LE DROIT DANS SES BOTTES
A 71 ans, Babacar Kanté succède au défunt Mamadou Niang à la présidence de la Commission politique du dialogue national. Il prend la place d’un ami avec qui il a cheminé dans l’histoire politique et électorale du Sénégal
A 71 ans, Pr Babacar Kanté succède au défunt Général Mamadou Niang à la présidence de la Commission politique du dialogue national. Il prend la place d’un ami avec qui il a cheminé dans l’histoire politique et électorale du Sénégal. Parcours d’un homme de Droit.
Pr Babacar Kanté a pris le volant après le décès du Général Mamadou Niang qui a conduit le dialogue politique comme une voiture, parfois en panne. Mais le défunt a quand même su réparer certaines pièces pour avancer.
Le président de la République a donc jeté son dévolu sur une personne-ressource en ce qu’elle connaît, presque comme personne d’autre, la politique et le processus électoral. De 1998 à 1999, il a été membre de l’Observatoire national des élections du Sénégal (Onel), «composé de neuf personnalités indépendantes reconnues pour leur intégrité». «Intègre», c’est d’ailleurs le mot qui revient dans certains témoignages de ses anciens étudiants, anciens collègues universitaires.
Mais auparavant, de 1997 à 1998, il a été membre de la Commission cellulaire de concertation des partis politiques du Sénégal. Voilà un des profils que la Commission cellulaire version 2019 cherchait. Qui donc mieux que lui remplit les conditions de succession au défunt président de la Commission politique du dialogue national ?
En fin mai 2019, lorsque Macky Sall misait sur le quarté (Niang, Kanté, Sall et Ndiaye) pour gérer les concertations politiques, il ne s’était pas trompé de «chevaux». Pour ce pari, les pronostics étaient favorables. Pourraitil d’ailleurs avoir mieux qu’un ancien organisateur des élections, deux universitaires (Babacar Kanté et Aliou Sall) qui connaissent le processus électoral et un expert électoral en l’occurrence Mazide Ndiaye ?
Préfacier du livre du Gl Niang
Entre Pr Babacar Kanté et son prédécesseur, c’était une complicité telle qu’ils ont cheminé dans l’Onel. Et ce sont ces atomes crochus qui ont été à la base du choix que le Général Niang avait porté sur l’universitaire pour préfacer son livre, Mémoires synchrones du fleuve de mon destin, paru à l’Harmattan Sénégal en 2012. La suite de leurs retrouvailles au sein de la Commission du dialogue politique. Et ce n’est point un hasard que l’un succède à l’autre.
En dépit de son rang de Professeur de droit public, le natif de Diourbel (26 juin 1950 à Diourbel) a, par son humilité, le sang Baol-Baol. Ce «vieux» est une «bibliothèque» au sens Hampâté Ba du terme, c’est-à-dire par le savoir et la sagesse et non l’âge. Il a mérité l’hommage de ses collègues et anciens étudiants dans Mélanges en l’honneur de Babacar Kanté, ouvrage dirigé par les titulaires des universités Ismaïla Madior Fall et Alioune Sall, et édité par L’Harmattan Sénégal. Cheveux blancs d’un homme blanchi sous le harnais des amphis et des grandes universités du monde. Combien sont-ils, les journalistes qui ont assisté aux séminaires du Conseil constitutionnel à Mbodiène et Saly, à être séduits par cet artiste du verbe ? Il est magistral comme ses cours. La Constitution est comme une langue chez Babacar Kanté. Il la manie aisément. Savamment. Des jurisprudences et des exemples à l’appui puisés de son tour du monde en… plus de 40 ans de carrière. C’était un homme idéal pour en faire le vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal de 2002 à 2008.
Le jour où il a refusé sa nomination à l’Ufr Sciences juridiques de l’Ugb
En 1971, Babacar Kanté décroche son Baccalauréat, série A4, équivalent des séries littéraires aujourd’hui, notamment, L2 avec la Mention Assez bien. Le voilà qui est outillé pour se lancer dans des études en droit. En 1985, il est agrégé de droit public et de sciences politiques. Mais dès 1977 et ce jusqu’en 1983, il est Assistant de droit public aux Universités de Dakar et d’Orléans, en France. Alors que l’Université Cheikh Anta Diop étouffait d’étudiants et manquait d’infrastructures académiques, le gouvernement socialiste décide d’ouvrir une nouvelle université à Saint-Louis en 1990. Gaston Berger est né, mais doit faire de nouvelles orientations. Pr Kanté est choisi comme directeur de l’Ufr de Sciences juridiques et politiques (doyen de la Faculté de droit). Il lui revient de procéder au «recrutement des personnels enseignant et administratif, à l’élaboration du programme d’enseignement et des textes régissant l’organisation et le fonctionnement de la nouvelle Faculté, à la validation des premiers diplômes par le Cames». Il le sera de 1990 à 2000.
Mais dans un entretien publié sur la page Facebook «Meilleure école du Sénégal», en février 2020, le Doyen honoraire de la filière juridique de Gaston Berger explique : «C’est avec une très grande surprise que j’ai appris, en même temps que tout le monde, à travers la presse, ma nomination en qualité de directeur de l’Ufr des Sciences juridiques de l’Université de Saint-Louis. Ma première réaction a été de refuser cette nomination qui est intervenue sans consultation, et à un moment où j’avais un autre projet de vie et professionnel. Mais avec l’insistance d’un certain nombre de personnalités, dont le doyen de la Faculté de droit de Dakar, le recteur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, le ministre de l’Enseignement supérieur et du recteur Ahmadou Lamine Ndiaye, j’ai fini par accepter.» Partout et sur tout Pr Kanté, c’est aussi les séminaires de formation et conférences de haut niveau. Afrique, Europe, Etats-Unis…, il a livré ses connaissances partout. C’est cette générosité intellectuelle qui lui a valu les nombreux titres honorifiques comme le Chevalier dans l’Ordre national du mérite du Sénégal ou encore Chevalier dans l’Ordre des palmes académiques du Cames.
Dans les contributions mensuelles de Wathi, un think tank citoyen, en février 2017, cet homme très respecté dans le gotha des constitutionalistes estime que la Constitution doit être une «synthèse des valeurs qui constituent le socle de nos sociétés» et non, «comme on a l’habitude de le dire, la charte fondamentale qui régit l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs».
Babacar Kanté a le sens de l’adaptation et du progrès du droit. En mars 2020, Professeur de droit public, co-titulaire de la chaire Auf/Imera (Institut d’études avancées d’Aix-Marseille), il publie Droit et coronavirus.
Dans cette contribution, le juriste écrit : «La question fondamentale est de savoir si, et dans quelle mesure, le droit peut ou doit être conçu comme un élément de la stratégie de lutte contre le nouveau coronavirus et non comme un instrument de répression des citoyens à la faveur des circonstances exceptionnelles que constitue la crise sanitaire.» Mais aussi dans le débat sur les vaccins, il s’interroge sur «la place de la solidarité et de l’équité dans l’accès au médicament». Le droit est dans sa poche.