LE DOUBLE JEU DE MACKY
Seul maître du jeu politique post-présidentiel selon certains observateurs, le chef de l'État est vraisemblablement en train de reconfigurer, à son intérêt, la nature de son face-à-face avec l’opposition
Près de huit mois après une présidentielle dont les résultats ont été validés et acceptés à contre-cœur par son opposition, le président Macky Sall qui a rempilé à la magistrature suprême pour un autre bail de cinq années cette fois, s’est engagé dans une initiative de décrispation d’un champ politique tendu, en facilitant ses retrouvailles avec Me Abdoulaye Wade et le Pds et en accordant une grâce présidentielle à l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall. A contrario, toute une procédure de «musèlement» est enclenchée contre l’un de ses plus farouches opposants, en l’occurrence Ousmane Sonko arrivé troisième à la dernière présidentielle avec 15, 67 % des suffrages exprimés. Suffisant pour pousser certains esprits à se demander si Macky Sall n’est pas dans le double jeu face à une opposition qui peine vraisemblablement à se relever des coups subis avant, pendant et après le scrutin de février 2019.
Seul maître du jeu politique post-présidentiel, selon certains observateurs, Macky Sall est vraisemblablement en train de reconfigurer, à son intérêt, la nature de son face-à-face avec l’opposition. Pour cause, alors qu’il venait de sortir d’une élection présidentielle dont les résultats qui l’ont proclamé vainqueur au premier tour avec 58,27 % ont été vivement contestés par ses challengers (Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Madické Niang et Issa Sall), le président de la République en exercice a réussi la «prouesse» de museler son opposition devenue presque aphone depuis lors. Avant de se rabibocher avec l’un de ses plus fervents adversaires, en l’occurrence Me Abdoulaye Wade, l’ancien chef de l’Etat qu’il avait déboulonné en 2012 et dont il avait emprisonné le fils, Karim Wade, par ailleurs candidat déclaré du Pds, le premier parti de l’opposition, au scrutin présidentiel de février 2019.
Par l’entremise du Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, la paix des braves a été signée à l’inauguration de la Mosquée Massalikoul Jinaan, le 27 septembre dernier, avant qu’une entrevue ne vienne sceller les retrouvailles au palais de la République.
Entretemps, Macky Sall s’était dépêché de «satisfaire» une revendication permanente du «Pape du Sopi» qui avait boycotté la Présidentielle de 2019, à savoir la libération de Khalifa Sall, ancien maire de la capitale sénégalaise et adversaire déclaré du patron de l’Apr mais non validé par le Conseil constitutionnel pour prendre part à la présidentielle.
Conséquence : un climat de dégel d’un champ politique jusque-lors crispé commença à se profiler, d’autant que l’opposition classique (Idrissa Seck de Rewmi, Malick Gakou du Gp, Pape Diop de Bokk Gis Gis, Issa Sall du Pur, Madické Niang et autre) jouait à l’abonnée absente face aux grandes questions politiques de l’heure. Des analystes, eux, avançaient simplement qu’à travers son appel au dialogue national autour du processus électoral et autre pétrole et du gaz, Macky Sall était arrivé à comprimer l’opposition dans un champ d’action qui limitait ses ardeurs. La «résistance» face au «Macky» était assurée uniquement par Ousmane Sonko de Pastef/Les Patriotes et subsidiairement Abdoul Mbaye et autre Mamadou Lamine Diallo du Crd qui ne manquaient pas de porter la critique aux actions du régime en place.
SONKO, ENNEMI PUBLIC N°1
Le climat de dégel esquissé par Macky Sall à l’entame de son deuxième mandat (ou second, c’est selon), via les retrouvailles avec Me Wade et la remise totale de peine pour Khalifa Sall, ne semble pourtant pas aussi général qu’il n’y parait. Pour cause, censé faciliter et/ou renforcer les conditions politiques pour la construction d’un «Sénégal de tous, un Sénégal pour tous», si cher à Macky Sall, l’apaisement du champ politique paraît tout à fait sélectif. Poussant même certains esprits à se demander à quoi joue Macky Sall et s’il n’est pas toujours dans le champ de l’«endiguement politique» de ses adversaires. En maniant à la fois, d’une main experte, le bâton et la carotte !
Pour preuve, relève-t-on d’un côté ses retrouvailles avec Me Wade et de suite l’élargissement de Khalifa Sall, et d’un autre côté toute la procédure institutionnelle déclenchée, via l’Assemblée nationale, pour isoler Ousmane Sonko et finalement le déposséder de son éligibilité, selon les propos mêmes de ce dernier. Pour cause, la présumée affaire autour des 94 milliards et du titre foncier TF1451/R qui a mobilisé toute l’Assemblée nationale n’est pas spécifique dans le champ des «scandales» impliquant la gestion de la chose publique au Sénégal et indexés par un corps de contrôle, un parti politique ou une organisation de la société civile. Seulement, aucun d’eux n’a été porté par l’une des plus grandes menaces pour le pouvoir en place, en l’occurrence Ousmane Sonko, le candidat anti-système arrivé en troisième position à la dernière élection présidentielle.
Quoique l’affaire dite des 94 milliards opposait directement deux citoyens sénégalais, un accusateur Ousmane Sonko, et un incriminé Mamour Diallo, occasion ne pouvait être plus favorable pour déclencher toute une procédure parlementaire contre le premier nommé et baliser la voie au dépôt d’une plainte contre sa personne. Entretemps, la saisine du Procureur de la République par l’ancien candidat à la présidentielle, un des rares membres de l’opposition à faire droit à l’initiative politique après la défaite de février 2019, se perdait dans les dédales du Parquet. Ce qui poussera en dernier lieu Ousmane Sonko à saisir le Doyen des juges pour diligenter cette affaire. Aux dernières nouvelles d’ailleurs, le magistrat aurait saisi le Procureur pour solliciter son réquisitoire. La machine judiciaire enclenchée, reste à savoir si l’issue de la procédure ne va pas finir par «crisper» davantage le champ politique.