populations transcendent le temporel. De ce point de vue, je pense que ce qui est important aujourd’hui, ce n’est pas de revenir sur l’arrêté Ousmane Ngom mais de voir l’impact de cette disposition sur le maintien de l’ordre et la protection des personnes et de leurs biens. Car, nous savons tous, aujourd’hui, que l’opposition cherche à créer une instabilité et pas autre chose et dans ces conditions, il y’a que les textes qui peuvent départager les gens et l’Etat a l’obligation de veiller à la sécurité des personnes et de leurs biens. Je tiens aussi à préciser à l’endroit de ceux qui nous accusent d’avoir changé de positon vis-à-vis de cet arrêté, nous, on n’a pas combattu des textes mais on avait mené un combat pour des principes.