LE MAROC EST-IL IRRECEVABLE?
Les résultats des études d'impact de l'adhésion du Royaume Chérifien à la CEDEAO défavorables
A la suite du constat selon lequel la commission de la Cedeao en charge de la question de l’adhésion du Royaume du Maroc n’a initié aucune concertation avec l’Administration, le secteur privé et la société civile des Etats membres alors que le sujet est inscrit sur les points de débat retenus pour la conférence des Chefs d’Etat, le 16 Décembre à Lomé, il a été mis en place un Comité regroupant, notamment des organisations patronales et professionnelles, des syndicats de travailleurs, des associations de la société civile et des représentants du monde universitaire, compte tenu de cette nouvelle donne sur l’appareil de production et l’emploi. Ce Comité a procédé à une étude d’impact de cette entrée du Royaume Chérifien dans l’institution communautaire. Réussir Business a épluché le document pour mettre en lumière les raisons de dire NON, à moins que….
Ce Comité a ainsi mené une étude sur cette adhésion et a élaboré un rapport détaillé pour argumenter sur les conséquences qu’une telle action pourrait avoir sur les économies des pays membres de la communauté.
Et il faudra d’emblée noter que le comité est d’avis que l’accord de principe de cette adhésion n’a pas fait l’objet d’une étude préalable pour en mesurer l’impact d’où la subsistance de contraintes majeures au plan juridique, la monnaie unique, le libre-échange, l’appui au secteur privé, la coopération économique, la fiscalité pour ce qui est notamment du tarif extérieur commun, et au plan des zones franches d’exportation (ZFE).
Exposant sur les enjeux, dans le détail, le comité fait remarquer que le Traité révisé ne prévoit aucune disposition statutaire sur le régime juridique des Etats tiers qui souhaitent adhérer à la CEDEAO ; il est évident que sans union monétaire, le Maroc dont l’arrivée est précédée par ses deux grandes banques et une compagnie d’assurance, sera l’unique gagnant du marché commun de la CEDEAO, surtout que sa monnaie n’est pas convertible ; les distorsions de concurrence ; les préférences tarifaires de la soixantaine d’accords commerciaux permettant d’importer en franchise de droits de douane ; les gros écart entre les 17.784 lignes du Maroc et les 6.000 de la Cedeao et les 670 entreprises installées en ZFE dépassant largement la totalité e celle dans la Cedeao. Une évaluation des conséquences de l’adhésion du Maroc devrait anticiper celle d’autres pays comme la Tunisie, l’Algérie et la Mauritanie auxquels il sera difficile de fermer la porte de la CEDEAO, parce que répondant aux mêmes critères.
Avantages et inconvénients d’une adhésion
Toutefois, même si cette adhésion comporte des inconvénients selon le comité, il n’en demeure pas moins qu’elle comporte des avantages. «Parmi les effets positifs escomptés de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO, on peut citer cette plus grande représentativité de la CEDEAO aux plans diplomatique et politique, l’augmentation du poids économique de la CEDEAO et l’accroissement des moyens financiers de la CEDEAO, grâce à l’augmentation du Prélèvement communautaire» a renseigné d’une part, le mémorandum sur l’adhésion.
Et d’autre part, le comité estime qu’il y a de potentiels risques à ne pas ignorer. Il s’agit de «la réorientation de la diplomatie ouest africaine : l’adhésion à la CEDEAO permettrait au Maroc de peser, aux plans diplomatique et politique, sur l’orientation de cette région ; le caractère fermé du marché marocain: l’intégration du Maroc va ressembler à un échange inéquitable, inégal et déséquilibré ; en outre, l’ouverture du marché ouest africain freinera les investissements dans les autres pays au profit du renforcement d’un ancrage domestique des entreprises marocaines orientées dans les exportations vers la CEDEAO ; l’afflux de produits marocains, qui risque de déséquilibrer l’économie de la zone, notamment dans le domaine de l’agriculture, des produits industriels et de l’artisanat ; dans le secteur de la pêche, le Sénégal peut être également menacé par le Maroc qui dispose d’une très large frange côtière et d’une flotte conséquente. En plus de concurrencer le Sénégal sur ses marchés extérieurs traditionnels (Mali, Côte d’Ivoire, Togo), le Maroc pourra même le concurrencer sur son propre marché domestique, dans la conserverie par exemple ; dans le secteur du Bâtiment et Travaux publics (BTP), le Maroc est présent avec le soutien de ses banques et a commencé à gagner des marchés de grande envergure (Cité de l’Emergence, Cité des Affaires).
