LE M23 VICTIME DE L’APPÉTIT DE POUVOIR DE SES FONDATEURS
Naissance et mort d'un mouvement de contestation sociale qui marquera l'histoire du Sénégal
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Le M23 (Mouvement du 23-Juin), rassemblement hétéroclite d’organisations de la société civile, de mouvements citoyens et de tous les partis politiques de l’opposition d’alors avait été le fer de lance de la révolte politico citoyenne contre le président Abdoulaye Wade avant l’élection présidentielle de février2012. Sept ans après salut glorieuse l’élection d’un président de la République avec un quart seulement du corps électoral, mais aussi l’instauration d’un ticket prés-dent-vice-président à ce même scrutin, ce mouvement n’est plus que l’ombre, de lui –même. Il est divisé et affaibli. Le M23, organisé au départ en structure d’alerte et de veille, semble s’être essoufflé au point que l’on se demande si le mouvement contestataire du 23 juin 2011 ne se réduit plus qu’au référent symbolique désignatif de M23.
Si mai 68 est entré dans l’Histoire comme étant un mois de contestations estudiantines qui ont quelque par renversé un ancien monde au profit d’un nouveau avec, à la clef, une formidable révolution des mœurs, le 23 juin 2011, lui, se réduit à une seule journée de révolte populaire .Laquelle, pourtant, rester aggravée en lettres d’ordre dans l’histoire des luttes démocratiques du Sénégal Le mouvement à l’origine de cette mémorable journée est devenu, par sa référence désignative, ce que l'on appelle « hétéronyme » (jour et nom) parce qu'il renvoie à un ensemble de faits politiques que l'on identifie comme un jour marquant et ineffaçable dans l'histoire politique moderne du Sénégal.
WADE, FONDATEUR DU M23
Ce 23 juin 2011 a marqué un tournant décisif dans l'histoire politique du Sénégal. En 2011, le président sortant d’alors, Me Abdoulaye Wade, dont la candidature pour un troisième mandat avait fait l'objet de vives contestations au sein de la classe politique et de l’opinion publique nationale avait cru introduire un projet de loi qui lui aurait assuré sa réélection et en même temps aurait balisé le terrain à une succession vraisemblablement dynastique à la tête de l'Etat. C'est ainsi que le 15 juin 2011, il convoque en son Palais Pape Diop et Mamadou Seck respectivement président du Sénat et de l’Assemblée nationale de l'époque.
Le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, le directeur de cabinet du Président, Habib Sy, et le secrétaire général de la Présidence, M. Diakaria Diaw. Objet de cette convocation : leur fait part de sa volonté d’introduire un projet de loi instituant un ticket, c’est-à-dire une élection simultanée, sur une même liste, au suffrage universel du président et du vice-président de la République. Selon le souhait de Wade qu’il voulait traduire à travers une loi, il suffirait à l'une des listes en lice de recueillir au premier tour 25 % des suffrages exprimés (et non désinscrits) pour l'emporter. Un second tour ne serait organisé que si aucun des "tickets" ne parvenait à remporter ce "quart bloquant". Un président pourrait donc être élu avec une très faible assise populaire.
Aussitôt les choses s'emballent et le président Wade lance la mécanique de la dévolution monarchique du pouvoir. Dès le lendemain du conclave tenu en son Palais, c’est-à-dire le 16juin, le texte scélérat est examiné et adopté en Conseil des ministres. Le 20 juin, après la décision d'examiner et d'adopter la loi en procédure d'urgence, les partis politiques de l'opposition, la société civile et les citoyens soucieux du respect du choix démocratique sacralisé dans la Charte fondamentale commencent à se soulever contre ce qu'ils appellent un coup d'Etat constitutionnel. Les forces de sécurité et de défense sont mises en alerte maximale le 21 juin.
Le jour suivant, l'opposition et la société civile se réunissent à la salle Daniel Brottier, en plein centre-ville de Dakar, pour élaborer un plan de riposte. Et déjà le mouvement Y’en a marre et les jeunes de la coalition «Benno Siggil Sénégal» sonnent la charge. Alors le député-maire de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye, s’enchaîne aux grilles de l’Assemblée nationale pour exprimer son opposition au projet de loi voulant légaliser la succession dynastique de Wade.
Les images du Prométhée enchainé (Cheikh Bamba Dièye) inondent la toile. C'est le début des troubles. La fièvre atteint les régions qui allument le feu de la révolte. Les prodromes sont prémonitoires de l'embrasement qui allait gagner le pays deux jours plus tard. En effet, le 23 juin proprement dit, malgré la force présence policière, les citoyens se rendent à la place Soweto pour défendre leur Constitution Le pays entier est en ébullition. La menace d’investir l’intérieur de l’Assemblée voir le palais présidentiel est réel.
En dépit de plusieurs amendements apportés au texte présidentiel, le peuple ne fléchit pas dans sa détermination à défendre les principes démocratiques gravés dans la Loi fondamentale. Les slogans « Wade, dégage » et « Touche pas à ma Constitution» fusent de partout. Finalement, sentant la résistance citoyenne virer à l’insurrection populaire, le président de la République abdique. Les hourras populaires consécutifs à la décision de surseoir au projet de lois célérat consacrent la victoire des défenseurs de la République sur les fossoyeurs de la Nation. Wade venait, par mal-gouvernance, de rassembler les éléments fondateurs du M23.
