LE F24 DOIT-IL CONTINUER LES MANIFESTATIONS DE RUE OU CHANGER DE STRATEGIE ?
Plusieurs analystes politiques considèrent que la plateforme F24 offre une opportunité de discussion collective autour de la protection des intérêts des différents acteurs de l’opposition
L’existence et la survie de la plateforme F24, composée de leaders et de coalitions de l’opposition et de la société civile, a été magnifiée. Cette entité qui se présente comme une force politique et sociale qui joue un rôle d’agrégateur des forces vives de l’opposition mobilise davantage. Mais certains s’inquiètent du moment choisi pour tenir des manifestations. La consécration du Sénégal comme une vitrine démocratique en Afrique et dans le monde n’a certes pas de prix. Mais, elle a tout de même un coût. Sa préservation doit toujours être portée, au-delà des dirigeants et des hommes politiques par des leaders qui savent prendre rendez-vous avec l’Histoire.
Plusieurs analystes politiques considèrent que la plateforme F24 offre une opportunité de discussion collective autour de la protection des intérêts des différents acteurs de l’opposition. Elle permet d’éviter des confrontations dispersées face à la majorité. Mais en sortant d’une période de tensions et de violences avec des défis tels les inondations et l’émigration clandestine avec son lot de morts, certains pensent que le peuple sénégalais a besoin de projets de changement concrets plutôt que de manifestations. Et les appels à la mobilisation pourraient risquer de raviver des tensions. Alors que le pays cherche plutôt à apaiser les divisions et à progresser vers des solutions concrètes à ses problèmes. D’autres estiment que la priorité devrait être de convaincre les citoyens par des projets politiques attractifs. Plutôt que de provoquer des affrontements avec les forces de l’ordre.
Ils soulignent que la stabilité du pays doit primer sur tout pour éviter une prise en otage avec des actions qui risquent de déboucher sur de nouvelles violences.
Et de rappeler que la principale revendication de cette plateforme était de lutter farouchement pour s’opposer à une éventuelle candidature de l’actuel président de la République. Raison pour laquelle, d’aucuns n’ont pas manqué d’annoncer la disparition voire la mort du F24 au soir de l’adresse à la Nation du président Macky Sall, le 03 juillet dernier. A cela, les animateursduF24 rétorquent que c’est mal connaître ce qu’est une plateforme de lutte. Ainsi, ils évoquent l’existence d’autres points inscrits sur la plateforme et pour la satisfaction desquels le combat doit être poursuivi. Des points relatifs notamment à la libération des détenus politiques et l’exigence d’organisations d’élections libres, transparentes, démocratiques et inclusives.
Certains analystes trouvent que l’adversité politique viendra plus tard, au fur et à mesure que l’élection présidentielle approchera et lorsque les ambitions réelles prendront davantage forme. Concernant toujours le F24, l’analyse de son mécanisme de fonctionnement permet, jusque-là, de voir qu’il traite tous les leaders au même pied d’égalité. Cela dit, l’adversité tant redoutée entre ces leaders aura bel et bien lieu. Mais sur le terrain politique et en dehors du mouvement si les accords ne sont pas consolidés.
La plate-forme F24, à l’instar du M23 en 2011, sera racontée par les livres d’histoire politique de ce pays comme un mouvement né dans un contexte politique particulier pour lutter en vue d’une consolidation des acquis démocratiques du Sénégal.
Le sociologue Abdou Khadre Sanoko : «Le F 24 joue un rôle d’agrégateur des forces vives de l’opposition »
Le sociologue Abdou Khadr Sanoko rappelle que la plate-forme F24 est composée de leaders ayant des contentieux avec d’autres coalitions de l’opposition. Elle se présente aujourd’hui comme une force politique et sociale rassemblant diverses organisations. Comparée au cadre politique plus restreint du Yewwi, cette plateforme, qui joue un rôle d’agrégateur des forces vives de l’opposition, semble mobiliser davantage. Malgré cette unité apparente, chaque membre conserve ses ambitions personnelles. Ce qui pourrait, relève-t-il, créer des divergences à l’approche de l’élection présidentielle de février 2024.