Au total, toutes les activités de production et de service peuvent être impactées si toutes les distorsions de concurrence sus évoquées ne sont pas réglées».
En sus de cette analyse faite avec le moindre détail passé au crible, le comité a émis une liste de 12 recommandations à savoir reconsidérer et réviser profondément l’approche actuelle d’adhésion du Maroc comme membre à part entière de la Communauté ; entreprendre, de manière concertée et inclusive, à l’instar des meilleures pratiques et expériences de chantiers d’intégration réussie, une étude d’impact sur les économies des pays de la CEDEAO, avant toute décision finale ; mettre au cœur des négociations, les priorités de développement de la Région et d’expansion de son offre productive et de ses besoins d’investissements structurants ; exclure toute négociation à la carte, permettant au Maroc de conforter sa position dominante sur le marché régional ; éviter, absolument, une déstabilisation totale des mécanismes d’intégration, en veillant prioritairement à achever l’uniformisation du Tarif extérieur commun (TEC), avant de faire bénéficier au Maroc des effets d’une mise en œuvre anticipée ou non concomitante de la libéralisation des échanges intracommunautaires ; prévenir et éliminer toute distorsion à la concurrence qui découlerait de la non-harmonisation des règles et pratiques anticoncurrentielles communautaires ; circonscrire ab initio, un éventuel risque, pour les entreprises marocaines, d’opter pour une augmentation de leur capacité de production nationale et de favoriser ainsi leurs exportations de biens et services dans les autres marchés de la CEDEAO ; éviter le fait que les banques marocaines, dont l’une des missions essentielles est d’accompagner l’internationalisation des entreprises du Royaume, ne privilégient ces dernières dans l’octroi des crédits et la fourniture de services d’assistance, au détriment des entreprises des autres pays de la Région ; associer et faire participer pleinement le secteur privé, les ministères techniques concernés et la société civile dans la préparation et la conduite du processus ; s’assurer et veiller, en vertu des dispositions de la Convention de Vienne, à la conformité ou à l’adaptation complète des engagements obtenus du Maroc, à l’intégralité des dispositions du Traité de la CEDEAO et de ses Protocoles, Décisions, Règlements et Conventions., entre autres mesures.
Comment le Royaume Chérifien a déroulé le processus
Le document intitulé «Etude d’impact adhésion Maroc à la Cedeao» réalisé par le comité pour argumenter sur la question renseigne du fait que le Maroc a d’abord été un observateur auprès de la Cedeao pendant dix ans, avant d’introduire une lettre de demande d’adhésion en date du 24 février 2017, ce moins d’un mois après son intégration de dans l’UA le 30 janvier 2017.
Tentatives avortées à rejoindre les communautés européennes
Et, comme pour contrer l’entrée du Maroc dans la communauté pour en devenir le 16ème Etat membre, le comité n’a pas hésité de rappeler les tentatives du royaume de rejoindre les communautés européennes sous l’ère Hassan II. La demande formulée les 25 et 26 juin 1984 a été rejetée à Fontainebleau, a été rejetée en octobre 1987.