DECHEANCE DU M23
Ce triomphe de la légalité constitutionnelle en ce jour mémorable du 23 juin2011 a été inscrit en lettres d’or dans l’agenda républicain qui commémore et actualise les grands jours de la République. « La défense de la Constitution, l’impossibilité d’une succession arrangée et la tenue d’élections libres et transparentes », telle est le viatique de ce mouvement du 23 juin 2011 a redonné à la politique sa vraie place dans la lutte pour la défense de la démocratie. Hélas, sept ans après, le M23, bien structuré et chapeauté au début de sa mission citoyenne par un gratin intellectuel connu pour son implication dans des organismes de défense des droits humains ou syndicaux, ressemble aujourd’hui à une coquille vide et sans substance.
Le mouvement n’est plus ce qu’il était parce que beaucoup de ses principaux animateurs aujourd’hui au pouvoir ont perverti conceptuellement l’esprit du 23 juin. Depuis que Alioune Tine, le premier coordonnateur, a tiré sa révérence pour céder la place à Mamadou Mbodj, syndicaliste, le M23 peine remplir sa mission citoyenne qui est la sienne.
D’ailleurs, Macky Sall ,un des acteurs majeurs du M23 en termes de participation financière et de réflexion stratégique, avait assuré après son sacre présidentiel en 2012 que ledit mouvement allait continuer à assurer sa mission d’alerte et de veille en cas de tentative de violation de la Constitution ou jouer le rôle de médiateur-régulateur en cas de différend entre le pouvoir et l’opposition. Il avait même promis de le doter d’un siège et d’un appui financier pour faire face à ses éventuelles charges. A la place, ce sont les dirigeants des partis ex-membres du M23 aujourd’hui membres de la coalition Bennoo Bokk Yaakar(BBY) qui reçoivent du Président Sall des aides financières mensuelles pour faire à leurs propres charges de fonctionnement.
Les grandes figures de la contestation d’alors que sont Penda Mbow, Abdoul Aziz Diop ex-porte-parole du M23, Abdoul Latif Coulibaly, Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Amath Dansokho ont quitté le terrain de la contestation citoyenne et politique pour aller à la soupe du même Macky Sall afin de goûter aux voluptés du pouvoir. Il n’y a que le COS/M23, frange dissidente du mouvement originel, qui se bat encore pour les idéaux de démocratie, de justice sociale et de bonne gouvernance du M23 originel. Fidèles aux principes fondateurs du mouvement, ses dirigeants montent régulièrement en première ligne pour dénoncer les atteintes à la démocratie et dénoncer les nombreux scandales qui jonchent le pouvoir du président Macky Sall. L’autre frange, inactive, du M23 n’est qu’un appendice du pouvoir en place qui le sustente.
Aujourd’hui la réalité du pouvoir et l’impératif d’un second mandat font que le président Sall, atteint de fièvre « sélectionniste», ne peut plus s’accommoder d’une structure qui dénoncerait ses tripatouillages constitutionnels ainsi que sa mauvaise gouvernance patente. On ne s’étonnera donc pas que beaucoup de ces politiciens qui ont déchiré la Charte de bonne gouvernance des assises qualifient à présent le M23 de mouvement désuet qui aurait fait son temps car créé et ayant eu son utilité dans un contexte spécifique qui n’est plus d’actualité aujourd’hui. Par conséquent, estiment-ils, il serait incongrude faire du M23 un contre-pouvoir.
Ainsi, une caudataire du président Sall, Zahra Iyane Thiam, a osé soutenir que «les conditions, qui avaient prévalu à la naissance du mouvement du 23 juin ne sont plus d’actualité. Il ya actuellement une gouvernance qui renforce les droits des citoyens, des institutions plus fortes, une représentation nationale qui contrôle l’action du gouvernement. Et tout cela dans une ouverture politique qui promeut le dialogue entre pouvoir et opposition ». Allez donc leur faire comprendre à ces ex-militants du M23 aujourd’hui courtisans du pouvoir en place qu’au vu des tripatouillages de Constitution auxquels il a procédé dans l’unique but de se maintenir au pouvoir, le président Macky Sall a trahi l’esprit et la lettre du 23 juin. Lesquels interdisaient de modifier la Constitution à des fins personnelles. Pour Déthié Fall de Rewmi, « le président Sall est en train de poser des actes pires que ceux qui avaient soulevé les Sénégalais ce jourlàdu23juin».Mieux, estime-t-il, la volonté aveugle de l’actuel président de se maintenir au pouvoir le pousse à chercher des subterfuges anticonstitutionnels que le peuple a farouchement combattus au crépuscule du règne wadien.
Après l’exil et l’embastillement d’opposants de taille (Karim Wade et Khalifa Sall), c’est la loi sur le parrainage pour tous qui est votée sans débat à l’Assemblée. Cette nouvelle trouvaille dirimante du parrainage, qui risque de guillotiner les candidats de poids rescapés de la broyeuse judiciaire, est aujourd’hui la bouée de sauvetage de Macky Sall pour s’assurer une victoire sans anicroches. Hélas pour le peuple, le 19 avril dernier, jour fatidique où le président Macky Sall faisait passer comme lettre à la poste—grâce à sa majorité mécanique à l’Assemblée nationale— la loi sur le parrainage, n’a pas connu le succès populaire du 23 juin 2011. Pour ne pas subir les assauts d’une classe politique et d’une société civile qui empêcheraient le vote de cette loi salvatrice, l’initiateur de cette scélératesse a préféré s’appuyer sur l’arrêté Ousmane Ngom pour mater toute velléité de résistance.
Un arrêté anticonstitutionnel que le même Macky Sall avait pourtant combattu farouchement dans le cadre du… M23.Le président Macky Sall parvenu au pouvoir que la realpolitik oblige aujourd’hui à renier les convictions fondatrices du M23.Joyeux anniversaire quand même au M23… ou à ce qu’il en reste !