Notre interlocuteur affirme que la plateforme F24 offre une opportunité de discussion collective autour de la protection des intérêts des différents acteurs de l’opposition. Elle permet d’éviter des confrontations dispersées face à la majorité. D’après lui, cette approche consistant à rassembler un large éventail de forces vives, pourrait être vue comme une avancée en termes de rapport de forces politiques. Toutefois, le moment choisi pour cette mobilisation suscite des inquiétudes quant à l’opportunité d’organiser des manifestations
D’après M. Abdou Khadr Sanoko, certains pensent qu’en sortant d’une période de tensions et de violences et alors que se posent des défis tels que les inondations en période et l’émigration clandestine avec son lots de morts en mer, le peuple sénégalais a besoin de projets de changement concrets plutôt que de manifestations. Les appels à la mobilisation, regrette-t-il, pourraient risquer de raviver des tensions. Alors que le pays cherche plutôt à apaiser les divisions et à progresser vers des solutions concrètes de ses problèmes. Même si, insiste-t-il, le droit de manifester est incontestablement démocratique, il convient de s’interroger sur la pertinence d’organiser de telles mobilisations en ce moment précis.
Le sociologue est d’avis que la priorité devrait être de convaincre les citoyens par des projets politiques attractifs. Ce plutôt que de provoquer des affrontements avec les forces de l’ordre. « La stabilité du pays doit primer sur tout. Le peuple ne devrait pas être pris en otage par des actions qui risquent de déboucher sur de nouvelles violences. Il est essentiel que le débat politique se poursuive dans un esprit de dialogue et d’échange d’idées. Les acteurs politiques devraient mettre en avant des propositions constructives pour le changement et permettre au peuple de choisir librement lors de l’élection à venir », estime M. Abdou Khadr Sanoko.
Ainsi, il exhorte à tourner la page des confrontations stériles afin de se concentrer sur la recherche d’un avenir meilleur pour le Sénégal. Les différends politiques, instruit-il, doivent résolus pacifiquement. Mais le développement et le bien être du peuple doivent être une priorité absolue
Abdoulaye Cissé (sociologue) : «Le F24 semble dire qu’il n’a pas encore eu gain de cause »
Le sociologue Abdoulaye Cissé est quant à lui revenu sur la naissance de la plateforme des forces vives de la Nation qu’est le F24. Il précise que cette plateforme est née dans un contexte préélectoral très tendu. A l’instar du mouvement du 23 juin 2011, elle avait en ligne de mire une éventuelle déclaration de candidature du président sortant pour une troisième candidature, suite à un flou constitutionnel. Le sociologue rappelle que, pour le M23, à l’origine, il fallait combattre un projet de dévolution monarchique du pouvoir prêté au président Abdoulaye Wade. Le succès de ce combat avec le retrait de la loi sur le ticket présidentiel a fait naître d’autres revendications et aspirations d’ordre social et politique. C’est pratiquement, dit-il, la même trajectoire pour le F24 initié pour avec comme leitmotiv «Non à une troisième candidature du président Macky Sall» !
Selon Abdoulaye Cissé, la principale revendication de ce mouvement était de lutter farouchement contre toute éventualité de candidature de l’actuel président de la République. Raison pour laquelle, d’aucuns n’ont pas manqué d’annoncer la disparition voire la mort du F24 au soir de l’adresse à la Nation du Président Macky Sall le 03 juillet dernier. Toutefois lui, personnellement, il estime que c’est mal connaître ce qu’est une plateforme de lutte. En effet, rappelle-t-il, le troisième mandat ne constituait qu’un point sur la liste des revendications de la plateforme. M. Cissé évoque l’existence d’autres points inscrits sur la plateforme et pour la satisfaction desquels le combat doit être poursuivi. Parmi ces points, la libération des détenus politiques et d’opinion mais aussi l’exigence d’organisations d’élections libres, transparentes, démocratiques et inclusives.
Sur ces points précis, il indique que le F24 semble dire qu’il n’a pas encore eu gain de cause. D’où l’importance de durcir le ton et de poursuivre le combat. «Ces questions éminemment politiques ne peuvent pas ne pas intéresser les formations politiques. Et à elles seules, il leur sera extrêmement difficile de faire face à l’Etat. Cela veut tout simplement dire que les partis de l’opposition y trouvent aussi leur compte. Ce qui explique leur présence dans le mouvement qui leur donne également de la visibilité et une certaine légitimité devant l’opinion », déduit-il.