Mission de collecte d’informations
En attendant de donner suite à la demande introduite par le Maroc pour rejoindre la Cedeao, une commission de ladite institution a effectué une mission de collecte d‘information du 17 au 20 Octobre 2017. Et les résultats de cette mission ont permis de tâter le pouls des différents acteurs impliqués, d’analyser la stratégie d’insertion du Maroc à la CEDEAO et l’agenda des pouvoirs publics sur la question.
D’emblée, les personnes rencontrées estiment que les modalités d’adhésion sont floues. Ainsi, à la suite de la mise en branle de la stratégie établie par le Maroc et axée autour de trois phases majeures que sont la politique, l’étape juridique et celle technique, le Royaume Chérifien propose, dès qu’il aura acquis la qualité d’Etat membre de la CEDEAO, une approche d’intégration progressive basée sur quatre (04) étapes. Il s’agira de l’accès à la zone de libre-échange, puis de la signature d’un accord de partenariat économique (Ape), et de son élargissement aux règles relatives à la libre circulation des personnes et d’un Tarif extérieur commun (Tec), en fin la transition vers une union et la mise en place d’une monnaie unique sera la dernière étape du processus d’adhésion.
Quand le Maroc accorde une priorité à sa croissance dans les échanges commerciaux
Le document d’étude d’impact a déduit, à la suite des informations collectées qu’en définitive, la mission a permis de conforter l’hypothèse de base concernant la priorité que le Royaume accorde à l’aspect commercial dans le but de s’assurer des relais de croissance à travers l’élargissement de son marché. Le document révèle ainsi qu’en 2015, le Maroc avait déjà commandité une étude d’impact sur ses futures relations commerciales avec la CEDEAO dans le cadre d’une zone de libre-échange, une preuve du sens d’anticipation des autorités marocaines.
Pour mieux soutenir son argumentaire, le comité a effectué une simulation sur dix produits en valeurs importés et exportés entre 2012 et 2017. Pour rappel, il a été observé que dans une étude récente, intitulée «les échanges Maroc-Afrique Subsaharienne au titre de la période 2008-2016», l’Office des Changes du Maroc avait relevé que la part des échanges du Maroc avec l’Afrique subsaharienne s’est élevée à 3% du total en 2016, contre 2%, en 2008. D’ailleurs, l’Afrique sub-saharienne est la 1ere partenaire commercial du Maroc dans la région, avec une part de 58,2%, suivie de l’Afrique de l’Est (15,5%), de l’Afrique Centrale (12,4%) et de l’Afrique Australe (13,4%).
Pour le cas spécifique du Sénégal, les relations commerciales entre le Sénégal et le Royaume, il ressort des statistiques douanières que la valeur globale des échanges a évolué d’un minimum de 26,1 milliards à un maximum de 40,2 milliards de FCFA, sur la période 2012 à 2016, et le taux de couverture des importations par les exportations s’est situé entre un plafond de 15%, en 2013/2014 et un plancher de 9% en 2015.
Dans le cadre de l’impact que cela peut avoir sur le budget, dans une situation de libre échange, l’adhésion du Maroc à la CEDEAO occasionnerait des pertes de recettes fiscales en termes de droits de porte et d’une partie de la TVA.
Pour ce qui est de l’impact sur les secteurs d’activité et sur les filières, les deux économies vont jouer, soit la complémentarité au meilleur des cas, soit la substitution. Cette dernière situation est la pire des hypothèses pour les Etats membres les moins développés. Et du fait du poids économique du Maroc, cette dynamique inévitable de recomposition de l’espace économique va se traduire fatalement par des créations / destructions d’entreprises et d’emplois. Par exemple, selon une étude menée par la Bad en 2016, les indicateurs de compétitivité montrent que le Maroc dispose d’un potentiel d’exportation beaucoup plus élevé sur les marchés de l’Afrique subsaharienne et en particulier, sénégalais. Concernant la marge intensive, le Sénégal ne compte que sur 10 produits contre 47 pour le Maroc, même si ce potentiel s’inverse à 102 produits pour le Sénégal et 92 pour le Maroc, pour ce qui est de la marge extensive relative à la diversification des exportations.
