LE DIALOGUE POLITIQUE A ÉCHOUÉ
Le président fondateur du think tank AfrikaJom Center, Alioune Tine, suggère que le dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition soit repris afin d'éviter un 2024 catastrophique, en référence à la prochaine présidentielle
Le président fondateur du think tank AfrikaJom Center, Alioune Tine, suggère que le dialogue politique entre le pouvoir et l’opposition sénégalaise soit repris "là où ça s’est gâté", en vue d’arriver à un consensus et "éviter un 2024 catastrophique", en référence à la prochaine présidentielle sénégalaise.
"Le dialogue a échoué. Avec tout ce que cela a donné, aujourd’hui, cela va nous mener vers des tensions en 2021", a-t-il avancé dans un entretien paru dans l’édition du week-end du quotidien Enquête.
"Il faut, d’une manière ou d’une autre, reprendre là où ça s’est gâté pour produire du consensus pour éviter un 20024 catastrophique", à l’occasion de la présidentielle prévue cette année-là, a dit Alioune Tine, ancien directeur régional de l’ONG de défense des droits de l’homme Amnesty International.
À six mois des élections locales de janvier 2023, l’Assemblée nationale du Sénégal avait voté en juillet dernier une réforme du code électoral qui laisse inchangés les principaux points de discorde entre l’opposition et la majorité.
Les dispositions visant à modifier le code électoral étaient pourtant discutées depuis de longs mois entre la majorité, l’opposition et la société civile, dans le cadre du dialogue national, officiellement lancé en mai 2019 et dont le volet politique était à la charge d’une commission spéciale.
"Il n’est pas trop tard pour" reprendre le dialogue politique à l’issue duqel l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, jusque-là un des responsables les plus en vue de l’opposition, a rejoint le camp présidentiel.
Une reprise du dialogue politique "requiert du côté du pouvoir et de l’opposition qu’ils se fassent violence. C’est extrêmement important", a souligné l’ancien président de la RADDHO, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme et ancien président du Comité sénégalais des droits de l’Homme.
"Nous n’avons pas besoin, par nos habitudes et la politique, d’affaiblir davantage un Etat qui est aujourd’hui très affecté par la pandémie et delta. On ne prend pas conscience de son impact", a fait valoir Alioune Tine.
Selon lui, la situation actuelle "doit être un moment de conscience collective et voir comment désamorcer les bombes à retardement de 2024", parmi lesquelles la question de savoir si le président Macky Salol peut être autorisé ou non à briguer un troisième mandat.
Alioune Tine rappelle que la présidentielle de 2012, qui a consacré l’arrivée de l’actuel chef de l’Etat au pouvoir, "était comme un référendum (...), pour ou contre le troisième mandat" que convoitait alors Me Abdoulaye Wade.
"Les gens qui voulaient un troisième mandat ont été battus. Quand on fait une Constitution, c’est pour entériner tout ce qu’on a vécu ensemble. (....) C’est l’éthique politique, le respect de la parole donnée. Cela compte", souligne M. Tine.
Interrogé sur les accusations de l’opposition sénégalaise selon lesquelles le pouvoir profiterait de la révision exceptionnelle des listes électorales pour préparer une fraude, il a répondu : "Je me dis que nous avons un système qui dysfonctionne et qui produit souvent de la tension, de la discorde, des conflits".
"Aujourd’hui, ce à quoi je pense est comment repenser tout ce système, de guérir ses pathologies. Je me dis autant les responsables de l’Etat que ceux de l’opposition doivent revoir un tout petit peu leur attitude", ajoute-t-il.
"Travailler à avoir un Etat fort qui n’écrase quand même pas le peuple, c’est un débat que l’on doit mener ensemble, pour avoir un consensus sur la question. Il ne s’agit pas seulement d’une autorité par la répression, il s’agit d’une autorité morale, basée sur une justice impartiale, avec des organes de régulation qui fonctionnement. Que ça soit les régulateurs des élections" ou "de la corruption", a plaidé Alioune Tine.
Il poursuit : "Je ne parle même pas d’Etat de droit, parce que là où il n’y a pas d’Etat, on ne peut pas parler d’Etat de droit. Il faut ensuite travailler sur le concept d’Etat de droit".
"C’est très important de prendre exemple sur le Mali, qui est notre miroir. Nous connaissons les mêmes crises. Au Mali, elles se sont exacerbées. Quand on a des partis dont l’objectif est de prendre le pouvoir et de se partager les postes et les ressources, ensuite, d’affaiblir tous les organes de régulation, c’est l’œuvre des politiques, on produit une perte de confiance", note M. Tine, expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits humains dans ce pays.
Aussi milite-t-il pour "une véritable démocratie qui permette la contre-démocratie, qui nourrit la démocratie", estimant que c’est "la dissidence qui permet à la démocratie de vivre et de se développer".
"Ce n’est pas parce que vous avez vos valeurs, vos idées qu’on doit vous exclure de la société", conclut le président fondateur de AfricaJom Center.