Adversité politique
Abdoulaye Cissé trouve que l’adversité politique viendra plus tard, au fur et à mesure que l’élection présidentielle approchera. Elle sera être apparente lorsque les ambitions réelles prendront davantage forme. « La force du F24, c’est le fait qu’il soit aussi composé d’autres entités non politiques qui peuvent toujours servir de boucliers afin de parer à toute forme d’intrusion susceptible de causer son affaissement. Les points de revendication sont clairement définis et partagés par toutes les parties prenantes. Ces entités ont intérêt, dans le contexte actuel, de ne pas s’en éloigner pour éviter d’être entrainées sur un terrain glissant. Les deux principaux leaders du mouvement sont de la société civile. Et ils ont l’expérience de manager ce genre de mouvement. Le F24 ne peut et doit pas être une entité où s’opère et s’aperçoit une quelconque adversité entre leaders politiques », prévient Abdoulaye Cissé. D’après lui, l’analyse de son mécanisme de fonctionnement permet, jusque-là, de voir qu’il traite tous les leaders au même pied d’égalité. Cela dit, l’adversité tant redoutée aura bel et bien lieu mais sur le terrain politique et en dehors du mouvement. Cela requiert toutefois de la vigilance, et surtout, de l’équidistance de ses porte-étendards vis-à-vis des formations politiques.
Le sociologue rappelle que les exigences de libération des détenus politiques et d’organisation d’élections transparentes et inclusives constituent une suite logique du combat du F24 puisque, ces deux points sont ce qui reste des revendications de la plateforme. Ses dirigeants veulent continuer à maintenir la pression sur le président Sall afin qu’il desserre l’étau. Mais, ce ne sera pas chose facile. Il y a une cassure réelle et apparente entre le F24 et le gouvernement en termes de modus operandi. Le premier pense qu’il n’atteindra son objectif qu’en mettant la pression sur l’Etat à travers des manifestations, des publications d’articles, la dénonciation de certaines dérives de l’Etat, des sorties médiatiques nationales et internationales, entre autres. Pour le second, en revanche, des avancées et des solutions idoines ne peuvent s’obtenir qu’à travers un dialogue, voire une discussion autour d’une table. D’après Abdoulaye Cissé, c’est ce que le premier récuse pour le moment à l’instar de l’opposition dite radicale
Finalement, décrypte-t-il, un dialogue de sourds s’installe. Parce que les schèmes de réflexion et d’action entre le F24 et l’Etat sont totalement asymétriques. Le gouvernement assimile certaines positions et certaines méthodes de lutte de l’opposition et de la plateforme comme de la défiance permanente à son encontre. D’où la fameuse phrase qui revient d’ailleurs de manière sempiternelle dans les discours des responsables du régime, «force restera à la loi !»
« L’Etat conçoit, à travers son discours et les actes qu’il pose, le F24 comme un prolongement de YAW. Il voit à travers tous les actes que ce mouvement pose l’ombre d’Ousmane Sonko qui a promis de mettre le chaos dans le pays. Du moins si, par des combines politiques, l’on veut l’empêcher d’être candidat à l’élection présidentielle de 2024. D’ici 2024, le F24 doit être suffisamment costaud pour survivre à ce combat», estime le sociologue
Le F24 et l’histoire politique du Sénégal
Selon Abdoulaye Cissé, ce qui reste des revendications du F 24 est tout à fait légitime. Elle mérite justement, d’être poursuivie au profit de la paix et de la stabilité du pays. «Toutes les grandes démocraties ont des sentinelles qui jouent parfaitement un rôle de contre-pouvoir avec une bonne capacité d’alerte, d’appréciation et de dénonciation. L’existence du F24 dénote d’une certaine vitalité de la démocratie sénégalaise, malgré tous les soubresauts et les grands défis qui sont devant cette plateforme. Il me surprendrait qu’elle prenne, de manière indirecte, position à la prochaine élection présidentielle pour faire signer aux candidats une charte à l’image de celle des Assises Nationales, relativement aux conclusions du dialogue du Peuple tenu en mai 2023. Une initiative visant à davantage renforcer les acquis démocratiques et l’Etat de droit au Sénégal », conclut le sociologue Abdoulaye Cissé.