Dans le détail, la différence est nettement constatée avec, par exemple, une durabilité et une résistance aux vulnérabilités de 99% pour le Maroc, contre 72% pour le Sénégal. Des infrastructures à 100% contre 45%, une attractivité nationale de 85% contre 57, entre autres indicateurs.
En sus de l’indicateur des prix pour lequel les taux du Maroc sont nettement devant, il est indiqué dans le classement mondial 2016-2017 du Forum Economique mondial sur la compétitivité que le Royaume Chérifien occupe la 70ème devant le Sénégal (112ème), la Côte d’Ivoire (99ème) ou le Nigéria (127ème), Mali (125ème), Sierra Leone (132ème), Liberia (131ème), Gambie (123ème), Bénin (124ème), Ghana (114ème), Cap vert (110ème).
Impact de l’entrée du Maroc sur le PSE
Au moment où le Sénégal aspire à se positionner comme Hub Régional industriel et logistique avec le projet de développement du Plan Sénégal Emergent (PSE) à l’horizon 2035, depuis de nombreuses années, les plus hautes autorités du Royaume chérifien, ambitionnent de faire du Maroc non pas un Hub mais le Hub de production et d’échanges de l’Afrique subsaharienne. Tous les actes qu’elles posent, renvoient à l’accomplissement de cet objectif.
En effet, comme le souligne le PSE, le Sénégal cherche à être un hub logistique et industriel régional, développer des plateformes industrielles intégrées pour l’agroalimentaire, le textile et les matériaux de construction, ériger une Zone Économique Spéciale à Diamniadio qui aura pour vocation d’être une plate-forme multifonctionnelle pour l’industrie, l’artisanat, la confection, les équipements, les matériaux de construction, les infrastructures, etc.
Ensuite, comme le Maroc, avec son ambitieux programme «Maroc Métiers d’Avenir», le Sénégal cherche à créer un pôle manufacturier à haute valeur ajoutée à travers des industries d’assemblage (produits blancs en électronique, chantiers navals pour la production de bateaux de pêche, câblage automobile, ferroviaire ou aéronautique) ou des industries de transformation (sidérurgie).
Par conséquent, si le Maroc a fait des «Métiers d’Avenir» le cœur de sa politique industrielle qui porte pour les années à venir son émergence, on le voit mal, partager le leadership de ce secteur avec d’autres pays de la CEDEAO, ni d’envisager des délocalisations.
La tragédie industrielle du compagnonnage Air Sénégal-Royal Air Maroc pourrait ne pas être un cas isolé, entre autres secteurs.
Les freins potentiels à l’investissement
La conséquence d’une adhésion du Maroc inquiète grandement la communauté des entrepreneurs qui sont campés dans une posture attentiste et de de résistance. Ainsi, ils sont 81% d’entrepreneurs du secteur industriel à un retrait total ou partiel de leurs activités. Sur cette population cible, 83% se disent convaincus que leur entreprise ne survivra pas au bout d’un an à l’entrée des produits marocains exonérés de droits de douane dans leur secteur d’activité. Selon ces mêmes enquêtés, 37% disent vouloir se reconvertir dans le commerce et 5% n’ont pas d’avis sur la question.
D’ailleurs, les produits industriels sénégalais seront les premiers à faire les frais de la politique agressive de conquête industrielle du Maroc.
«La quasi-totalité se dit désorientée par l’imprévisibilité dans l’environnement consécutif à la décision d’intégrer le Maroc sans information, ni concertation, ni évaluation préalable des conséquences sur leurs activités. Par ces faits, ils estiment ne plus être mesure de faire confiance aux décideurs. Ce sentiment que ni leurs intérêts, ni leurs avis ne sont pris en compte pour des décisions qui impactent leurs activités, pourrait constituer un puissant frein à l’investissement » a conclu le document.